Nuisance Bear
Nuisance Bear affiche

2021

Réalisé par : Jack Weisman, Gabriela Osio Vanden

Avec : un ours

Film vu par nos propres moyens

Chaque automne, les habitants de la ville canadienne de Churchill sont les témoins d’un bien curieux spectacle. Effectuant leur migration ancestrale, les ours polaires du Manitoba quittent leur environnement habituel pour gagner leur résidence d’hiver sur les rives gelées de la baie d’Hudson. Des dizaines de ces imposants mammifères traversent alors les quartiers résidentiels, et se heurtent au monde des hommes. Si le danger est omniprésent, au point que la police locale a constitué une unité chargée de sécuriser le parcours, le périple des ours est devenu une attraction touristique prisée qui attire des centaines d’observateurs venus du monde entier, souvent dans le mépris du bien-être des animaux. Dans son expansion perpétuelle, l’humanité a perturbé l’ordre de la nature et fait commerce de l’errance d’une faune privée de ses repères immémoriaux.

En posant leur caméra dans ces lieux où les ours polaires se confrontent aux hommes, les documentaristes Jack Weisman et Gabriela Osio Vanden tentent de livrer un aperçu de cette situation unique. N’offrant aucune narration, si ce n’est un bref carton explicatif à peine plus recherché que l’introduction de cet article, les deux cinéastes se contentent de suivre le voyage d’un de ces mammifères dans les rues de Churchill. Nuisance Bear essaye péniblement de ne communiquer avec le spectateur que par l’image, mais ses intentions profondes deviennent alors chaotiques à discerner. Les 13 minutes que durent le film apparaissent relativement vaines, lancinantes et dépourvues de tout esprit critique.

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Nuisance Bear ne fait que témoigner d’une cohabitation présente entre les ours et les habitants de la ville, mais porteuse de danger et de malheur. L’humanité a entravé la marche de la nature en s’établissant là où le règne animal devrait communier avec la nature, et confronte dès lors le public à l’absurdité d’une situation qui met en péril la faune comme les hommes. Lorsque l’ours au centre du documentaire erre dans les ordures et martèle le portail d’une usine, le sentiment d’un désordre naturel éprouvant laisse à penser que les résidents de Churchill sont implicitement mis en accusation. Cependant, le court métrage ne cesse de se dédouaner du moindre jugement pourtant indispensable, se payant même le luxe de parfois faire peser la responsabilité du danger sur l’ours, dans un grand écart idéologique navrant. En exposant à l’écran les allées et venues d’enfants qu’on imagine perçues par l’animal, Nuisance Bear suscite une émotion implicite chez le spectateur et dirige le péril vers ce que les familles ont de plus sacrés. On suppose que la volonté de Jack Weisman et Gabriela Osio Vanden est avant tout de démontrer visuellement la stupidité de la situation, mais l’absence absolue de critique marquée et de la moindre explication laisse le terrain libre à d’autres interprétations. Le documentaire refuse de dénoncer ouvertement l’humanité et dès lors les intentions du film apparaissent idiotement floues.

Il semble cependant que Nuisance Bear souligne une ironie profonde propre aux habitants de Churchill, même si le court métrage manque de cynisme affirmé. Les citadins érigent l’ours polaire en symbole, reproduisent sa silhouette sur les murs des maisons et articulent une partie de leur quotidien autour de la présence de l’animal. La réponse des autorités n’en est que plus glaçante. Les hommes voudraient croire qu’il cohabitent en harmonie avec l’ours, mais l’unité spécialisée de la police traque le mammifère comme un fugitif. Derrière le masque de la fausse osmose, la violence s’exprime. La vue des touristes qui sortent de leur voiture pour photographier l’ours de près, courant ainsi d’énormes risques, en devient confondante de bêtise. Plutôt que de préserver la faune, l’homme fait commerce du déséquilibre naturel qu’il a lui-même instauré. Mais une fois encore, Nuisance Bear fait le choix étrange de ne pas accentuer sa réflexion pour se contenter de la représentation rapide de quelques personnes téléphone en main. En réalité, des dizaines d’agences de voyage font de Churchill une destination prisée pour quiconque souhaite apercevoir les ours polaires, et le nombre de touristes est immensément plus conséquent que ce que laisse penser le court métrage. Bien souvent, les voyageurs s’entassent dans des camions blindés qui sillonnent les environs de la ville, contrariant le périple des animaux. Jamais le film ne restitue cette vérité à l’écran, laissant encore une fois planer le doute sur les volontés profondes de Jack Weisman et Gabriela Osio Vanden et sur la pertinence de leur restitution de la situation dès lors qu’elle n’est pas exacte.

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Devant tant d’approximations et face à l’absence de tout message concret, le cohérence artistique mais aussi documentaire de Nuisance Bear s’effondre. Les deux réalisateurs proposent une galerie d’images relativement magnifiques et capturées avec brio, mais les visuels ne servent jamais une idée de fond clairement établie. L’absence de narration se révèle catastrophique pour le spectateur qui ne sait pas franchement ce que le couple de cinéastes a voulu transmettre comme témoignage. Le public ne peut qu’espérer que les documentaristes dénoncent un fléau écologique sans en être réellement sûr, et l’effroyable possibilité que Jack Weisman et Gabriela Osio Vanden ne sont juste que deux touristes de plus venus faire de beaux clichés reste présente. Nuisance Bear cherche sûrement, même si ça ne reste qu’une énième supposition, à assimiler le point de vue des spectateurs à celui de l’ours dans l’incompréhension de ce qu’il perçoit, mais le geste artistique se révèle complètement vain tant le film ne suscite strictement aucune émotion. La fin du court métrage marque le point culminant d’une démarche cinématographique hasardeuse. À force d’entretenir un doute permanent, Nuisance Bear rate complètement sa conclusion et le sort final du mammifère est entouré d’un mystère absolument inutile. Le constat d’échec devient navrant. Que l’ours polaire soit vivant ou mort, le public a perdu de toute façon tout intérêt pour son destin après 13 minutes éprouvantes.

Nuisance Bear est tellement évasif qu’on ne peut que spéculer sur ces intentions et constater le manque d’intérêt criant du film.

Nuisance Bear est actuellement disponible légalement sur le site du New Yorker et sur Youtube.

Nicolas Marquis

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