(A stranger among us)
1992
Réalisé par : Sidney Lumet
Avec : Melanie Griffith, John Pankow ,Tracy Pollam, Mia Sarah
Film vu par nos propres moyens
En 1992, le public est à la recherche de divertissement, tout aussi effrayant et impressionnant que Le silence des agneaux. C’est dans cette optique que les producteurs, Buena Vista Pictures, choisissent Robert J Avrech, le scénariste de Body Double de Brian DePalma, et Sidney Lumet pour proposer une nouvelle intrigue policière avec Une étrangère parmi nous.
Les deux hommes de confession juive se passionnent pour cette histoire d’enquête dans la communauté hassidique de New York. Ils vont finalement plus loin que le sujet de base et c’est un tout autre film qui est proposé au public. L’enquête policière est au second plan, elle est un décor servant à développer les personnages ainsi que la problématique. Le film n’aura un succès que relatif et ne sera pas du tout soutenu par la critique. Tout ceci inspire le réalisateur à poursuivre l’écriture de son livre : Faire un film.
Le prétexte policier
Pour une fois, Lumet ne présente pas la police comme corrompu mais comme prétexte pour une étude philosophique. Il utilise le meurtre d’un jeune homme pour faire dialoguer deux manières de penser au sein d’une même ville: New York. Il nous propose de nous faire nous interroger sur la société qui serait la plus parfaite. Un thème que nous avons d’avantage l’habitude de voir traiter en science-fiction.
Le réalisateur utilise comme à son habitude la ville et son architecture pour nous faire visualiser ces différences. Il place la communauté juive et Le New York moderne de part et d’autres d’un pont. Il travaille également sur l’éclairage et les couleurs pour appuyer cette comparaison. La communauté nous est montrée de façon lumineuse avec des tons chauds alors qu’en parallèle la grande cité nous apparaît de façon sombre, sinueuse et froide. L’enquête que conduit la détective Emily Eden (Melanie Griffith) n’a que peu d’importance malgré son côté tragique. Elle pourrait être résolu en 5 minutes et les raisons de ce meurtre ne semblent finalement pas importantes. Ce qui intéresse Lumet, c’est l’humain, ses forces, ses faiblesses ainsi que son rapport à la religion. Pour poursuivre sa réflexion, il se concentre donc sur Emily et Ariel (Eric Thal) pour nous faire découvrir ces deux manières de penser.
La recherche de l’idéal
Cette comparaison entre une société moderne, chaotique et une autre plus autocentrée, régie par des règles strictes, nous permet de nous demander ce que serait une communauté parfaite.
Emily est une femme libre et forte qui refuse de se conformer aux règles imposées par les pouvoirs judiciaires, pensant pouvoir se débrouiller seule. c’est un personnage qui n’a confiance qu’en elle même pour accomplir son travail et vivre sa vie. New York est un endroit froid au sein duquel les gens ne se connectent pas. Il y a du monde oui, mais au bout du compte les gens sont seuls. Notre héroïne l’illustre très bien. Abandonnée par sa mère, elle vit avec un père ex-flic qui n’a aucun sentiment pour elle. Emily ne souhaite pas se lier et il faut attendre pratiquement la fin du film pour comprendre qu’elle avait une relation intime avec son coéquipier.
De l’autre côté, il y a Ariel et sa communauté. Celle-ci est dirigée par le Rebbe, l’homme religieux qui est chargé de faire appliquer les lois de la cabale. Ces règles sont à la foi sages et très dures, privant les femmes et les hommes de leurs libertés individuelles ainsi que de leurs sentiments. Pourtant contrairement à la ville moderne, ce groupe nous apparaît uni, humble et dans l’entraide permanente. Lumet se contente, tel un documentaliste, de suivre ses protagonistes sans jamais prendre de réelle position, il laisse ça aux personnages. Il leur permet de découvrir le monde avec leur vision et nous la partage. Nous pouvons tout comme eux, apprendre et nous mettre à la place des autres. Finalement c’est une représentation sans égoïsme et avec respect que Lumet nous offre.
Une fois de plus, l’utilisation du regard est au centre de l’intrigue. Une scène illustre très bien ce propos. Emily examine les lieux du meurtre. Elle parle au Rebbe et lui dit qu’elle a vu beaucoup de choses mauvaises, lorsque celui-ci refuse de croire à l’hypothèse qu’un membre de son groupe puisse être coupable.
Suite à sa déclaration, le Rebbe s’approche d’Emily et dans un champ contre champ, Lumet nous fait suivre ce dialogue muet entre ces deux personnages. Nous prenons conscience que chacun a vu des choses très dures, au point qu’Emily détourne le regard. Plus tard, elle apprend que le Rebbe est un survivant des camps de concentration. C’est un thème déjà traité par le réalisateur dans Le prêteur sur gages.
Un des éléments marquants et séduisant reste le respect continuel et cette écoute entre les deux parties. Chacun a envie de connaître l’autre et de ne pas rester sur de fausses idées. Au travers de ces connexions, le réalisateur nous propose une société idéale qui serait un compromis entre ces deux visions, c’est l’interaction qui nous rend meilleur et nous permet de remettre en cause notre environnement.
Une quête d’identité
Une étrangère parmi nous, propose également deux beaux portraits de personnages en quête de ce qui leur manque pour être heureux.
Emily nous apparaît au début du film comme intelligente et forte. C’est une femme d’action qui n’hésite pas à affronter le danger tête baissée. Cependant dès son introduction, le réalisateur nous fait comprendre qu’elle ne va pas bien. Le fait de refuser du renfort et d’ouvrir rapidement le feu nous la montre sur la corde raide. Pourtant c’est un personnage sensible, puisque à la suite de la blessure de son partenaire, Emily s’en veut bien qu’elle le cache sous son masque. C’est une femme en colère voir même en révolte contre le pouvoir mais surtout contre son propre père, un homme violent.
Elle ne veut pas devenir comme lui, pourtant elle a choisi la même carrière. Emily est perdue. Sa rencontre avec cette communauté et plus spécialement Rebbe et ses enfants, Ariel et Leah (Mia Sarah) lui apporte enfin la paix qu’elle cherchait et lui permet de comprendre que pour grandir, pour avancer, nous avons besoin des autres et de se construire une famille.
Emily était dans l’auto-destruction et dans le refus de ses propres désirs. Elle finira par devenir plus calme et accepter pleinement ses sentiments.
C’est un peu pareil pour Ariel. Ce jeune homme est obsédé par l’étude de la religion, c’est son seul but dans sa vie. Encore une fois, nous découvrons que ce n’est pas si simple. Si Ariel veut devenir le prochain Rebbe c’est pour faire plaisir à ce père adoptif. Il va se poser les mêmes questions qu’Emily, et partir à la recherche de ses propres désirs. Que veut- t-il ? Doit il rester centré sur sa communauté ou bien découvrir le monde ? La raison et le cœur peuvent-ils faire route commune ? Ariel terminera son voyage en se donnant totalement à sa communauté tout en ayant l’espoir d’être heureux. C’est finalement Emily qui en ressort gagnante: elle s’est remise en cause et a affronter ses peurs pour mieux trouver la paix et vivre pleinement ses désirs.
Une histoire d’amour impossible
Le point finalement plutôt sombre dans ce portrait offert par Sidney Lumet se situe dans les sentiments romantiques qui unissent Emily et Ariel. On sent dès leur première rencontre une forte attirance. Le réalisateur utilise d’ailleurs l’humour comme un outil de séduction entre eux. Sur ces parties, l’alchimie entre les deux acteurs fonctionne plutôt bien et nous sommes séduit par ce tandem.
Les choses se gâtent lorsque Lumet parle de cette histoire naissante plus frontalement. Les dialogues sont pesants et niais. Ces scènes apportent de la lourdeur ainsi qu’une redondance à l’histoire. L’amitié entre Emily et la sœur d’Ariel, Leah, est beaucoup mieux écrite et apporte quelques passages plutôt intelligents sur les droits des femmes et la liberté de disposer de son corps sans jugement des autres. Des scènes beaucoup plus sympathiques et touchantes que celles tournant en boucle de nos deux héros, ne pouvant être ensemble car ils n’appartiennent pas au même monde. Nous aurions pu avoir une belle histoire dans le même genre que celle du très beau Sur la Route de Madison de Clint Eastwood, mais ce dilemme cornélien entre désir et devoir tourne vite court et perd rapidement en puissance, nous laissant à la fin complémentent froid face au dernier regard qu’échangent les protagonistes.
Une étrangère parmi nous, ne fait pas partie des films marquants de la filmographie de Sidney Lumet mais il reste quand même une œuvre à découvrir. Le contre pied du réalisateur pour nous offrir une réflexion sur la société idéale mais surtout un voyage initiatique à la recherche de l’équilibre et du bonheur est la force de ce film. Dommage que l’histoire d’amour mièvre et répétitive vienne gâcher l’ensemble.
Le film a été édité en France chez Lazer Film, mais n’est plus disponible. Possibilité de trouver le film en Blu-Ray en import chez KL studio Classic.