La Leçon d’allemand
La leçon d'allemand

(Deutschstunde)

2022

Réalisé par: Christian Schwochow

Avec: Levi Eisenblätter, Tobias Moretti, Ulrich Noethen

Film fourni par Wild Side

À l’heure où le monde semble à nouveau au bord du précipice et où les tensions internationales sont à nouveau exacerbées par les dirigeants les plus détestables, l’Histoire se rappelle à nous par le biais de l’art. Derrière le jeu des puissants se cache des millions de personnes dont la souffrance ne saurait être ignorée. Une guerre n’oppose jamais une population à une autre, simplement deux armées, et nombreux sont les civils meurtris par les choix absurdes de leurs propres chefs d’État. Au siècle dernier, le peuple allemand a connu cette épreuve, tout comme certains le vivent aujourd’hui: pour assouvir leur joug tyrannique, les despotes doivent avant tout museler les esprits libres de leur nation. Le cinéaste Christian Schwochow nous propose de faire cette expérience éprouvante dans La Leçon d’allemand, adaptation d’une nouvelle de Siegfried Lenz

Une histoire qui se déroule en deux temps: dans une prison pour jeunes délinquants, Siggi, un détenu, rend copie blanche pour une rédaction ayant pour sujet “Les joies du devoir”. Placé à l’isolement devant sa désobéissance, le garçon s’acquitte finalement de sa tâche, mais son écrit se transforme en confession sur son enfance. Dans un flashback gigantesque qui constitue la grande majorité du long métrage, Siggi (désormais sous les traits de Lévi Eisenblätter) se révèle à nous en tout jeune garçon d’un village reculé, en pleine Seconde Guerre mondiale. Il est le fils de Jens (Ulrich Noethen), un terrifiant agent de police, fidèle au régime nazi et à ses lois écœurantes. Notre petit héros torturé se retrouve rapidement pris en étau dans la querelle qui oppose son père à Max (Tobias Moretti), son parrain et peintre local, interdit d’exercer son art. Siggi est tiraillé entre la peur de Jens, et l’affection qu’il porte à Max.

Christian Schwochow établit son récit dans un cadre tout à fait spécifique: le village de Siggi est relativement rudimentaire, isolé de tout, et seule une poignée de maisons dispersées en rase campagne le constitue. Loin des champs de batailles où meurent les hommes, le décor semble comme une parenthèse où la guerre est un concept lointain, qui se rappelle toutefois à nous régulièrement avec une certaine surprise. Les lois détestables du régime nazi n’en semblent que plus absurdes, là où une certaine sérénité régnait auparavant. Quelle importance qu’un peintre s’évertue à représenter les mouettes et la mer ? Quel danger représente-t-il pour les autres ou même pour les tyrans de son pays ? Pourquoi le réprimander avec violence ? Coupé du monde, le village subit tout de même les dérives de son temps.

Photo Georges Pauly
Photo Georges Pauly

Pour appuyer visuellement l’originalité de son cadre, Christian Schwochow stylise son image à l’extrême. Sa représentation somptueuse des plaines, mais surtout des dunes et de la mer est proche de l’expressionnisme, et répond à la profession de Max qui s’adonne d’ailleurs à son métier dans ces étendus de nature. Une intention se cache derrière cette démarche: le cinéaste est maître d’un environnement qu’il choisit de rendre parfois presque abstrait, sans jamais franchir la limite, ce qui lui permet de transformer La Leçon d’allemand en véritable conte moral et philosophique.

Dans cette atmosphère unique, c’est avant tout le statut du père de famille qui est remis en cause. Soldat de pacotille, loin des horreurs des combats, impeccablement vêtu de son uniforme au blason détestable, il fait office de fouet prompt à s’abattre sur n’importe lequel des protagonistes. Que ce soit dans son conflit avec Max, ou même envers sa propre famille, Jens est capable des pires sévices pour peu que sa hiérarchie lui ordonne. Son sens du devoir est irréprochable, certes, mais sans réflexion sur les mesures qu’il applique. L’immondice de ses actions lui échappe totalement, il reste aveuglé par une mission aussi idiote que cruelle. La Leçon d’allemand fait peser une forme de jugement sur les derniers maillons de la chaîne, ceux qui ont mis en application les plus ignobles mesures. Là encore, les parallèles avec notre présent sont glaçants.

© 2019 NETWORK MOVIE Film-Und Fernsehproduktion Jutta Lieck-Klenke,SENATOR FILM KÖLN, ZDF. Tous droits réservés
© 2019 NETWORK MOVIE Film-Und Fernsehproduktion Jutta Lieck-Klenke,SENATOR FILM KÖLN, ZDF. Tous droits réservés

Mais le film ne se contente pas de subir l’influence de cet antagoniste, il veut aussi donner une réponse, certes précaire mais présente coûte que coûte. La résistance s’articule autour de l’art, que ce soit l’acte de créer une œuvre, ou celui de la préserver. Alors que Jens informe Max de l’interdiction de peindre qui le frappe désormais, l’artiste choisit de continuer malgré tout. Pire, alors qu’il se cantonnait jusqu’à lors à des représentations de paysages tout à fait innocents, Max caricature cet officier imbécile. Si le père de Siggi transmet la haine en héritage à son fils, son parrain tente de lui inculquer avec davantage de succès la force de la poursuite artistique, de ce cri de liberté face à l’oppression.

Toutefois, cette dualité d’influence perturbe Siggi, et la graine de corruption est semée. Oui, l’enfant sauvegarde les tableaux du peintre qu’il peut substituer aux perquisitions des bourreaux, mais ici Christian Schwochow accomplit un geste de mise en scène particulier. Siggi cache les toiles dans une maison abandonnée (dont le sort des anciens habitants semble funeste sans être affirmé), et s’y recueille religieusement à intervalles réguliers. Mais le cinéaste y dispose également des symboles de mort explicites: la représentation d’un personnage décédé, ou plus allégoriquement des cadavres de mouettes qui jonchent le sol.

© 2019 NETWORK MOVIE Film-Und Fernsehproduktion Jutta Lieck-Klenke,SENATOR FILM KÖLN, ZDF. Tous droits réservés
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Le rôle même de Siggi montre tout de même qu’il n’y a pas de personnages faibles dans La Leçon d’allemand, qu’ils soient hommes, femmes, ou même enfants. Peut être même Christian Schwochow fait des protagonistes féminins de réels rappels à l’ordre pour les autres, entendus ou non. Elles n’ont rien de fragiles, elles s’opposent, s’affirment, s’indignent. Elles n’ont certes pas les premiers rôles, mais de la femme de Max à la sœur de Siggi, elles se révoltent. Comme symbole de leur force et de leur refus de la peur, une séquence d’apparence anodine devient criante de vérité: un avion largue des bombes sur le village, Jens et Max se ruent au sol, tandis que l’épouse du peintre reste elle debout, vaillante.


La guerre reste pourtant un traumatisme posé dès l’entame du film: il est implicite que si Siggi est dans un centre de détention pour mineur, alors que la guerre est finie, c’est parce que les conflits l’ont profondément perturbé. Cette période de sa vie est une blessure ouverte et ses confessions sont comme un pansement. Sa mauvaise éducation en a fait un être attachant mais déviant, l’écrit sera sa guérison. Un chemin tortueux que le spectateur arpente en même temps que le héros.

La Leçon d’allemand est disponible en VOD du coté de Wild Side

Fougue visuel, profondeur du propos, intensité de chaque instant… La Leçon d’allemand est une belle réussite, un film nécessaire.

Nicolas Marquis

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