2006
de: Marco Bellocchio
avec: Giovanna Mezzogiorno, Filippo Timi, Fausto Russo Alesi
L’un des propres de l’art est sa faculté à remettre en perspective les événements les plus traumatisants de l’Histoire. Ainsi, nous avons tous en tête “Guernica” de Picasso qui évoquait dans son tableau mythique la guerre d’Espagne. Bien évidemment, le septième art n’est pas en reste et les exemples similaires pullulent. Quand en plus l’œuvre vient d’un pays frappé par le fascisme durant le 20ème siècle, l’autocritique devient nécessaire : une façon d’affirmer l’identité de tout un peuple qui ne saurait se résumer aux agissements de ces dirigeants, sans pour autant chercher d’excuse. “Vincere” est de ceux-là. Un film italien qui nous propose de suivre le parcours désastreux de Ida Dalser, amante de Mussolini avant sa prise de pouvoir, et de l’enfant qu’elle a eu de lui. Un périple complexe, Ida étant muselée par les fascistes qui protègent le “Duce”.
Un film au ton fatalement grave et qui va parfaitement restituer les troubles qui ont secoué l’Italie durant le funeste 20ème siècle. La relation entre les deux amants commence d’ailleurs dans les années 1900 et le long-métrage profite de l’occasion pour retranscrire l’ascension de Mussolini. Un homme mégalomane, frappé par une folie des grandeurs démesurée. Dès le début du film, lors d’une réunion politique, il va défier Dieu, affirmant que s’il n’est pas frappé par la foudre dans les 5 minutes suivantes, la preuve de la non-existence du Tout-puissant sera établie. Quelques secondes suffisent ainsi à établir la psyché d’un homme se croyant au-dessus de tout.
Intelligemment, le film va alimenter son récit d’images d’archives et de discours fanatiques de Mussolini pour s’inscrire dans la destinée du dictateur. Filippo Timi, interprète du tyran, semble habité. Toutes les nuances d’émotions traversent son visage, aidées par d’excellents dialogues. Lorsqu’il entame de grands monologues, on se remémore immédiatement les tristes heures du fascisme. Il sera cependant absent physiquement dès le deuxième tiers du film, Ida étant internée de force, l’enfant placé dans un orphelinat et la police fasciste veillant à ce que cette relation secrète ne s’ébruite pas. Invisible à l’écran certes, mais toujours omniprésent dans la continuité de l’histoire. Son ombre plane sur toute l’oeuvre.
« Très chic! »
Giovanna Mezzogiorno qui interprète l’héroïne du film n’est pas en reste non plus. À l’instar de son amant dans le long métrage, elle fait étalage de tout son talent. Cette femme qu’on cloisonne pour la faire taire à jamais, dans des conditions inhumaines, l’actrice lui donne une âme. Ce combat d’une mère pour la vérité est restitué avec un panel d’émotions incroyable par la comédienne.
Mais ce qui nous a le plus convaincu dans “Vincere”, c’est tout le talent de mise en scène dont fait preuve Marco Bellocchio, le réalisateur. Dans une installation minimaliste, vraisemblablement à petit budget, il va réussir pourtant à faire peser tout le poids de l’Histoire sur son récit. Bien que centré sur le destin de Ida, il donne un ton suffisamment grave pour que la trajectoire de cette femme restitue les maux de l’Italie dans son ensemble. D’abord follement éprise, puis laissée pour compte et enfin entravée dans sa liberté, son parcours est presque une métaphore de celui du peuple italien. Même la séparation de son fils peut être interprétée comme une image de cette jeunesse sacrifiée par le fascisme. Ce genre de symboles sont légion dans le film.
Marco Bellocchio va faire le judicieux choix d’adopter majoritairement des couleurs ternes : une occasion parfaite de retranscrire un peu plus l’ambiance anxiogène du film. Mais surtout, on retiendra ces scènes “coups de poing” qui prennent place dans des salles de cinéma. Dans ces mises en abîme, le réalisateur réussit à la fois à reconstituer le fil des événements politiques mais également à montrer le fanatisme des foules, et la façon dont Ida s’y conforme ou non. Sur l’écran, l’Histoire est en marche mais dans la salle, le public hurle, scande, crie, chante. Utiliser la salle de cinéma et sa mixité sociale comme forum, c’est diablement bien pensé. Un procédé récurrent du long-métrage.
Un mot enfin sur la musique qui alterne chansons aux consonances militaires et airs d’opéras. Une surabondance qui donnerait presque des allures de comédie musicale au film. Mais à plus y réfléchir, on comprend qu’elle est elle aussi un moyen d’appuyer le déroulement du récit et aussi d’insister sur la gravité des événements, que ce soit à l’échelle de l’héroïne ou à celle du peuple italien.
“Vincere” est une lutte désespérée pour la vérité, même au plus profond du désespoir. Le combat d’une femme qui veut se faire entendre, appuyé par une mise en scène somptueuse, intelligente et remplie de symboles à interpréter.