Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau
Ceux qui murmuraient à l'oreille de léléphanteau affiche

(The Elephant Whisperers)

2022

Réalisé par : Kartiki Gonsalves

Avec : Bomman, Bellie

Film vu par nos propres moyens

Au sud de l’Inde, la réserve de Nilgiri abrite une faune variée et une flore luxuriante. Dans ce berceau de vie aux allures de jardin d’Eden, le royaume animal reprend ses droits et du haut des arbres, les singes espiègles scrutent les tigres qui s’abreuvent dans les rivières. Pour les éléphants, les 5000 kilomètres carrés de forêt constituent le plus grand espace naturel sur terre où ils peuvent encore évoluer librement. Néanmoins, la vie de ces mammifères sacrés est dangereuse, même dans cette parenthèse de verdure au cœur d’un pays en forte industrialisation. Chaque année, au moment de leur migration estivale, des dizaines d’éléphanteaux sont abandonnés par leur meute et se retrouvent livrés à eux même dans un environnement hostile. Dissimulés dans les fourrés, les prédateurs traquent leurs proies. Pour venir en aide aux jeunes éléphants, les hommes se mobilisent. Habité par l’altruisme et l’aspiration à communier avec la nature, le personnel soignant de Nilgiri recueille les éléphanteaux et les élèvent comme leurs propres enfants.

Bomman et Bellie sont deux de ces êtres dévoués à la sauvegarde de l’animal. Le couple d’âge mûr consacre son quotidien aux pachydermes, et tout spécialement à Raghu, l’éléphanteau dont ils ont la charge. Une complicité presque fusionnelle se noue entre l’homme et l’animal, tandis que les deux volontaires apprennent au mammifère à affronter les épreuves de la vie dans la réserve de Nilgiri. Nommée cette année aux Oscars pour son court métrage documentaire Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau, la réalisatrice Kartiki Gonsalves capture l’essence de cette relation touchante et immortalise le quotidien de cette véritable famille.

Ceux qui murmuraient à l'oreille de léléphanteau illu 1

Sur des terres sauvages où les habitations humaines ne sont que de minuscules enclaves, Bomman et Bellie évoluent en parfaite symbiose avec leur environnement. Si le film confine régulièrement à l’hommage envers leur dévotion nécessaire, Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau illustre également l’échange qui s’installe entre les soignants et leur animal, en parfait équilibre. Au bord d’une rivière, s’amusant à s’asperger mutuellement d’eau, Bomman et Raghu ne sont plus séparés par la barrière des espèces, mais sont deux entités vivantes unies par l’affection la plus pure qui soit. Toute l’existence des deux volontaires s’articule autour de leur mission et chacune de leur journée est pensée en fonction des besoins des éléphanteaux, dans un confort rudimentaire. La bonté de coeur absolue de cet homme et de cette femme s’exprime sans cesse à l’écran, lorsqu’ils veillent dans la nuit auprès de l’animal, le nourissent, jouent  tendres en guise de doux réconfort. Le bien-être de l’animal motive chacun de leur geste, dans une totale dévotion. Pourtant, la relation qui s’installe est loin de se percevoir à sens unique. L’abandon de soi est récompensé par une élévation spirituelle affirmée, que le documentaire met perpétuellement en lumière. Bomman et Bellie sont grandis et récompensés de leur sacrifice. L’osmose qui s’affiche à l’écran lorsque main et trompe se rejoignent illustre une communion rare entre l’homme et la nature. Devant la caméra, le vieil homme confie explicitement que Raghu lui a permis de se rapprocher des divinités auxquelles le soignant croit, et une séquence de bénédiction des éléphants de la réserve matérialise ce lien entre la terre et les cieux. L’humain et l’éléphant sont chacun au service de l’autre, dans l’harmonie.

L’amour apparaît si intense que Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau tutoie par moment le portrait de famille, certes atypique, mais profondément sincère. Bomman exprime une forte reconnaissance envers l’animal qui lui a permis de rencontrer Bellie, destinée à devenir son épouse. Sans Raghu, le soignant serait seul, mais grâce à la présence du pachyderme, son cœur s’est ouvert aux autres. Montré dans le documentaire, les fiançailles des deux volontaires se font loin de l’éléphanteau, mais sa présence bienveillante est pourtant palpable. Il est comme un fils pour le couple qui l’a choyé et qui lui a transmis une partie de son savoir. Bellie ne se cache d’ailleurs pas de l’intensité du lien qui les unis, en rapprochant le mammifère du souvenir de sa propre fille défunte. Il a été un secours affectif pour elle, en pleine détresse. Si la sincérité de la femme ne fait aucun doute, le parralèlle que fait le court métrage apparait néanmoins maladroit. Raghu l’a sans doute partiellement guérie de son chagrin, mais difficile d’imaginer que son cœur se soit parfaitement remis, contrairement à ce que sous-entend le documentaire. Toutefois, impossible de remettre en cause la force de leur union. La famille que forme le trio s’agrandit même à la venue d’un autre éléphant, tandis que Raghu qui était jusqu’alors enfant unique doit apprendre à devenir grand frère. Le déchirement de la séparation du couple avec le plus âgé des animaux dont ils ont la garde, pour des raisons obscures que Kartiki Gonsalves n’éclaircit malheureusement pas, marque dès lors un véritable sommet dramatique du film, amplifié par les larmes de Bomman.

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Puisque l’essence même de Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau a vocation à dépeindre une bataille pour l’avenir, la réalisatrice du documentaire évoque judicieusement la nouvelle génération d’indiens qui devront reprendre le flambeau de Bomman et Bellie. Cet aspect du film est discret, sans doute trop pour trouver une vraie consistance, mais en montrant les éléphants au contact d’enfants dans des séquences légères, Kartiki Gonsalves invite à prolonger le combat des deux soignants. Son œuvre est un hommage à ceux qui sacrifient leur confort pour la préservation de la biodiversité, mais également une invitation très implicite à perpétuer la lutte. Cependant la cinéaste se montre sûrement trop effacée sur cette couche du récit. Les éléphants sont en réalité autant menacés par les villes et les axes routiers qui empiètent progressivement sur le territoire de la réserve de Nilgiri que par les prédateurs. Pourtant, jamais la réalisatrice ne le mentionne explicitement, préférant se contenter d’un optimisme exacerbé et d’images certes somptueuses, mais parfois vides de sens.

Séduisant visuellement sans être toujours profond, Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau reste un témoignage vibrant de la dévotion d’hommes et de femmes, au service de l’animal.

Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau est disponible sur Netflix.

Nicolas Marquis

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