Millennium Actress
Millennium Actress affiche

(千年女優)

2001

Réalisé par: Satoshi Kon

Avec: Miyoko Shoji, Mami Koyama, Fumiko Orikasa

Film vu par nos propres moyens

En 2001, Satoshi Kon n’a pas encore la renommée internationale qu’il connaîtra par la suite. Si son premier long métrage, Perfect Blue, est un fort succès critique, le public n’a pas vraiment répondu présent dans les salles. Suivant la douloureuse loi du milieu, le cinéaste aurait parfaitement pu tomber dans les limbes de l’oubli. Mais le talent qui c’était esquissé jusqu’alors n’est pas passé inaperçu, et le monde du 7ème art à la ferme intention de continuer à propulser sa vision au premier plan. Millennium Actress prend dès lors des airs de seconde chance, que Satoshi Kon embrasse de tout son être. Livrant un nouvel essai davantage marqué par sa folie douce et ses jeux de narration sur de multiples dimensions qui se télescopent, l’auteur affirme son style et explose, enfin, aux yeux de tous.

Pour ce second film, Satoshi Kon fait une révérence amoureuse au cinéma. Le magicien de l’animation émerveille le spectateur à travers le destin de son héroïne, Chiyoko. Alors qu’une équipe de tournage vient mener une interview sur cette actrice fictive à succès ayant marqué le 20ème siècle, une succession de flashbacks propulsent le public dans le parcours unique de la comédienne, au gré de ses œuvres phares mais également des affres de sa vie personnelle. Toute l’originalité de Millennium Actress réside dans le jeu de mise en scène de Satoshi Kon qui, tout en restant parfaitement intelligible, mélange complètement les époques, les personnages, et les enjeux dans un feu d’artifice visuel.

Une histoire de cinéma

La motivation première du réalisateur semble s’exprimer avant tout dans le cadre qu’il offre à son histoire. Au-delà des tourments de Chiyoko, qui serviront de fil conducteur, Satoshi Kon se complait dans un portrait implicite du 7ème art nippon. Au fil des longs métrages portés par son héroïne, le réalisateur balaye un large spectre de ce qui a fait l’âge d’or cinématographique de son pays, jouant notamment du grain de l’image pour ancrer temporellement les différentes virgules de son œuvre. Chiyoko elle-même s’inspire explicitement de la légendaire comédienne Setsuko Hara, icône de toute une génération et égérie de Kurosawa et Ozu, entre autres.

Millennium Actress illu 1

En conséquence, la grammaire filmique de Satoshi Kon n’est pas unique mais emprunte à tous les genres que l’auteur parcourt. Le Chambara rencontre la romance, la science-fiction croise les drames humains: à chaque nouvelle proposition, le réalisateur adapte son point de vue et épouse les codes de mise en scène propres aux styles qu’il convoque. Millennium Actress se veut mouvant et en perpétuelle transformation, entre passé et présent, réalité et fiction. Satoshi Kon devient un magicien en constante réflexion sur son art.

Psyché profonde

Il aurait donc été aisé pour le cinéaste de perdre son spectateur dans ce mélange si foisonnant et éclaté. Le fil temporel n’est pas clairement établi et les divers insertions dans les époques de la vie de Chiyoko n’ont de cesse de revenir sur leurs traces pour venir chercher une idée nouvelle. En guise d’accompagnateur, c’est l’équipe de documentaliste venu interviewer l’actrice qui assume la fonction de guide. L’idée de génie de Satoshi Kon est de les plonger eux aussi dans le passé, visuellement, d’en faire des protagonistes de la course éperdue de Chiyoko.C’est à travers leur propre présence imaginaire dans la filmographie de la comédienne que le public trouve une rambarde salvatrice. 

Millennium Actress illu 2

Grâce à cette porte d’entrée dans la psyché de Chiyoko, on éprouve plus facilement les dilemmes et contradictions omniprésents de l’actrice. Quelles sont les motivations de cette héroïne? Pourquoi le choix du cinéma? Quelle est sa quête profonde? S’il existe bien une réponse explicite facile à ces interrogations, la recherche d’un homme croisé dans sa jeunesse, la solution du problème ne semble que allégorique. Satoshi Kon soulève en vérité des tourments bien plus profonds en tentant de capter l’âme d’une génération entière de comédiens. Ainsi, alors que la carrière de Chiyoko débute par un film de propagande, on éprouve émotionnellement la douleur qui découle de ce choix opposé à ses convictions. Même son de cloche au moment de voir l’héroïne s’adonner à du cinéma de divertissement pur, alors que tout son être brûle d’un besoin de communiquer sa nature profonde torturée par une vie ambiguë.

Doux-amer

Il semble d’ailleurs que Satoshi Kon se plaît à démystifier le monde du 7ème art. Malgré son amour palpable du cinéma, le réalisateur n’oublie pas d’en souligner les divers travers. La jalousie des autres comédiennes, loin de la renommée de Chiyoko, est parfaitement établie. La manipulation par les décisionnaires s’étale également à l’écran. Satoshi Kon dépeint un monde de requins, oppressant, dans lequel la condition d’actrice confine parfois à celui de simple poupée. Chiyoko n’est pas maîtresse de sa destinée, tout comme ne l’était pas la protagoniste principale de Perfect Blue, dont Millennium Actress semble parfois être proche.

Millennium Actress illu 3


Mais si le deuxième film de Satoshi Kon est un symétrique de son premier, alors il reste une version beaucoup plus positive de la vie d’une comédienne. C’est l’amour qui pousse Chiyoko a repousser ses limites, une quête passionnée dans son travail comme dans la recherche de cette mystérieuse figure entrevue dans sa jeunesse. Satoshi Kon le souligne d’ailleurs parfaitement de sa mise en scène: Millennium Actress est une fuite en avant perpétuelle et ludique, une véritable course poursuite ininterrompue de 1h30 à travers les âges. Chiyoko navigue dans son passé à toute allure, en perpétuel mouvement, sur un rythme haletant et magnifié par l’animation flamboyante d’un maître du genre.

Millennium Actress est édité par Septieme Factory

Démonstration éclatante du talent de narrateur démentiel de son réalisateur, Millennium Actress est une lettre d’amour au cinéma de son pays, sans faux semblant mais toujours passionné.

Nicolas Marquis

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