tick, tick… BOOM!
tick, tick... BOOM! affiche

2021

Réalisé par: Lin-Manuel Miranda

Avec: Andrew Garfield, Alexandra Shipp, Robin de Jesús

Film vu par nos propres moyens

Années 80, New-York. A l’approche de ses 30 ans, Jonathan Larson travaille au Moondance Diner et élabore en parallèle Suburbia, comédie musicale rock futuriste inspirée du roman 1984 de George Orwell. Après avoir planché 8 ans sur ce projet, celui-ci ne sera malheureusement jamais produit. L’artiste se sent rejeté et suite à sa déception, écrit tick, tick… BOOM!, un spectacle autobiographique, sous forme de monologue rock pour y conter son parcours et ses doutes. C’est cette œuvre qui est adaptée dans le film du même nom, sorti sur Netflix en novembre 2021, premier long métrage de Lin-Manuel Miranda (D’où l’on vient, Hamilton, compositeur pour Disney), mêlant instants scéniques, moments de vie Jonathan Larson, mais aussi de l’imaginaire.

“I’m the future of musical theatre”

tick, tick... BOOM! Illu 1

En 2014, Lin-Manuel Miranda interprétait lui-même sur scène Jonathan Larson. Le travail de ce dernier lui a permis, selon ses propres dires, de se sentir légitime lorsqu’il compose, légitime d’exister dans ce monde. Larson est une grande inspiration pour lui, et c’est après avoir vu Rent que lui vient l’envie d’écrire lui aussi une comédie musicale. Rent, c’est l’œuvre la plus reconnue de Jonathan Larson, celle qui restera 12 ans à Broadway, qui obtiendra le Tony Award de la meilleure comédie musicale en 1996 et qui sera adaptée au cinéma en 2005. Celle que Larson ne verra jamais sur scène, mourant quelques heures avant la première représentation d’un anévrisme aortique, à 35 ans, ne prenant jamais conscience du succès que sera son spectacle et de l’empreinte qu’il laissera dans le monde du “musical”. Lui qui voulait accomplir quelque chose de grand avant ses 30 ans, qui doutait de ses choix et de son parcours, qui souhaitait exister à travers sa créativité, comme s’il savait qu’il lui restait peu de temps pour le faire… Il aura finalement marqué les esprits, comme il en rêvait, à titre posthume.

“Why can’t I stay 29?”

tick, tick... BOOM! Illu 2

Et c’est de ça dont il s’agit dans tick, tick… BOOM!. Qu’avons-nous accompli dans nos vies à l’approche de la trentaine, que restera-t-il, que laisserons-nous derrière nous ? Avons-nous fait les bons choix de vie ? Toutes ces questions, Jonathan Larson se les pose, lui qui va fêter ses 30 ans dans les années 90, qui galère à payer son loyer et ses factures, qui a un rêve, qui ne manque pas de créativité et ne demande qu’à l’exprimer, dans ce monde difficile qu’est celui de la comédie musicale et de l’art plus largement. Et lui qui a déjà enterré trop de ses amis, trop jeunes, et voit le monde autour de lui souffrir de la maladie et notamment du SIDA, parce que oui, nous sommes dans les années 90 et le virus fait des ravages. tick, tick… BOOM! est une remise en question sur la vie et le temps qui passe. Le passage des 30 ans est compliqué à vivre – et ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire, l’échéance étant proche pour moi – un passage obligatoire comme le sont aussi les 40 ans, les 50 ans et chaque décennie qui s’écoule. Plus les années passent et plus on se rend compte à quel point le temps est précieux, qu’il nous en reste de moins en moins pour exister. Et vivre, ce n’est pas forcément exister. Si certains font le choix du confort et de la sécurité financière par exemple, en exerçant un job qui ne leur plaît pas réellement, de se mettre en ménage parfois assez tôt et de fonder une famille, d’autres choisissent avant tout de poursuivre leurs rêves et de ne pas lâcher. Bien sûr, et le film nous le fait bien comprendre, il y a le risque de perdre les gens qu’on aime, de les blesser, parce que trop obnubilé par la passion, on ne voit plus bien le monde qui nous entoure. Jonathan Larson est de ceux qui rêvent en grand et qui n’abandonnent pas. Certes, il rejette non intentionnellement ses proches – la femme qu’il aime , en étant incapable de lui dire clairement s’il veut ou non vivre avec elle, car la suivre reviendrait à abandonner ses projets, ou ses amis, dont Michael, son meilleur ami qui tente de lui annoncer sa séropositivité – mais parce qu’au fond, il n’a qu’un souhait: réaliser son rêve et exister. Le compte à rebours jusqu’à la trentaine lui fait réaliser qu’il n’a rien accompli de grand, pas ce qu’il espérait. À chacun son objectif idéal: une famille, un CDI, une résidence secondaire en bord de mer, la dernière Porsche, Broadway… Pour Jonathan Larson, ce sera avant tout ça: l’accomplissement artistique, créer cette œuvre qui sera sienne et qui marquera les esprits à vie, avant qu’il ne soit trop tard. Jonathan Larson, c’est un peu moi, c’est un peu toi qui nous lis, et c’est un peu Lin-Manuel Miranda finalement. Le film serait-il le miroir de lui-même et de sa vie?

“I’m allowing myself to be led by love”

Pour incarner Jonathan Larson, qui le cinéaste aurait-il pu mieux choisir qu’Andrew Garfield ? On peut penser ce que l’on veut de celui que l’on connaît surtout pour avoir été Peter Parker/Spider-Man, et qui a également performé dans des œuvres telles que Under the Silver Lake ou Boy A, il livre ici sa meilleure performance. Garfield semble fait pour être Larson, tant la ressemblance physique est frappante. Dans le film, il adopte ses mimiques à merveille et interprète l’artiste comme s’il était possédé. Jonathan Larson habite le comédien et c’est ce qui rend le long métrage aussi réaliste. L’acteur semble parfois en faire trop, son jeu paraît exagéré, mais lorsqu’on se renseigne un peu plus sur l’homme qu’il interprète, on se rend compte que son jeu est juste. Andrew Garfield nous montre ses talents de chanteur et s’implique tellement dans le rôle que cela lui vaut une nomination en tant que “meilleur acteur” aux prochains Oscars. Et entre nous, ce ne serait pas du vol s’il finissait avec la statuette entre les mains. À ses côtés, on retrouve Alexandra Shipp, Robin de Jesús ou encore Vanessa Hudgens, qui a mûri depuis High School Musical

Côté technique, le film n’a pas à rougir de ce qu’il nous offre et le travail de Lin-Manuel Miranda et de son équipe est tout à fait satisfaisant pour une première réalisation. En plus de voir son acteur principal nommé donc, tick, tick… BOOM! a obtenu une nomination pour le « Meilleur montage ». Le découpage est dynamique, alternant instants sur scène, brides de vie à la façon d’un documentaire (filmées à la manière de vidéos amateurs) et moments sortis tout droit de l’imagination de Larson. Le montage est immersif, il implique le spectateur et on se sent concerné par l’ensemble de ses péripéties. Les musiques quant à elles, élément central du film, sont modernes, rock, et nous offrent des mélodies entêtantes, à l’instar de “30/90”, “Therapy” ou encore “Boho Days”, qu’on se surprend à fredonner quelques fois sous la douche ou en faisant la vaisselle. À travers ses chansons, il nous conte sa vie et celle de ses proches, et évoque ses tracas: la musique est son exutoire. 

Le film devient plus frappant et émouvant à la deuxième séance, après quelques recherches et visionnages de vidéos autour de Jonathan Larson: on comprend mieux la personne qu’il était, pourquoi il a été important, l’inspiration qu’il donne aux autres… Je ne peux donc que vous conseiller de vous renseigner avant de le voir, ou de le visionner deux fois comme je l’ai fait.

tick, tick... BOOM! Illu 3

Le long métrage devient encore plus touchant également parce qu’on sent que chacun s’est appliqué à le faire, y a mis du cœur. On sent l’implication personnelle que met Miranda dans son œuvre, avec un objectif: rendre hommage à un mentor. tick, tick… BOOM! n’est pas seulement une histoire qu’il raconte, une vie d’artiste qu’il met en avant, c’est une reconnaissance totale, un remerciement quelque part, envers le héros du film. Son parcours nous bouleverse, nous questionne et le travail du cinéaste et des comédiens est vrai et sincère. Pari réussi pour Lin-Manuel Miranda et sa première réalisation.

tick, tick… BOOM! est disponible sur Netflix.

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