Electric Blue

1987

(Light of Day)

Réalisé par: Paul Schrader

Avec: Michael J. Fox, Joan Jett, Gena Rowlands

Pourquoi les gestes d’auteur les plus époustouflants sont-ils parfois suivis par les œuvres les plus banales ? Deux ans après avoir réalisé “Mishima”, un sommet artistique de sa carrière, Paul Schrader revenait derrière la caméra pour “Electric Blue” (plus connu sous son titre original “Light of Day”), un film qui apparaît relativement commun. Le metteur en scène et scénariste aurait-il eu besoin de renouer avec une forme de cinéma plus académique pour se retrouver ? Seul le cinéaste possède la réponse à cette question mais si la création artistique engendre forcément une partie de mise à nue, elle est aussi destinée à un public. Il règne un clair déséquilibre dans ce pacte moral, alors qu’“Electric Blue” confine davantage à la confession personnelle plate qu’à l’histoire universelle qu’elle aurait pu être.

Dans ce nouveau long-métrage, Paul Schrader nous livre le destin d’une famille de Cleveland où la fracture entre enfants et parents est assez visible. D’un côté, les jeunes Jo et Patti (respectivement Michael J. Fox et Joan Jett) aspirent à une vie de rock n’roll, menant leur petit groupe de bar en bar de l’Ohio. De l’autre, les parents plus conservateurs ont du mal à comprendre les ambitions de leurs rejetons et c’est principalement le portrait de la mère, Jeanette (Gena Rowlands) que Schrader tisse progressivement.

Cette fresque familiale, Schrader nous la livre avec une retenue relativement déconcertante pour un cinéaste d’ordinaire acide. La mise en image du réalisateur se fait dangereusement consensuelle, au point de voir “Electric Blue” tutoyer par instant le doux téléfilm M6 de l’après-midi tant l’esthétique n’offre aucun relief. On navigue de scènes en scènes, toutes plus attendues les unes que les autres, avec le sentiment que la tension est absente de ce pur mélodrame. On devine que Schrader a eu besoin d’élaborer son oeuvre à un degré très personnel et qu’il cherche à coller à une réalité qu’il a vécue au plus profond, mais sa catharsis et son transfert individuel ne se propage pas organiquement au spectateur qui reste en marge du film.

« Un p’tit Chuck Berry? »

Autre aspect du long-métrage sur lequel on comprend que Schrader puise énormément dans son histoire intime pour offrir cet “Electric Blue”: la ville de Cleveland. L’Ohio et le Michigan natal de Schrader partagent énormément de traits communs et ont notamment tous les deux été marqués par l’industrie automobile et la précarité qui a suivi son effondrement. Là encore, le metteur en scène tente de rester juste dans sa représentation mais passe dans le même temps à côté d’un axe qui aurait dû être capital. Comment expliquer que le réalisateur de “Blue Collar” ne réussisse pas cette fois à atteindre une représentation correcte du monde ouvrier et de ce qui le cimente? Il serait facile d’y voir du désintérêt, mais c’est aussi une envie de coller à la réalité sans la travestir qui résonne, même si elle s’avère convenue et ratée.

Cette envie de véracité trouve ses racines profondes dans les intentions de Schrader. L’artiste a plusieurs fois repété que “Hardcore” était son film sur le père, tandis qu’“Electric Blue” parlait clairement de sa propre mère. Facile dès lors d’identifier Paul et Leonard Schrader, jeunes cinéastes impertinents, à Patti et Jo, eux en quête de rock’n’roll. Malheureusement le long-métrage ne réussira jamais à embrasser l’esprit de bohème du monde de la musique amateur. Il ne reste de ces ballades à travers les motels de l’État qu’un vague idéal mal délimité par Paul Schrader, une ambition caressée mais qui souffre d’une édulcoration en règle. Comme preuve ultime de cet échec, on pourrait mentionner une bande son totalement anecdotique.

Le socle d’un bon mélodrame, c’est l’adhésion aux personnages et la décharge émotionnelle que provoquent leurs tourments. Dans “Electric Blue”, on ne parvient pas à trouver ce juste mélange. La dynamique entre cette galerie fournie, peut-être trop pour Schrader, de personnages apparaît défaillante. On n’adopte réellement personne dans le film, on côtoie au mieux, on se désintéresse au pire. Il y a là en fait une véritable défaillance dans l’écriture de Paul Schrader qui fait du personnage de Michael J. Fox le premier rôle de son film alors qu’il n’est là que pour définir la relation mère-fille de Joan Jett et Gena Rowlands. La mayonnaise ne prend pas, on ne sait finalement plus trop à qui s’identifier.

Car à l’évidence, c’est chez Patti que se projette le plus Paul Schrader, lui qui était le trublion de sa fratrie. Le message apparaît alors confus. Le cinéaste cherche-t-il à nous communiquer un sentiment, ou tente-t-il vainement de déclamer à l’écran les mots qu’il n’a pas su dire à sa mère ? À plus d’un égard, dans “Electric Blue”, on ne se sent pas vraiment concernés dans cette relation trop marquée par les démons de Paul Schrader.

Sans imagination et sans consistance réelle au-delà du transfert de son auteur, “Electric Blue” ne fonctionne pas. La grammaire du mélodrame n’est jamais maîtrisée.

Nicolas Marquis

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