(The invisible ray)

1936

de Lambert Hillyer

avec : Boris Karloff, Bela Lugosi, Frances Drake,Frank Lawton

Film fourni par Elephant films

Le docteur Janos Rukh (Boris Karloff), scientifique excentrique vivant aux Carpates, convie un jour ses collègues pour leur parler de sa découverte. Il pense qu’une météorite chargée d’un nouveau type d’énergie, le Radium X, s’est écrasée en Afrique. Il décide de se rendre sur place pour mener des recherches, mais celles-ci vont mal se passer. Rukh est contaminé par le Radium. Il tombe progressivement dans la folie malgré l’aide apportée par le docteur Benet (Bela Lugosi).

Le retour des monstres sacrés.

Comme nous l’avions vu précédemment dans Alerte la nuit et La cité pétrifiée, Universal cherche à diversifier ses projets dans les années 30, pensant que les films de monstres avaient fait leur temps. Ils se tournent donc vers la science-fiction avec des petites productions efficaces. Le studio ne laisse cependant pas tomber ses grandes stars de la galaxie Universal Monsters. 

Dès 1935, les producteurs cherchent un moyen de réunir à l’écran deux de ses plus grandes légendes: Bela Lugosi et Boris Karloff. Dans ce but, différents scénarios sont étudiés et finalement, c’est un certain Death Ray qui séduit ces messieurs d’Universal. Un premier réalisateur est engagé, Stuart Walker qui quitte finalement rapidement le projet suite à des désaccords avec le studio. C’est Lambert Hillyer, spécialiste en western à petit budget qui reprend le film en main qui s’appelle à présent : The invisible ray.

Le tournage d’un budget de 167 000 Dollars débute et malgré l’emploi d’anciens décors pour économiser, il apparaît rapidement que le budget est insuffisant pour mettre en image cette histoire de scientifique fou. Universal rajoute donc 68 000 Dollars et le film prend un retard de 25 jours. Finalement, lorsque celui sort en 1936, il ne rencontre pas le succès que les producteurs espéraient et sa suite est annulée. Pourtant le film sera remarqué par la critique et salué pour les effets spéciaux de John P Fulton qui avait déjà impressionné sur L’homme invisible en 1932. Karloff et Lugosi sont tout autant appréciés pour leur travail.

La magie de la science

Le rayon invisible, mélange parfaitement deux genres : le conte gothique et la science fiction.  La science nous est présentée comme quelque chose de magique. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas encore son but ou ses progrès qu’ils ne sont pas là. Ils apparaissent devant nous lorsque nous sommes prêts. Dans l’introduction du film,règne une véritable ambiance de sorcellerie. La mère et la femme de Rukh nous sont présentées comme des sorcières dans leurs tenues de cérémonie, scrutants le ciel à la recherche d’un présage. on a même une référence à l’alchimie, lorsque le matriarche parle des expériences de son fils, allant contre la nature. Ainsi le réalisateur nous introduit cette science comme quelque chose de dangereux. 

Par la suite, le film nous la montre au contraire comme quelque chose de miraculeux qui émerveille et rempli de promesses pour l’avenir de l’humanité. Steven Spielberg reprend cette structure des années plus tard dans Jurassic Park pour installer son histoire et faire monter la pression dans son audience. Bien qu’il n’y ai pas ici de T Rex, Hillyer réussi pour l’époque le même exploit, lorsque les choses tournent mal et que le pauvre Dr Rukh est contaminé par le fameux Radium X, le public est à la fois horrifié et triste pour cet homme qui ne semble avoir que de bonnes intentions. 

Le réalisateur est toujours efficace dans la construction de ses plans et ses intentions. Nous ne pouvons qu’assister tristement à la descente dans la folie et la paranoïa du scientifique . Il a voulu jouer à dieu, en décidant  qui doit vivre ou mourir, il n’a pas respecté les règles, ni craint suffisamment la science et celle-ci l’a puni.

Rukh voit les autres et notamment son confrère le docteur Benet comme un voleur, l’ayant privé de sa découverte mais par la réalisation et les dialogues nous comprenons que le personnage essaye au contraire de prévenir son collègue du danger de garder ce pouvoir pour lui seul. La science pour réaliser ses miracles doit être partagée. Lugosi par son jeu tout en retenu appuis parfaitement cet argument apportant ainsi au personnage une certaine sagesse face à Karloff, toujours partagé entre sa nature aimante et sa folie. Cet affrontement de conscience est hypnotisant et participe pleinement à la réussite de l’œuvre.

Le nouveau Vampire

Un autre point passionnant dans ce Rayon invisible, réside dans la  façon qu’a le réalisateur ainsi que le scénariste John Colton, de jouer avec les codes des films de la figure du vampire. 

Dans le film, ce n’est pas Lugosi qui prête ses traits à ce Dracula moderne mais Boris Karloff. Janos Rukh vit aux Carpates dans un  grand château isolé, il est entouré de femmes, il est mystérieux. Lorsque ses invités arrivent, il les hypnotise en utilisant sa science qui représente ici son pouvoir, pour les asservir. On retrouve dès ce début de film, les attributs ainsi que l’esthétique gothique qui caractérisent le célèbre vampire incarné d’habitude par Lugosi. Le film joue également sur les ombres et notamment celle de Karloff, nous rappelant ainsi l’esthétique du surréalisme allemand et le fameux Nosferatu.

Le scientifique est bien le nouveau monstre de notre époque, il est charmeur mais lorsqu’il attaque et contamine, l’homme de science est tout aussi effrayant que le célèbre conte. L’appel du pouvoir et du radium X est ici équivalent à la soif de sang du vampire. Karloff subit les différentes étapes et souffrances qu’éprouve la victime contaminée avant de devenir cette créature de la nuit. Il perd petit à petit son humanité, la nuit lui donne ses pouvoirs et lorsqu’il met en scène sa propre mort, nous comprenons alors que tout est perdu, qu’il ne pourra plus revenir. Encore une fois Karloff éblouit par  son jeu. On souffre avec lui, on a peur de lui  et pour finir, nous sommes triste pour lui. Il apporte beaucoup de noblesse à cette histoire.

Lugosi n’est pas en reste de son côté, c’est une autre figure qu’il interprète pour nous. Le vampire ne serait rien sans un chasseur pour l’arrêter. Il incarne ici, une version de Van Helsing. Il est celui qui comprend le drame qui se joue. Benet avertit  les autorités , les aide à mettre en place un piège adapté à ce nouvel ennemi. Nous assistons dès le début du film d’ailleurs à une joute verbale des plus savoureuses entre les deux acteurs. On ressent un certain amusement et en même temps un grand respect. L’idée d’adapter une figure gothique classique à une époque plus tournée vers l’avenir est excellente. On sent que rien ne se perd, tout se transforme. Le réalisateur par cette thématique fait ainsi le lien avec son introduction : la science et la magie c’est pareil.  Elle nous fait rêver et nous fait frissonner en même temps. 

Le rayon invisible est un magnifique divertissement mariant parfaitement le passé et le futur d’Universal autour de ses deux acteurs les plus cultes. Le film est une interprétation moderne du mythe de Dracula vu par le prisme de la science. Celle-ci est une drogue aussi puissante et destructrice que le sang pour le vampire. Lambert Hillyer laisse transpirer durant le long métrage son amour pour ces figures classiques et ses incarnations . Encore une fois Elephant Films nous propose un délicieux bonbon.

Le rayon invisible est disponible chez Elephant films avec en bonus :

– le film vu par Eddie Maine

– des bandes annonces

– un livret de Alain Petit