Occuper l’Allemagne 1918-1930

2019

réalisé par: Jérôme Prieur

À découvrir gratuitement dans le cadre du festival « Vision d’Histoire » au cinéma « Caroussel » de Verdun, le samedi 17 octobre 2020 à 14h en compagnie de Jérôme Prieur

Autre documentaire présent dans la sélection “Vision d’Histoire”, le film qui nous intéresse aujourd’hui, “Occuper l’Allemagne 1918-1930”, s’impose comme une oeuvre complémentaire d’“Apocalypse: la paix impossible”, lui aussi dans le panel des films proposés. Les deux longs-métrages entendent exposer les difficultés politiques qui règnent en Europe après l’armistice de 1918. Mais là où “Apocalypse” essayait de couvrir l’intégralité des enjeux politiques de cette période trouble, Jérôme Prieur, le réalisateur d’“Occuper l’Allemagne 1918-1930” va se placer à une échelle plus intime, plus proche des soldats et des civils pris dans le tumulte des jeux des puissants.

Première agréable surprise, Jérome Prieur possède un véritable talent de conteur. En retraçant le fil de l’Histoire dans une époque où la France colonise presque l’Allemagne, sa voix-off omniprésente n’en est pas moins agréable et son phrasé fluide.

On est toutefois un peu plus mesuré sur certains artifices de réalisation: les incursions d’images en couleur par exemple, alors que le film est essentiellement en noir et blanc, semblent parfois dissonantes. Autre détail, les virgules musicales dramatiques un peu “too much” même si le contexte s’y prête. Très franchement, on pinaille et le confort de visionnage n’est pas altéré par ces procédés.

Autre force du film, les citations qu’utilisent le cinéaste. Là où “Apocalypse” nous avait semblé trop pompeux, Jérôme Prieur se contente ici essentiellement de citer des quidams plus ou moins influents, et toujours dans un style très descriptif qui aide à l’immersion.

Rentrons dans le vif du sujet: en retraçant ces années compliquées pour l’Europe, Jérome Prieur nous expose toute la défiance qui règne entre une population victorieuse qui exige réparation, la France, et un pays aux abois économiquement du fait des dédommagements exigés, l’Allemagne.

« On aimerait la même voiture. »

Deux populations qui n’arrivent pas à cohabiter, la guerre étant encore dans toutes les têtes. Parlons d’abord des soldats français mobilisés dans le pays adverse. Loin de leur famille, le temps semble long et l’occupation imposée par les chefs d’états sape le moral des troupes françaises. Malgré le bouillonnement culturel allemand de l’époque, c’est avec le coeur lourd que les militaires écrivent à leurs compagnes des lettres remplies d’une forme de déprime. Pour eux, le retour au bercail est reporté et la guerre ne s’est peut-être pas vraiment arrêtée.

Mais c’est surtout côté allemand que la défiance atteint son paroxysme. Humiliés par un traité de Versailles qui va mettre le pays aux abois, ils vont vivre l’invasion française comme une injure. Maintenus la tête sous l’eau par des lois absurdes (comme se décoiffer devant un soldat français), on sent déjà poindre la révolte.

Ce sentiment va se cristalliser autour des troupes indigènes françaises venues d’Afrique. Accusées à tort de vol, de violence, de viol, on assiste déjà au début d’une espèce de racisme qui offrira un terreau fertile au nazisme. Les allemands souffrent et les politiques en profitent pour leur désigner un ennemi.

« Occuper l’Allemagne 1918-1930” c’est aussi un témoignage à travers les images d’archives d’une époque où la guerre ne s’est pas véritablement arrêtée, mais plutôt mise entre parenthèses. Dans ce documentaire, on saisit assez bien comment les allemands ont pu faire des choix politiques désastreux: pour eux, l’incursion française est vécue comme une agression. Que l’Histoire aurait pu être bien différente si le traité de Versailles eût été moins oppressant. Une guerre s’achève à peine que les graines de la suivante sont déjà semées.

La paix est-elle possible dans une telle logique d’humiliation, notamment économique? Asseoir sa domination sur une population, c’est lui donner des raisons de se révolter. Évidemment, on ne s’attend pas à ce que les familles endeuillées de chaque camp se serrent la main, mais “Occuper l’Allemagne 1918-1930” saisit parfaitement comment cette “paix” était purement factice.

En une petite heure de temps, Jérôme Prieur délivre un cours d’Histoire captivant et indispensable pour qui veut comprendre la source des horreurs du 20ème siècle.

Nicolas Marquis

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