(Coming Home)
1978
Réalisé par : Hal Ashby
Avec : Jane Fonda, Jon Voight, Bruce Dern
Film fourni par Carlotta Films
Quand Hal Ashby commence à réaliser des films, les États-Unis traversent des renversements idéologiques et sociaux contestant le conservatisme puritain qui étrangle la jeunesse d’alors. Ashby n’est plus si jeune, il a 41 ans en 1970, mais il est néanmoins le plus hippie des réalisateurs du Nouvel Hollywood. Les mouvements de contestation qui inondent ces années-là rejoignent les idées d’Ashby qui se fond dans l’esprit Peace and Love comme un poisson dans l’eau. Les sujets qu’il choisit sont bizarres et provocateurs, les productions de ses films sont tumultueuses, ses collaborateurs investis et parfois aussi têtes de mule que lui face aux impératifs des producteurs. Mais si ses personnages sont naïfs, lui ne l’est pas. Quand, en 1978, Retour sort au cinéma, la guerre du Vietnam est terminée depuis 3 ans, la société a changé, l’opinion publique sur le conflit vietnamien est du côté d’Ashby. À quoi bon faire un film contre cette guerre si tout le monde est maintenant d’accord ?
Le projet lui est venu par l’intermédiaire de Jane Fonda qui a œuvré pendant 6 ans pour que le film se fasse. L’actrice militante est allée à la rencontre des vétérans et s’entretient avec eux depuis plusieurs années. Lors de ses recherches, elle rencontre Ron Kovic, dont l’autobiographie inspirera Né un 4 juillet d’Oliver Stone, qui sera une inspiration pour le personnage de Luke Martin. En 1974, elle participe au documentaire Introduction to the Enemy de Haskell Wexler, qui sera par la suite le directeur de la photographie sur Retour, dans lequel elle va à la rencontre de la population vietnamienne. Touchée par la détresse psychologique des hommes qui reviennent du front, elle s’engage dans la production du film. Néanmoins, elle préfère positionner le récit du côté des femmes restées à l’arrière. Le film échoit à Hal Ashby, fraîchement sorti du succès de Shampoo en 1975, tandis qu’elle interprétera le rôle principal.
Ashby ne veut pas réaliser un pamphlet bavard, il s’appuie donc sur les personnages, sur l’intime : Retour raconte l’histoire de Sally, épouse de Bob, un officier qui part au combat pour la première fois en 1968 au Vietnam. Restée seule en Californie, elle fait des heures de bénévolat dans une unité de soins pour les blessés de guerre. Elle y rencontre Luke, un sergent paralysé et indocile. À son contact, elle s’affranchit de la voie tracée pour elle.
Un des paris du film est de s’appuyer, en ce qui concerne les figurants et quelques rôles parlants, sur de vrais vétérans. Ainsi, le film s’ouvre sur une scène pré-générique, lors de laquelle un groupe d’hommes discutent de leur engagement. Retourneraient-ils au feu aujourd’hui, sachant ce qu’ils y ont vécu ? La séquence est saisissante de naturel, ces hommes, semble-t-il, parlent selon leurs convictions profondes. Puis, la caméra effectue un travelling optique en direction de l’acteur Jon Voight, celui dont on ne connaîtra l’identité que quelques minutes plus tard, le Sergent Luke Martin. Une fois la parole des blessés exposée, on entre dans la fiction par ce mouvement de zoom. Respectueusement, et aussi parce que l’impact est très fort – on s’interroge tout du long sur la part de réel dans cette scène – le réalisateur a laissé le dialogue se dérouler sans musique, contrairement au reste du film qui est accompagné de bout en bout d’une bande-son réjouissante. Lorsque le générique commence, le personnage qui apparaît à l’écran, Bob, est lui aussi dans la fiction, le fantasme. Ce capitaine s’apprête à partir au Vietnam et se représente la guerre comme un lieu où son héroïsme pourra se révéler naturellement. Armé de son fusil, qu’il tient virilement, il explique à un camarade que sa femme ne comprend pas bien ce que signifie son départ mais qu’elle l’accepte, ce à quoi son acolyte répond qu’ « on ne peut pas exiger plus que ça, n’est-ce pas ? » Toute l’attitude de Bob est une imitation de ce que doit être un soldat. Il utilise les termes d’argot militaire de « Nam » et « Combat City » pour parler du Vietnam, comme si le fait de partir au front l’intégrait dans une élite avant même d’y avoir posé le pied. Par opposition, lorsque Bob apparaît à l’écran, le montage est entrecoupé de plans sur des blessés en rééducation, des vrais blessés donc, qui eux savent la réalité de la guerre. Ainsi, le personnage de Bob fait un chemin vers le réel. Lors d’une conversation avec son épouse, celle-ci lui demande de parler de ce qu’il a vécu : « Je veux savoir à quoi ça ressemble. » « Je ne sais pas à quoi ça ressemble, je sais ce que c’est… La télé dit à quoi ça ressemble. »
Deux figures de soldats s’opposent. Bob veut être un héros mais lorsqu’il est blessé, la raison est loin d’être héroïque, il regrette que le statut de Marine ait perdu de sa valeur aux yeux de la population, et il estime la hiérarchie (il pourrait devenir commandant ; il est très déçu lorsqu’il apprend que son colonel ne viendra pas le saluer avant le départ car « c’est le soir des échecs »). Toujours droit comme un piquet, rigide, machiste et mufle, il distribue les ordres à son épouse : faire réparer la voiture, s’installer chez sa mère, le rejoindre en permission, ne pas travailler. Et lorsqu’il retrouve Sally, il n’exprime aucune joie. Pour le spectateur, l’homme est rapidement antipathique.
À l’inverse, Luke ne veut pas être un héros mais l’est devenu malgré lui. Forcé à être allongé ou assis, parfois même à se traîner par terre puisque rien n’est adapté à son handicap, il est obligé de lever les yeux alors qu’il réprouve la hiérarchie. Il reproche à Sally d’avoir épousé un capitaine, au bas de l’aristocratie militaire certes, mais aristocratie quand même. Sa première rencontre avec Sally est d’une humiliante trivialité puisqu’il la percute avec son brancard, faisant exploser une poche d’urine. Comment séduire quelqu’un lorsqu’on ne contrôle plus son corps ? Comment redéfinir ce qui fait un homme ? L’acteur Jon Voight avait d’ailleurs été imposé par Ashby et Fonda contre l’avis d’un producteur qui, ne comprenant assurément pas les enjeux du film, ne le trouvait pas assez viril.
Sally entre dans le film par un mouvement de travelling latéral qui suit Bob jusqu’à un comptoir de bar où elle est assise, sur un côté du cadre. C’est donc par l’intermédiaire de son mari qu’elle existe. C’est encore une image de cet échange constant entre la fiction et la réalité. À l’époque du film, Jane Fonda est largement connue, sa filmographie est déjà prestigieuse et c’est une enfant du sérail hollywoodien. Cette femme bourgeoise dont la conscience s’éveille au contact des blessés ressemble beaucoup à l’actrice qui l’incarne. Grâce à Vi qui, contrairement à elle, représente la femme de la révolution sexuelle, Sally s’émancipe peu à peu, met des pantalons, fume, déménage seule, achète une voiture de sport, travaille, délaisse le maquillage et porte ses cheveux au naturel. Cette libération vient aussi de la façon dont Luke la traite. Ainsi, il ne s’adresse à elle que par son nom de jeune fille, ignorant son statut de femme mariée, l’obligeant à redéfinir la personne qu’elle est quand Bob – autour de qui sa vie tournait jusqu’alors – est absent. Tandis que Sally prenait corps dans l’image par le mouvement de son mari vers elle, c’est Luke qui s’éclipse de lui-même de l’écran, la laissant libre de ses choix.
Un échange se fait entre Sally et Luke. Il est certes averti des conséquences de la guerre, mais il a perdu l’innocence. Tandis que Sally prend conscience de la réalité du retour des soldats combattants, lui absorbe un peu de sa naïveté. Il fait ainsi un geste d’idéaliste en s’enchaînant aux grilles du bureau de recrutement de l’armée dans l’espoir d’arrêter le conflit. Après cet événement, Sally et Luke deviennent amant dans une scène où le plaisir est centré sur la femme, en regard d’une première scène de sexe entre Bob et Sally dans laquelle cette dernière accomplissait le devoir conjugal avec une docilité bienveillante.
Ainsi, Ashby pose la question de la société d’après la guerre. Dans un monologue face à de jeunes étudiants, en âge d’être mobilisés, Luke parle des représentations idéalisées de la guerre et du guerrier au cinéma, des représentations qui font passer toutes les blessures à travers le prisme de l’héroïsme et en font un trophée. Cette guerre très particulière, la première à ne pas être soutenue par la majorité de l’opinion américaine, a vidé l’engagement militaire du sens qu’il pouvait avoir lors de la guerre exemplaire par excellence, celle contre le nazisme. « Nous ne sommes plus l’élite » dit un marine, regrettant l’ancien prestige. Lorsque ces soldats reviennent, comment peuvent-ils se réintégrer dans cette société qui ne les admire plus pour leur engagement, d’autant plus qu’ils sont peu séduisants à voir avec leur membres amputés et leur folie latente ? Ashby filme deux chemins : celui de Bob qui, incapable de trouver sa place au milieu des évolutions de la société, choisit de se retirer du monde et celui de Luke qui, après avoir été ébloui par « la lumière des feux d’artifice » sort de la caverne (« Je suis bien plus intelligent qu’avant ») et accepte de redéfinir qui il est.
Retour est disponible en Blu-Ray et DVD, notamment en édition Ultra Collector, chez Carlotta Films, avec en bonus :
- . RETOUR SUR « RETOUR »: Les acteurs Jon Voight, Bruce Dern et le directeur de la photographie Haskell Wexler racontent le cheminement de ce projet initié par Jane Fonda, puis évoquent leur implication sur le film et l’incroyable réaction du public.
- . HAL ASHBY, UN HOMME HORS DU TEMPS :Jon Voight, Bruce Dern, Haskell Wexler et le réalisateur Norman Jewison rendent hommage à Hal Ashby, à la personnalité et au travail de ce cinéaste précocement disparu.
- . « HAL ASHBY, L’INSOUMIS DU NOUVEL HOLLYWOOD » EN EXCLUSIVITÉ SUR LE BLU-RAY DU CUC, un film réalisé et monté par Amy Scott (2018 – Couleurs et N&B – 91 mn – HD): Hal Ashby, l’insoumis du Nouvel Hollywood célèbre la vie et l’œuvre du réalisateur Hal Ashby au cœur d’une Amérique en pleine mutation, à l’image de son industrie cinématographique. Alors qu’Ashby était autrefois le digne représentant du Nouvel Hollywood, son ascension et sa chute témoignent de l’éternel combat entre l’art et l’industrie.
- . BANDE-ANNONCE ORIGINALE
- UN LIVRE DE 160 PAGES (INCLUS 50 PHOTOS D’ARCHIVES): « L’ESPRIT RETROUVÉ » , RETOUR DE HAL ASHBY PAR JEAN-BAPTISTE THORET: Plongée édifiante dans la genèse du « Vietnam movie » de Hal Ashby, à la frontière d’un documentaire sur les vétérans et d’une œuvre engagée qui s’inscrit dans la contre-culture américaine, L’Esprit retrouvé apporte également un éclairage sur le rôle déterminant de l’actrice militante Jane Fonda. Un ouvrage inédit de Jean-Baptiste Thoret, historien du cinéma et réalisateur, accompagné de 50 photos d’archives, et d’extraits d’une version de travail du scénario.