(C’mon C’mon)
2022
Réalisé par: Mike Mills
Avec: Joaquin Phoenix, Woody Norman, Gaby Hoffmann
Film vu par nos propres moyens
Cinéaste et scénariste discret au langage filmique rempli de sensibilité, Mike Mills cimente sa carrière au gré de propositions hétéroclites. Aussi bien réalisateur de longs métrages de fiction, documentaliste, que metteur en scène de clips musicaux, l’artiste est un caméléon de la caméra, d’une adaptabilité sans faille. Mais davantage que son caractère touche-à-tout, c’est sa proximité forte avec les acteurs qu’il emploie qui caractérise son parcours. Bien que la plupart de ses films restent de très humbles succès, souvent uniquement critiques, une multitude de noms prestigieux n’hésitent pas une seule seconde à collaborer avec l’auteur. Dès 2010, son Beginners pouvait ainsi se vanter d’accueillir Ewan McGregor et Christopher Plummer en tête d’affiche, un véritable atout pour un film indépendant. Cependant, le véritable tournant s’opère en 2016 pour Mike Mills: bien que l’oeuvre peine à rencontrer son public, le 20th Century Women qu’il signe, porté par un somptueux trio composé de Annette Bening, Greta Gerwig et Elle Fanning, s’invite dans la course aux Oscars pour son scénario. Dès lors, le réalisateur devient une personnalité attendue, et son retour sur grand écran en 2022 avec Nos âmes d’enfants est observé par les cinéphiles. Une fois de plus, une sommité domine son casting, en la personne de Joaquin Phoenix, mais malheureusement, cette proposition peine elle aussi à séduire le spectateur, bien qu’elle ne manque pas de substance.
Il faut bien reconnaître qu’en dehors de son acteur principal, le caractère très intime de Nos âmes d’enfants ne vise de toute façon pas un public large adepte de grand spectacle. Mike Mills propose ici l’histoire douce et planante de Jesse (Woody Norman), un tout jeune enfant excentrique et original, qui ne comprend que partiellement le monde des adultes qui l’entoure. Pris en étau entre sa mère célibataire (Gaby Hoffmann) qui se démène pour assumer le quotidien, et les frasques de son père bipolaire (Scoot McNairy) en pleine crise, le garçon lutte pour trouver du sens à la vie. Alors que ses parents doivent s’absenter, Jesse est confié aux bons soins de son oncle Johnny (Joaquin Phoenix), qu’il connaît à peine, et dont le métier consiste à interviewer des jeunes à travers l’Amérique pour qu’ils témoignent de leur vision de l’avenir. Tourner entièrement en noir et blanc, et épousant en grande partie le point de vue de Johnny, Nos âmes d’enfants met à nue cette relation complexe, et tente de tisser un pont affectif entre ces deux personnages solitaires.
Toute la problématique du long métrage s’articule autour de la compréhension de l’enfant, à laquelle Johnny ne parvient pas initialement. Nos âmes d’enfants dresse un bien triste constat, celui qu’à mesure que l’âge nous gagne et que les épreuves nous assaillent, nous perdons tous une part de candeur et d’émerveillement difficile à retrouver. La reconnexion avec cette forme d’essentiel propre à l’enfance est le dilemme central du film, et Mike Mills choisit de placer la vérité du cœur chez les plus jeunes. De la relation conflictuelle qui se tisse émergent deux mondes que tout oppose, l’un inconscient des affres de la vie, l’autre blasé et nihiliste. Johnny et Jesse sont les témoins d’un rapport de force étrange, où le pouvoir n’appartient pas nécessairement au plus mature, mais davantage à l’enfant. Il en résulte une forme d’ingratitude: aussi bienveillant soit Johnny, un nombre incalculable de ses efforts ne sera pas récompensé, et ses tâtonnements peuvent parfois se révéler dramatiques pour l’équilibre de Jesse. Nos âmes d’enfants n’est pourtant pas donneur de leçons, et au cours de la lecture d’un passage d’un essai sur la maternité, le long métrage fait preuve d’une grande compassion pour les figures parentales, renvoyées à l’impossibilité de leur tâche.
Nos âmes d’enfants prône une solution simple, celle d’accepter ce que l’on est, de se mettre à nu, et d’avancer malgré ses erreurs. L’oncle de Jesse se trompe régulièrement, et Mike Mills ne déverse pas de fiel sur lui pour ses errances. Il exige toutefois de son personnage la force de demander pardon à l’enfant, dans des scènes très intimes où Johnny se livre à cœur ouvert. La sincérité difficile à retrouver pour l’adulte se heurte à celle sans filtre de l’enfant, qui confie malgré lui des secrets de famille que chacun a préféré taire. Mike Mills définit lui-même les scènes où Joaquin Phoenix donne le bain à Woody Norman comme l’âme de son œuvre, l’instant où toutes les vérités s’expriment. Vouloir jouer un rôle, selon des modèles établis par des dogmes sociétaux, est lourdement condamné par le long métrage, et comme un symbole, la symbiose totale entre Johnny et Jesse culmine dans une séquence où ils participent à un carnaval de la Nouvelle-Orléans. Au milieu des gens costumés, eux sont sans grimage, l’enfant juché sur le dos de son oncle. À cet instant, leur relation est enfin vraie.
Si l’essentiel du récit est éprouvé à travers le regard de Johnny, Nos âmes d’enfants fait également le choix de laisser une grande place à la vision des jeunes américains sur le monde qui les entoure et sur un avenir souvent décrit comme incertain. Au fil des interviews que conduit l’oncle, une vision désabusée des adolescents sur notre société émerge, et le film gagne une dimension supplémentaire. D’abord attentiste, Johnny apparaît de plus en plus complice avec les cibles de ses questions, comme si sa relation avec Jesse lui avait ouvert une porte vers une sensibilité plus grande. Après l’étalage de la fracture entre les générations, Mike Mills cherche à réunir les âges, à travers l’écoute. La réalité est toutefois cruelle et sinistre: l’un de ces interviewés dans le film a trouvé la mort pendant la post-production, et le film lui est dédié dans l’unique séquence en couleur, au cours du générique de fin.
Aussi concrète soit la vision des enfants, Nos âmes d’enfants cherche toutefois à évacuer la naïveté et la candeur de leur regard. Le monde des adultes est violent, et la relation entre Johnny et sa sœur est conflictuelle, ponctuée de drame et de mort. Cependant, le film ne casse pas sa logique, celle de nous ramener parfois à hauteur des plus jeunes, de revenir vers eux. Pour étaler le décès de la grand-mère de la famille, où pour rendre compte des difficultés liées à la bipolarité du père de Jesse, Mike Mills fait le choix de flashbacks sur un rythme haché, dont on ne perçoit que quelques bribes. À l’instar d’une jeune tête blonde, tous les éléments ne sont pas à notre porté, le long métrage garde sa part de secret, et par ce stratagème habile, le spectateur est confronté à une réalité dont il ne saisit pas l’entièreté, mais souvent juste des instantanés entraperçus à travers une porte à moitié close. Le noir et blanc voulu par Nos âmes d’enfants y fait écho: l’enfant voit les choses en deux dimensions, de façon un peu sommaire, et le public est plongé dans cette condition.
À l’image du langage cinématographique qu’il expose, Nos âmes d’enfants affiche donc la vérité dans un juste milieu. L’enfant doit se confronter au monde, mais l’adulte doit lui s’imprégner de la vérité propre à la sincérité des jeunes années. En réunissant Johnny et Jesse dans quelques scènes fusionnelles, le film cherche l’équilibre pour faire évoluer les mentalités. Un accessoire particulier alimente cette thèse: le micro que l’oncle emploie pour ses interview, et qu’il laisse être manipulé par l’enfant, selon ses souhaits. Alors que Johnny capte la parole des gens, Jesse s’attèle lui à capturer des sonorités plus abstraites, comme le bruit des vagues ou celui d’un skate-park. L’image réelle du monde est entre ces deux idées, une fusion entre les gens et l’environnement qui les entoure.
Nos âmes d’enfants a pour lui la sincérité du cœur, celle d’un adulte qui souhaite comprendre une enfance qui se dérobe à lui. Tout en douceur, Mike Mills nous rappelle aux souvenirs fugaces de notre passé, et prône la réconciliation.
Nos âmes d’enfants est disponible chez Metropolitan Filmexport, dans une édition Blu-ray comprenant:
- Un making-of
- Des commentaires audio
- Des featurettes