2021
Réalisé par: Merawi Gerima
Avec: Obinna Nwachukwu, Dennis Lindsey, Taline Stewart
Film vu en avant-première grâce à Capricci.
Alors que le monde entier vit au rythme des vagues successives de COVID qui touchent toute la planète, l’obsession de ce problème de santé international éclipse presque les autres chaos de la société. Les relents de ségrégation à peine voilés qui frappent les USA et que le mouvement Black Live Matter avait pourtant mis en lumière n’ont jamais disparus, ils sont toujours là, dans l’ombre. Pour s’en faire le témoin, le 7ème art insiste régulièrement et à la lourde tâche de rappeler à l’opinion publique la souffrance de ceux à qui on refuse la parole. Le cinéma ose même y appliquer tous les genres possibles, du drame au film d’horreur: lors de sa sortie, nous avions par exemple mis en avant, sur notre site, le dernier Candyman qui utilisait l’angoisse pour souligner les tensions raciales aux États-Unis.
C’est aujourd’hui à travers un film beaucoup plus intimiste et proche de la réalité, qu’on rangera volontiers dans la catégorie “art et essai”, que le réalisateur Merawi Gerima s’inscrit dans cette mouvance indispensable au bien commun. En suivant le parcours de Jay (Obinna Nwachukwu), un jeune adulte afro-américain qui retourne après de longues années dans un quartier populaire de Washington où il a passé son enfance, on éprouve toutes les difficultés actuelles qui frappent cette population. La drogue, l’insécurité, la brutalité policière et peut-être encore plus spécifiquement la gentrification sont au cœur de la proposition du jeune cinéaste.
Reproches sur l’approche
Il est impossible de se plonger immédiatement dans les thématiques capitales que propose Marawi Gerima sans d’abord exprimer un ressenti sur son style visuel pur, qui va marquer un certain point de glaciation. Le metteur en scène va effectuer nombre de choix graphiques qui ne sauraient faire l’unanimité, et ce d’un bout à l’autre de son film. Si son jeu de couleurs se révèle relativement pertinent, la volonté d’un cadrage très mouvant et à la limite du compréhensible, et l’envie d’émuler les images de caméscope bon marché pour donner du cachet à son travail ne fonctionnent pas réellement. On comprend totalement ce que le cinéaste tente d’entreprendre: il cherche en vérité à reproduire une approche presque documentaire du quartier qu’il expose et de ses habitants. Malheureusement, Marawi Gerima se perd un peu en route et oublie le spectateur: Residue est un film compliqué à digérer.
Un sentiment accentué par le découpage du film, très haché. Le montage se veut sec dans l’enchaînement des scènes et ne tisse pas vraiment de fil conducteur clair. On comprend des bribes de conversations, passe d’une problématique à une autre de manière trop tranchée et on a souvent du mal à assimiler les thèmes que nous propose Residue. La narration du film devient presque expérimentale, mais le miracle ne s’accomplit pas. Cette collection de tranches de vie, dont on ne remettra pourtant jamais en cause la sincérité, a du mal à s’imprégner chez le public à cause de sa mise en scène tâtonnante.
Ceux qui restent et ceux qui partent
Que retenir de fondamental dans ce cas, alors que l’absorption des thématiques s’avère complexe? Pour parfaitement comprendre Residue, il faut peut-être faire le deuil d’un film qui nous prendrait par la main et s’attarder sur les personnages qu’il nous propose avant tout. La galerie des habitants du quartier se fait fournie et Marawi Gerima nous les livre à fleur de peau. Un ancien se lamente sur de vieilles diapositives, un groupe de jeune erre sans but, une grand-mère pleure son enfant disparu dans un drame atroce. Vivre Residue, c’est ressentir cette détresse complète permanente.
Mais on ne pourrait résumer le long métrage à ces simples rencontres ponctuelles, le cinéaste tente de nous emmener plus loin et charge a nous d’imaginer ce qu’il ne nous montre pas. Le personnage de Jay par exemple interpelle: quelle est la raison profonde de son retour aux sources, en dehors de son envie affichée de réaliser un film? Sa quête désespérée et perdue d’avance d’un ancien ami, Démétrius, frappe aussi alors que tout le monde se refuse à expliquer son absence. Puis il y a des protagonistes que Marawi Gerima ne montrera jamais de face mais toujours de manière très masquée. Les personnes à la peau blanche par exemple semblent désincarnés, réduit à des vues de dos. Ils sont presque de simples concepts.
Les maux sans les mots
C’est à travers ces derniers que l’axe central du récit devrait se ressentir: la gentrification. Un concept très américain qui n’est pas vraiment présent dans l’hexagone. On parle en fait ici de l’appropriation des anciens quartiers populaires par de petits bourgeois, condamnant les citoyens les plus précaires à l’exil, loin des grandes villes. La dessus va se poser un soucis inhérent au film et qui découle sûrement des problèmes de narration exposés plus tôt: Marawi Gerami ne va pas au bout de son idée, il expose les faits, commence à tisser une réflexion, mais s’arrête bien trop tôt pour qu’on ressente son idée motrice.
Dommage, d’autant plus que le cinéaste réussissait, malgré un rythme chaotique, à mieux délivrer les autres maux de la société qui frappent les afro-américains. La tentation de la drogue et de l’illégalité apparaît cohérente, des échappatoires qu’on assimile comme tel face à la détresse et au désarroi de ces personnages désoeuvrés. Marawi Gerami plante un décor, installe des protagonistes vraisemblables et leurs démons légitimes, mais il oublie de les faire évoluer.
Residue est actuellement distribué en salles par Capricci.
L’intention est louable mais l’exécution trop chaotique dans Residue. Le combat de Marawi Gerami est tout à fait légitime mais le cinéaste ne manipule pas assez efficacement son arme: la caméra.