Please Hold
Please Hold affiche

2021

Réalisé par: K.D. Dávila

Avec: Erick Lopez, Daniel Edward Mora, Doreen Calderon

Film vu par nos propres moyens

Le talent n’attend pas toujours le nombre des années, et l’académie des Oscars sait parfois le reconnaître. Parmi les courts métrages sélectionnés à la course aux statuettes, le parcours de deux femmes cinéastes s’oppose: alors que nous mettions en lumière le savoir-faire de Joanna Quinn sur Affairs of the Art, plus tôt dans le mois, concernant le cinéma d’animation, et que nous soulignions l’aboutissement du travail de toute une vie que constitue sa courte proposition, la trajectoire de K.D. Dávila, à l’origine de Please Hold, présent lui dans la catégorie “prise de vue réelle”, est totalement inverse. C’est pour sa toute première réalisation après un parcours de scénariste, du haut de ses 30 ans à peine, que l’artiste américano-mexicaine se voit citée à la prestigieuse cérémonie. Une forme de reconnaissance qui honore son film, aussi amusant que cynique.

K.D. Dávila nous propose de faire l’expérience d’un futur pas si lointain, dans lequel notre société s’est automatisée à l’extrême, réduisant les contacts humains à peau de chagrin. Dans cet environnement froid, Mateo (Erick Lopez) est arrêté par un drone, pour un crime dont on ne lui explique pas la nature mais qui pourrait bien lui valoir une lourde peine de prison. Enfermé dans une cellule dans l’attente d’un procès, le jeune homme survit tant bien que mal et tente d’organiser sa défense sans rien savoir des chefs d’accusations qui pèsent sur lui, avec pour seul interlocuteur un écran de télévision interactif qui ordonne son quotidien.

À l’évidence, et sans que Please Hold ne s’en cache une seconde, l’ombre du Procès de Franz Kafka plane sur le film de K.D. Dávila. La cinéaste en emprunte ouvertement le principe, sur un ton toutefois radicalement différent. Le poids d’une administration toute puissante, mais surtout figée dans son immobilisme, condamnée à se tromper mais également à balayer ses erreurs d’un revers méprisant de la main est convoqué en permanence. Si le spectateur est invité à s’identifier à Mateo, seul protagoniste présent physiquement, c’est pour mieux le confronter à la tyrannie d’un système capable de broyer l’individu sans raison, et sans tête identifiable.

Please Hold illu 1

La réalisatrice de Please Hold cherche toutefois à pousser sa réflexion plus en avant, et à immerger le récit qui sert de matériel de base dans un cadre plus moderne. En faisant d’un récepteur interactif l’unique vis à vis de Mateo, K.D. Dávila nous renvoie à notre présent. L’artiste semble vouloir mettre en avant une forme de perte de repère de l’être humain, un monde où l’échange de parole entre deux personnes s’est perdu et où l’homme désespéré de contact concret est opposé à l’avatar d’une intelligence artificielle défaillante. Les écrans ont créé une barrière entre les gens, une limite dont on s’est félicité un temps mais qui plongée dans un climat d’urgence devient problématique. Alors que le héros rentre finalement en contact avec ses parents, le dialogues ne s’installe pas, la discussion reste hors de propos.

Pourtant, malgré le caractère imposant de son message, K.D. Dávila opte pour un ton hautement humoristique, proche de la satire. Il est parfois aisé de voir en Mateo un Toons soumis à la loi de l’emmerdement maximum. La réalisatrice se refuse à toute lourdeur, même au moment d’évoquer le sort des minorités, ou plus explicitement le travail carcéral. La jeune artiste veut bousculer les consciences, mais avec panache, envolée, folie, et surtout rires. Please Hold est une œuvre atypique, à l’esprit délicieusement décalé.


C’est aussi en maîtresse du temps que s’impose K.D. Dávila, grâce à un découpage pour le moins habile. La cinéaste vole évidemment les instants de vie de son personnage principal, enfermé en prison, mais aussi ceux du spectateur durant environ 15 minutes. Alternant de larges ellipses avec un montage sec dans les moments de tensions, la science du tempo qui habite Please Hold se vit avec délice, en fait un uppercut légèrement barré qui sied parfaitement à la forme du court métrage.

Please Hold marie la force du propos avec un esprit décalé qui captive le spectateur. Derrière le masque de la satire et de l’humour, K.D. Dávila propose une vision de la société complètement dans l’air du temps.

Nicolas Marquis

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