Hardcore

1979

Réalisé par: Paul Schrader

Avec: George C. Scott, Peter Boyle, Season Hubley

Subversif, sulfureux, impertinent : se pencher sur la carrière de Paul Schrader aujourd’hui, comme on vous le propose durant tout ce mois de novembre, c’est délimiter les contours d’un personnage politiquement incorrect au plus profond de son art et de son âme. Le scénariste et réalisateur s’est épanoui tout au long de sa carrière dans une grammaire acide qui caricature l’Amérique et ses démons. Alors qu’aujourd’hui il est temps de s’arrêter quelques instants sur “Hardcore”, une question reste ouverte: et si ce long-métrage constituait jusqu’à maintenant l’œuvre la plus osée du créateur ? Pour ce qui n’est à l’époque que sa deuxième réalisation, Paul Schrader propose aux spectateurs une plongée rude et éprouvante dans l’un des tabous de son époque: l’explosion de l’industrie du cinéma pornographique, et l’envers affreux de son décor. Pourtant, au moment de tirer les conclusions, il conviendra de considérer également tout ce que “Hardcore” entraîne derrière lui de personnel sur son auteur : Paul Schrader ne fait rien au hasard et ne malmène pas son audience sans but précis.

Pour s’immerger progressivement dans le milieu du X, Schrader nous propose de nous identifier intensément à son héros qui va mettre progressivement à jour cette société parallèle. Ce personnage, c’est Jake VanDorn (George C. Scott), un père célibataire venu des coins les plus ruraux du Michigan, et un fervent chrétien aux codes moraux stricts. Alors que sa fille disparaît lors d’un voyage scolaire, cet homme découvre que son enfant, sa raison d’être, est devenu un esclave sexuel de l’underground mortifère de la pornographie de l’époque. Désemparé, Jake se lance dans une croisade pour retrouver la jeune femme prisonnière d’un monde obscur.

Avec un effort de contextualisation simple, uniquement en se replaçant dans le climat ambiant des USA des 70’s, on peut déjà peser ce que “Hardcore” a de courageux. Non-dit hypocrite de ces temps pas si éloignés, l’industrie du sexe est mise à nue et les barrières tombent. “Personne ne fait de films X, personne ne les vend, personne ne les regarde” déclame un personnage pour cristalliser cette omerta publique, et pourtant Schrader va s’évertue à briser le mur du silence. Une plongée crue et sans faux-semblant, aussi morbide et vicieuse que ce que pouvait promettre le nom de Paul Schrader et les moyens de l’époque. Le cinéaste n’hésite par exemple pas un seul instant à montrer l’énorme proximité entre le monde des films hard et celui de la prostitution, ou bien à dénoncer la violence qui pèse sur le milieu dans ce qu’elle a de plus brutal moralement ou physiquement. Il faut tout de même apprécier le long-métrage comme un premier coup de griffe pour déchirer le rideau : à l’évidence des œuvres plus complètes et plus exactes sur ce sujet précis ont vu le jour depuis. “Hardcore” est une porte ouverte mais pas forcément un itinéraire parfaitement tracé.

Ce chemin imparfait est emprunté par un personnage purement schraderien, à quelques variations près. Jake est défini par un code moral qui lui est propre, ici la ferveur religieuse, et qui va être malmenée par la société, ramenée à son expression la plus primaire avant de s’éteindre progressivement. L’intelligence du jeu de George C. Scott éclabousse l’écran dans les scènes de fureur bestiale. Ce père devient fou de rage absolue devant la dépravation forcée de sa fille et c’est dans cette scène que le geste de réalisation de Paul Schrader est le plus puissant. On adhère naturellement, de manière viscérale à la quête de ce protagoniste, on lui pardonnera même ses pires excès tant la violence émotionnelle est accentuée dans cette séquence de déconstruction du père.

Malheureusement, pour accompagner la descente aux enfers de Jake, Paul Schrader va faire des choix de mise en scène pour le moins étranges, et disons-le clairement, fâcheux. Il nous est apparu par exemple bien malvenu de s’appuyer par instant sur le potentiel comique de George C. Scott, certes admirable et reconnu, entre deux débats de théologie. “Hardcore” devient par instant grotesque dans l’accumulation de déguisements de ce personnage pourtant en plein tourbillon. Il ne reste finalement de ses longues déambulations dans les rues nocturnes – une constante du cinéma de Schrader – qu’un vague parfum séduisant, parfois annonciateur d’un degré de folie supplémentaire encore à venir chez l’artiste, notamment dans certains éclairages et ambiances sonores, mais insuffisant pour excuser les fautes de goûts.

Des erreurs qui se font encore plus ressentir chez les personnages secondaires, presque tous ratés. Une fois de plus, un sentiment de ridicule envahit l’écran devant cette collection de protagonistes parfois franchement guignolesques, qu’on propulse dans des épreuves affreuses sans réellement les traiter. Ils ne sont jamais qu’un artifice pour refléter la psyché de Jake et c’est là un écueil malheureusement récurrent chez Paul Schrader, surtout à ce stade de sa carrière. En fait, le cinéaste n’a pas encore réussi à parfaitement poser son ton, caméra en main. Il existe dans ses films les plus aboutis un degré de lecture étrange, à mi-chemin entre des aspirations très concrètes issues du quotidien, et un symbolisme très assumé des personnages. Ici, pour sa deuxième réalisation, le metteur en scène tutoie cette “zone schraderienne” si séduisante mais sans jamais en percer totalement la bulle.


Puis il y a cette fin, hautement problématique car elle trahit presque totalement l’esprit du film. Paul Schrader rompt d’un coup le pacte avec son public, sans réellement l’inclure dans ce qui se déroule à l’écran. Outre son effroyable rythme trop expéditif, elle semble laisser sur le côté le public, alors que le cinéaste se transpose lui-même dans une scène purement cathartique. Pour comprendre ce passage, il faut connaître l’histoire de Paul Schrader. On a déjà évoqué en début de mois l’enfance houleuse du jeune Paul dans un foyer très pratiquant, allant jusqu’à lui interdire toute soirée au cinéma avant ses 18 ans. Du propre aveu du réalisateur, “Hardcore” est un film qui évoque fortement son père. Lui et Jake partagent la rigueur religieuse qui les définit, et voit leur enfant s’aventurer dans un milieu qu’ils imaginent le plus perverti possible, une opinion probablement due à leur propre éducation. Dès lors on comprend ce que le film a d’intime pour son auteur et on voit ce final autrement. Mais on ne saurait totalement excuser le fait que l’œuvre ne se suffise pas à elle-même et qu’il soit nécessaire de connaître l’intimité stricte de la famille Schrader pour l’assimiler. Ce n’est pas au spectateur de faire le pont dans son esprit sans aucune aide, c’est au metteur en scène de le lui suggérer.

Si “Hardcore” possède une partie de l’âme de son fascinant créateur, il demande de trop gros efforts d’interprétation et une dimension grotesque malvenue qui le pénalise, au-delà de ses élans scénaristiques intéressants.

Nicolas Marquis

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