(Thirteen Lives)
2022
Réalisé par: Ron Howard
Avec: Viggo Mortensen, Colin Farrell, Joel Edgerton
Film vu par nos propres moyens
Alors qu’il était l’un des princes du divertissement il y a de cela encore une poignée d’années, Ron Howard peine à trouver un second souffle artistique. Son parcours d’enfant prodige du septième art, aussi adulé par le public que contesté par la critique, sombre peu à peu dans les limbes du cinéma, et ses dernières propositions n’entretiennent plus l’illusion de spectacles fédérateurs. Oubliez ses heures de gloires commerciales, marquées par Cocoon, Apollo 13 ou encore Un Homme d’exception pour lequel il ravit l’Oscars du meilleur film en 2001, le metteur en scène est désormais une personnalité malmenée, loin d’asseoir un nom sur lequel on peut bâtir un succès. Si Rush se distingue et se révèle séduisant, la décennie passée confine globalement à la descente aux enfers pour le réalisateur, avec pour principaux écueils Solo: A Star Wars Story, qui accuse certes le coup d’une production malade, et le particulièrement gênant Une ode américaine, récit intimiste raté. Avec Treize Vies, Ron Howard tente de trouver une seconde jeunesse, de retour dans le domaine du film de sauvetage inspiré de faits réels. Pour l’accompagner dans ce périple, le cinéaste collabore avec le scénariste William Nicholson, un spécialiste du genre puisqu’il avait déjà signé le script du désespérant Everest, et qui quitte cette fois le toit du monde pour plonger dans les profondeurs de la terre. Au delà de la démarche artistique, Treize Vies est aussi le témoin d’une évolution du marché du cinéma: conçu par MGM en vue d’une sortie en salles, le film finit pourtant aujourd’hui par atterrir sur Amazon Prime Vidéo, suite au rachat de la firme au lion rugissant par le géant d’internet. Devant les retours positifs durant les projections test, Amazon saisit l’opportunité d’approfondir son catalogue avec un spectacle qu’il pense être haletant.
Treize Vies restitue le sauvetage héroïque de 13 jeunes thaïlandais qui a défrayé la chronique en 2020. Alors qu’au terme de leur entraînement de football, la bande soudée se rend dans les cavernes qui lézardent une montagne voisine, ces derniers se retrouvent prisonniers, piégés par une mousson précoce qui inonde les galeries. Coupés du monde, ils survivent dans un espace exigu, à plus de deux kilomètres de l’entrée de la grotte. Une vaste opération de sauvetage s’initie alors, agglomérant une multitude de bénévoles venus des quatre coins du monde. Parmi eux, les occidentaux Rick Stanton (Viggo Mortensen) et John Volanthen (Colin Farrell), deux spécialistes de la plongée spéléologique, tentent de porter secours aux jeunes enfants, au péril de leurs vies, sous le regard des autorités thaïlandaises.
Au cœur de la mécanique proposée par Treize Vies, Ron Howard tente d’initier une réflexion autour de l’espace et du temps. En proposant les grandes plaines thaïlandaises dans la partie initiale du récit, avant de cloisonner son intrigue dans les oppressantes galeries sous-marines de la grotte, le cinéaste joue d’un contraste intriguant. Puisqu’il a montré en introduction l’air libre, l’effet d’étouffement propre au cadre de l’histoire en ressort exacerbé. Toutefois, Treize Vies se heurte rapidement à la monotonie visuelle: rien ne ressemble davantage à un plan de caverne qu’un autre plan de caverne. Le long métrage échoue complètement à donner de la personnalité à son décors, et les différentes jonctions, pourtant propices à des problématiques différentes, s’étalent dans une répétition inlassable. Même si le film jouit d’une reconstitution réussie, il est monotone. Sentiment conforté par la durée pachydermique de Treize Vies, et ses très longues 150 minutes de spéléologie barbante. Pourtant, Ron Howard tente de jouer de cette idée: la course au sauvetage des jeunes garçons est une course contre la montre, et à l’évidence, en condensant plus de 10 jours de lutte, le récit devrait trouver du rebond. Il n’en est rien, le rythme lancinant n’est jamais sauvé par les ellipses, et l’œuvre plonge comme ses protagonistes.
Cependant, en enfermant les victimes de la catastrophe naturelle dans une enclave coupée du monde, sans lumière du jour, où ils perdent toute notion du temps, Treize Vies pouvait probablement tisser un jeu de différence avec l’urgence de l’extérieur, qui aurait offert une couche supplémentaire au scénario. Malheureusement, Ron Howard n’estime pas opportun de réellement humaniser les malheureux. Il se contente de les montrer, relativement froidement, comme un but à atteindre. Jamais il ne semble vraiment soucieux de creuser leurs personnalités et les démons qui les assaillent immanquablement. Seul le coach de l’équipe de football est légèrement incarné, dans une séquence où il est écrasé par le poids de ses responsabilités: un instant lourdement restreint dans un océan d’exploration aquatique. Treize Vies est plus intéressant dans son traitement des proches des victimes, eux plus présents, et victimes du manque d’information. Leur désarroi est un axe fondateur de l’épopée, et en établissant un parallèle avec la famille morcelée de John, le film trouve un peu de substance. À plus forte raison, les multiples références à la Coupe du Monde de football qui se déroule en même temps que l’intrigue, rendent compte d’une planète qui continue de tourner invariablement, alors que les enfants sont bloqués.
Mais le principal problème de Treize Vies n’est pas dans le regard qu’il porte sur les évènements, mais dans celui qu’il pose sur les hommes qui ont entouré l’opération de sauvetage. Presque constamment, le long métrage antagonise les pouvoirs thaïlandais, jusqu’à les tourner en ridicule. Il ne fait quasiment aucun doute que dans la réalité, sans le secours international, le sort des 13 jeunes garçons aurait pu être funeste. Toutefois, la fiction passe par des phases narratives curieuses durant lesquelles les forces politiques et militaires du pays sont tournées en ridicule. Ainsi, le gouverneur de la région est un parfait homme de paille, loin de garantir la moindre sagesse dans ses réactions, mais se lamentant plutôt d’être sous le feu des critiques. Treize Vies maltraite ouvertement cette couche de l’histoire, en sombrant dans la facilité. Plus fort encore, les soldats thaïlandais sont initialement dans une défiance totale de l’aide internationale. Regard en coin sans subtilité et réponses cinglantes de désamour posent les bases des relations entre sauveteurs occidentaux et orientaux, au mépris du sort des victimes. Bien que ce soit là une restitution des véritables événements, le long métrage touche le fond au moment où les hommes thaïlandais se retrouvent à leur tour piégés dans la caverne, par pure bêtise. Il est dès lors légitime de s’interroger sur la pertinence d’une œuvre qui n’accueille aucun thaïlandais dans l’équipe d’écriture d’un scénario si intimement lié à leur patrie.
Treize Vies esquisse bien un temps les contours d’une force de travail locale, dont la tâche est capitale: ces centaines d’hommes et de femmes qui ont travaillé jour et nuit sur les flancs de la montagne pour endiguer le flux d’eau qui infiltre la roche, avant d’inonder la caverne. Ici, Ron Howard rend compte d’un aspect essentiel du sauvetage, mais le relègue clairement au dernier plan, à travers un montage qui ne lui réserve que de très maigres instants. Si l’aide internationale à été cruciale, l’intervention des paysans l’a été tout autant, mais le réalisateur s’en désintéresse ouvertement. Pire, celui qui coordonne les efforts de ces quidams est américanisé par le scénario, alors qu’il prend l’allure d’un académicien venu des USA. Treize Vies lui oppose bien la sagesse d’un vieil homme de la montagne, mais son instant de bravoure est si maigre qu’il est immédiatement oublié. Lui qui à vécu sur le flanc de la colline depuis des décennies a conscience des impondérables de la nature, et utilise le bambou pour détourner l’amoncellement d’eau. Au final, cette séquence, perdue au milieu de plus de deux heures d’errance sous-marine, ne marque absolument pas le spectateur.
Il reste peut être une vague idée à sauver dans ce qui confine au naufrage: les références au divin que propose Treize Vies. La grotte dans laquelle sont prisonniers les jeunes garçons est un lieu de culte, surnommé “Le mont de la princesse endormie”, et c’est justement par le sommeil que se résout l’énigme du sauvetage. D’abord froid et méthodique, Rick finit par comprendre la force mystique qui entoure les lieux, et par concevoir une forme de puissance supérieure au moment de tirer les enfants hors de leur prison. Cependant, Ron Howard tutoie le grotesque dans une mise en scène pataude: constamment, les civils thaïlandais se réfugient bêtement dans la prière. Le moindre rebond du scénario est ponctué par des louanges aux dieux. Alors qu’il sont sur le point de perdre leur bien le plus précieux, les parents des victimes s’extasient de la venue d’un homme de culte, tel des groupies en folie. Treize Vies ne possède ni retenue, ni subtilité.
Perdu au milieu de 2h30 barbantes de spéléologie sous-marine, quelques idées émergent de Treize Vies, mais Ron Howard réussit l’exploit de toutes les annihiler par sa grammaire lourde et sans subtilité.
Treize Viesest disponible sur Amazon Prime Vidéo.