Les Garçons de la Bande

(The Boys in the Band)

1970

Réalisé par: William Friedkin

Avec: Kenneth Nelson, Péter White, Leonard Frey

Film vu par nos propres moyens.

Deux hommes pour un film

Fer de lance du Nouvel Hollywood, le cinéaste William Friedkin connaît une carrière ponctuée de hauts et de bas. Si certains de ses films ont connu une gloire immédiate, à l’instar de L’Exorciste ou French Connection, d’autres ont dû attendre de nombreuses années pour être réhabilités. Sorcerer est par exemple reconnu aujourd’hui comme un chef-d’œuvre alors qu’il fut un bide total à sa sortie. Mais Friedkin est aussi un homme impertinent, auquel sont associées plusieurs polémiques fortes. La plus notable restera sans doute à jamais celle qui a entouré le tournage et la sortie de son Cruising, une plongée crue dans l’univers gay SM des années 80, auquel nous consacrerons très prochainement un podcast. La communauté homosexuelle de l’époque s’était vivement offusquée de cet essai, déplorant l’image offerte par le réalisateur alors qu’il cherchait à cibler une frange bien particulière du mouvement, loin d’en faire une généralité.

Pour apporter du contrepoids à la mauvaise réputation qui a longtemps collée à la peau de William Friedkin, il nous a semblé intéressant, en amont de notre pastille audio, de revenir sur un autre long métrage du cinéaste, également inscris dans l’univers gay new-yorkais, mais bien plus militant. Dès 1970, le réalisateur porte à l’écran une pièce à succès de Mart Crowley: Les Garçons de la Bande. Une collaboration totale avec le dramaturge puisque ce dernier est impliqué à la production et dans de nombreux choix artistiques: à plus d’un égard, le film doit sa paternité aux deux hommes.

Les Garçons de la bande

Dans un studio de la ville qui ne dort jamais, une fête d’anniversaire prend place. Y sont réunis une brochette d’amis, ayant tous pour point commun d’être homosexuels et couvrant un large spectre de ce qui fait l’identité gay de l’époque. Passé les sourires de façade et la bonne humeur des premières minutes, la soirée vire au drame et les tensions éclatent au grand jour lorsqu’un invité inattendu débarque, en pleine crise existentielle sur sa propre sexualité.

Courage artistique

Les Garçons de la Bande semble animé par une bonne volonté perpétuelle: celle de mettre en avant une partie de la population obligée de vivre cachée, au moins partiellement, pour ne pas subir les plus vives injures de la société. Les regards de William Friedkin et de Mart Crowley, se font compréhensifs et compatissants. Si le long métrage n’échappe pas à certains clichés de son époque, il sait aussi faire preuve d’un certain courage: proposer un film sérieux, où presque tous les personnages sont homosexuels, en 1970, alors que la société intolérante en fait des parias, est un acte de bravoure assumé.

Ce qui s’affirme à l’écran se vérifie en coulisse: Friedkin et Crowley reprennent presque intégralement le casting de la pièce de théâtre originale, mettant en avant des comédiens eux aussi homosexuels. Un gage d’authenticité certain qui s’éprouve à l’écran. L’émotion apparaît sincère, le poids du vécu s’imprègne sur les performances d’acteurs. Le funeste destin ne sera malheureusement pas tendre avec le casting: le SIDA emportera 5 de ses membres dans les années suivant le film.

Amour interdit

Au cœur du scénario, les sentiments. D’un bout à l’autre, Les Garçons de la Bande n’a de cesse de définir le concept amoureux, au sein d’une minorité obligée de le vivre caché. Si c’est l’amitié qui unit nos protagonistes, bien que certains soient en couple, c’est la vérité du cœur dans ce qu’elle a de plus pur que Friedkin et Crowley mettent en avant. On a devant nous une œuvre où les tabous sont exposés de manière claire et où les diktats de la société se font éprouvants.

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Tout en retenue, Les Garçons de la Bande n’impose d’ailleurs pas d’antagoniste affirmé. En se contentant de prendre place dans un seul et unique lieu, le film nous fait éprouver la pression d’un monde rétrograde qui pèse sur ces hommes de façon implicite. Ce sont dans les témoignages des protagonistes qu’on comprend l’intolérance qui les entoure au quotidien. Friedkin le souligne de sa mise en scène, en choisissant des cadrages au plus près des visages de ses héros, éprouvés par une vie vécue cachée et le mal-être qui en découle.

L’union n’est pourtant pas de mise dans le film. Les jugements entre ces amis sont omniprésents, et marquent le point culminant de la tension dramatique. Ce qui débute par de simples piques implicites se termine en pugilat, parfois physique. Il n’y a pas que la société qui stigmatise leur sexualité, eux-mêmes se reprochent mutuellement certains élans de leur personnalité. D’un côté de l’éventail, on critique la façon d’être efféminée de certains, de l’autre la virilité de façade et le silence d’autres.

Le théâtre de la vie

Pourtant le mutisme, c’est loin d’être ce qui caractérise le plus Les Garçons de la Bande. Le long métrage s’appuie sur un débit de parole extrêmement soutenu, pour ne pas dire trop imposant. C’est sûrement là que se ressent le plus la patte de Mart Crowley, tant les échanges semblent s’inscrire dans une tradition théâtrale. On nage dans une espèce de confusion perpétuelle, probablement volontaire, à mesure que le ton monte et que les portes claquent. Pas un instant de répit pour le spectateur mis au cœur de la mêlée.

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William Friedkin se plie à l’exercice, peut être de façon trop attentiste dans les premières minutes qui se rapprochent davantage du théâtre filmé que du 7ème art. Si sa direction d’acteur est constamment impeccable, il faut attendre la moitié du film pour que son cinéma éclate au grand jour. Dans une scène de transition qui marque le basculement entre la légèreté et le drame, Friedkin nous propose des visuels évanescents, presque allégoriques, où il n’hésite par exemple pas à teinter de rouge son image. Une ultime oasis de confort avant que Les Garçons de la Bande ne se transforme en tragédie lourde et savamment orchestrée. Toute la seconde partie du film impose un certain climax, diablement ludique dans la forme, éprouvant émotionnellement au premier degré.

Les Garçons de la Bande a été édité en DVD par Carlotta et reste facilement trouvable ainsi.

William Friedkin et Mart Crowley font preuve d’un certain courage avec Les Garçons de la Bande, magnifié par une intelligence de propos et une tension intense dans la seconde moitié du long métrage.

Nicolas Marquis

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