La sagesse de la pieuvre

(My Octopus Teacher)

2020

réalisé par: Pippa EhrlichJames Reed

avec: Craig FosterTom Foster

Alors que les plus rêveurs d’entre nous tournent usuellement leur regard vers le ciel, la tête dans les nuages comme il est coutume de dire, on oublie sans doute trop facilement que l’inconnu est là, tout proche de nous. Bien qu’ils recouvrent les ¾ de notre planète, les fonds marins restent un lieu de mystère largement inexploré. Pourtant, nul besoin de s’aventurer au cœur des océans pour découvrir un monde étrange: sur nos littoraux pullulent également une faune et une flore dont tous les secrets n’ont pas encore été percés. C’est sur les côtes sud-africaines que va nous embarquer Craig Foster, accompagné de Pippa Ehrlich et James Reed, à la découverte de ces habitants sous-marins, et plus spécialement d’un poulpe dont l’observation quotidienne va enrichir l’existence du documentaliste passionné par la vie aquatique.

La première sensation qu’on éprouve devant “La sagesse de la pieuvre” est visuelle: le documentaire nommé aux Oscars 2021 peut s’appuyer sur une qualité d’image qui frise la perfection. Une prouesse technique essentielle pour mieux apprécier ce spectacle féerique. Au-delà du contenu de l’image, c’est une texture particulière qu’on goûte en même temps qu’on plonge avec Craig Foster. Une délicieuse surprise pour un film dont les prises de vue sous-marines auraient pu montrer les limites d’un budget probablement humble: il n’en est rien, “La sagesse de la pieuvre” est esthétiquement impeccable.

De quoi s’immerger un peu plus dans cet environnement déroutant, aux couleurs incroyablement variées et où la vie se cache derrière chaque pierre. C’est un sentiment étrange qui habite le spectateur, comme si on posait le pied sur une planète extraterrestre pour la première fois et qu’on devait réapprendre à vivre avec cette “nouvelle nature”. Grâce à des images assez rares de cet écosystème, on se sent l’âme d’un explorateur nageant dans le sillage de Craig Foster, à la recherche de la prochaine découverte merveilleuse.

Mais Craig Foster n’est pas qu’un simple pionnier venu planter bêtement son drapeau avant de repartir. Au fur et à mesure de l’œuvre, une notion d’équilibre entre le cinéaste et la nature se tisse, une relation d’échange toujours teintée de respect. Foster ne veut pas bouleverser le monde qu’il expose, simplement l’observer avec une pudeur bienvenue. De quoi créer des dilemmes moraux lorsque la pieuvre au centre du documentaire se retrouve en danger, mais également une ligne de conduite stricte à laquelle le cinéaste se tient. Foster et le monde sous-marin dialoguent, une symbiose parfaite s’installe progressivement.

« I like to be, under the Sea »

C’est donc cette pieuvre, anonyme, qui va régner sur le film, faisant de nous les témoins privilégiés de son existence houleuse où chaque embûche est un nouveau défi pour un animal maître de l’adaptation. De son allure et son air sympathiquement grotesque à son comportement fourmillant d’intelligence, on finit par s’attacher à cet animal étrange, de vraies émotions naissent en nous: on a peur pour lui, on exulte à certains de ses succès, on s’attriste à d’autres moments. Une vraie prouesse pour un documentaire qu’on pensait destiné à d’autres.

Puis plus discrètement, c’est le parcours de Foster qui se trace, et plus précisément de la mise en pratique des “leçons” qu’il tire de son ami farfelu. Le plongeur se tourne vers la mer dans une période compliquée de sa vie où il perd pied et réussit à relever la tête grâce à cette pieuvre, en harmonie avec la nature. Un aspect du récit qui n’est franchement pas la plus grande réussite de “La sagesse de la pieuvre” mais qui demeure bien présent.

Mais voilà qui nous conduit presque directement à un énorme défaut du film, à même de vous pourrir la séance: le ton faussement dynamique adopté. Dans la lignée des autres documentaires Netflix, “La sagesse de la pieuvre” va chercher du rebond là où il n’y a pas lieu d’être. On exagère la dramaturgie, on utilise de vulgaires effets sonores semblables à ceux des grosses productions peu inspirées pour orienter le chemin du spectateur, on installe un suspense fabriqué… Tout un processus fatiguant dès les premières secondes: il faut accepter à un moment donné l’idée que le film n’est pas un thriller à gros budget mais une œuvre sur les pieuvres avant tout. L’espérance de vie moyenne (1 an) de l’animal suffisait largement à placer une épée de Damoclès sur le long métrage, le reste n’est que fioriture.

La sagesse de la pieuvre” se révèle plus riche qu’espéré, malgré la lourdeur de la patine Netflix. On est loin du grand docu, mais également à des kilomètres d’un moment inutile. Pour les plus curieux et pour les complétistes des Oscars comme nous!

Nicolas Marquis

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