Les feux du théâtre
Les feux du théâtre affiche

(Stage Struck)

1958

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: Susan Strasberg, Henry Fonda, Christopher Plummer

Film vu par nos propres moyens

Il était inscrit dans le grand livre du septième art que les débuts au cinéma de Sidney Lumet seraient intimement liés au théâtre. Après avoir adapté pléthore de pièces pour la télévision, et surtout suite à sa vision de Douze hommes en colère qui marquait son art d’une pierre blanche, le réalisateur d’alors 34 ans n’est en fait qu’au coeur d’un cycle faisant la part belle aux planches, comme en témoigne cette relecture des Feux du théatre, tiré d’une oeuvre de la dramaturge iconique de Broadway, Zoe Akins. Pour son deuxième long métrage, Sidney Lumet fait donc un choix de sécurité, s’appuyant sur une structure narrative qu’il pense alors maîtriser, et réaffirmant son amour du théâtre. Mais on ne naît pas toujours génie, il faut parfois du travail, des erreurs, et des leçons pour évoluer et progresser. À plus d’un titre, on pourrait même juger cette pellicule mineure voire anecdotique dans la carrière du maître, et pourtant, en soulignant ses quelques erreurs, on peut y voir la silhouette d’un style qui n’en est qu’à ses balbutiements mais qui s’affirme progressivement. Ironie du destin, Les feux du théâtre est l’un des derniers film RKO à être distribué: une légende meurt tandis que l’autre naît.

Comme trop souvent, pour bien cerner l’histoire qui nous est livrée, il vaut mieux se référer au titre original du film qu’à sa traduction approximative. “Stage Struck”: littéralement “frappé par les étoiles”, est une expression qui désigne ceux dont la passion du théâtre s’est muée en obsession et qui se rêve acteur émérite. Notre héroïne est une de ces illuminés des projecteurs, hypnotisée par le succès et le talent qu’elle s’imagine: Eva Lovelace, interprétée par Susan Strasberg. Quittant sa campagne pour gagner Broadway dans l’espoir d’un premier rôle, la frêle mais déterminée jeune femme s’immisce dans les coulisses des répétitions d’un metteur en scène a succès. Malheureusement, ce monde est très hermétique et les portes du théâtre ne s’ouvriront pas immédiatement pour Eva, jusqu’à ce que la romance s’en mêle.

Les feux du théâtre illu 1

Avant de livrer notre ressenti mitigé sur la façon qu’à Lumet de traiter son sujet, il convient de se questionner sur l’œuvre originale et la structure narrative qu’elle propose. Sans vraiment cacher son intention, Zoe Akins livre un véritable conte de fée à travers de nombreux artifices, mais ou les princes et les princesses sont des metteurs en scène et des stars. Impossible de ne pas voir chez la téméraire Eva, le spectre d’une Cendrillon qui s’affaire aux basse-tâches avant de rencontrer un amour contrarié par le contexte. La recette est connue, pourrait s’avérer savoureuse, mais Lumet semble commettre plusieurs erreurs dans son déroulé scénaristique. On ne cerne jamais totalement le personnage principal tant ses revirements moraux peuvent paraître douteux. Si dans les premiers temps on adopte cette ingénue, on s’explique difficilement les choix de son cœur qui apparaissent contradictoire à notre époque. Sans faire de procès d’intention anachronique sur la masculinité à un film des années 50, on constate tout de même qu’Eva ne s’évalue presque que par rapport aux hommes, même passée une période d’émancipation. Les feux du théâtre ne fonctionne tout simplement pas.

Ce relatif échec, si tant est qu’un Lumet raté ne soit pas tout de même un film solide, s’explique par plusieurs raisons ostensiblement visibles à l’écran. La première, c’est la performance clairement surjouée de Susan Strasberg. On est immédiatement agressé par ses minauderies, sa candeur agace au plus haut point et annihile l’attachement initial au personnage. L’actrice semble hors du rôle, dans une surenchère très malvenue qui ne lui permet d’ailleurs même  d’exister ni aux cotés d’Henry Fonda, cela on pouvait s’y attendre, ni lorsqu’elle partage l’écran avec Christopher Plummer dont c’est pourtant le tout premier rôle. On exige en réalité de Susan Strasberg un registre bien particulier qui n’est pas donné à toutes les personnes de son âge. La frontière est mince entre jouer la mauvaise comédienne et apparaître soi-même comme une mauvaise interprète, et malheureusement on franchit trop régulièrement la limite. Dès lors, une saillie verbale qui suggère à Eva de s’inscrire au prestigieux Actor’s Studio ne résonne plus pareil. Là où Lumet offrait un trait d’esprit, la mère de Susan Strasberg étant elle-même professeur dans cette école, on voit poindre un cynisme complètement involontaire.

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Toutefois, consacrer un cycle à un réalisateur, comme nous le faisons actuellement avec Sidney Lumet, n’est pas une excuse à la complaisance: le cinéaste est lui aussi responsable du manque de relief des Feux du théâtre à plus d’un titre. Sa première erreur, on voudrait lui pardonner car elle vient du cœur. Le metteur en scène apparaît comme un passionné de théâtre et joue probablement trop la retenue au moment de porter, même légèrement, un doigt accusateur sur le star-système. Certes le génie offre une frontière intéressante dans son approche, il impose l’écran comme une barrière entre le spectateur, et non pas le spectacle mais les coulisses de celui-ci. On se plaît à être petite souris dans cet univers, mais la chronique est idéalisée grandement, et ne développe pas ses personnages de manière aussi poussée qu’Une fille de la province, sorti 4 ans auparavant et indéniablement une source d’influence pour Lumet.


L’autre imperfection inhérente aux Feux du théâtre vient de sa direction d’acteur. Lumet à l’habitude de mettre en image des pièces, il s’y sent bien, et sans doute trop. On passe trop souvent le seuil critique qui sépare le film du théâtre filmé. Il y a dans le mouvement des personnages un sentiment qu’on attribue d’ordinaire plutôt aux planches qu’au septième art, un manque de naturel et de réflexion par l’image. Le réalisateur se repose trop sur une colonne vertébrale qu’il maîtrise et n’offre que très peu de souffle visuel à son récit. On pourrait mettre en avant certains instantanés, qui unissent le plus souvent Eva et l’un de ses courtisans, qui elles ont une charge émotionnelle, mais dans les échanges on ne retrouve pas le talent pour la photo qui définissait Douze hommes en colère. Le visuel et la composition des cadres ne répondent pas au scénario, Lumet fait le choix du risque minimal pour son deuxième film et l’appréciation formelle s’en ressent.

Parfois le talent n’est pas inné, il se construit. Pour son deuxième film, Sidney Lumet trébuche par manque de courage et de liberté. Mais l’exercice saura à coups sûr lui inculquer quelques leçons pour l’avenir.

Nicolas Marquis

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