À peine remis de leur séance si marquante de “Si loin de l’enfer”, les Réfracteurs n’hésitent pas une seconde et apostrophe Maxime Simone. L’occasion est trop belle et on brûle d’envie de poser au jeune réalisateur quelques questions qui nous trottent en tête. Plein de gentillesse et de sincérité, le cinéaste accepte de se plier à l’exercice et en quelques phrases, une personnalité se dessine: celle d’un homme à l’image de son film, touchant et terriblement attachant.
Les Réfracteurs: Notre question traditionnelle, quel film te ressemble le plus et lequel t’aurais aimé faire ?
Maxime Simone: Me ressemble je ne sais pas, mais en tout cas, il y a des films avec lesquels j’ai beaucoup d’affinités, mais c’est pas vraiment des films de ma génération. Je dirais “À bout de course” de Sidney Lumet entre autres, mais il y a aussi un film que j’aime énormément mais c’est plus parce qu’il y a vraiment… Je sais pas… Des fois c’est bizarre, quand on aime un film, ça réactive des souvenirs en nous. C’est un truc totalement intime et personnel, c’est “Voyage au bout de l’enfer” de Michael Cimino. (Spike approuve fortement) Venant de Longwy, une vallée sidérurgique, à chaque fois c’est dingue, je repense à des repas de famille, à des trucs quand j’étais petit… J’ai connu, j’ai vu un peu les usines, il y a une chaleur comme ça…
Un esprit de famille…
Voilà, et du coup ce sont des films qui me sont personnels. Ce sont vraiment deux films très intimes pour moi.
A quel point c’est devenu fusionnel avec les intervenants de “Si loin de l’enfer”? Crystèle Renaudin a parlé d’amitié.
Ça s’est fait au fur et à mesure. On ne sait pas quand c’est un documentaire sur qui on tombe. Tout de suite, je suis tombé sur quelqu’un de très avenant et en fait, ça s’est fait très naturellement. Je pense que dans un tournage, il y a beaucoup d’éléments qui font qu’on peut se rapprocher parce que forcément, on rentre dans la vie de la personne, on passe beaucoup de temps avec et en plus, on essaye d’aller chercher des choses personnelles. J’ai eu de la chance, j’ai bénéficié du fait de jouer sur une sorte de proximité, d’amitié qui s’est développée, parce que c’est presque 2 ans de travail. Ça m’a permis d’aller justement sur des choses plus spontanées et de lui faire oublier la caméra. Je me rends compte des fois que quand je ne filmais pas, elle me parlait presque pareil. Il y a toujours un petit truc qu’on a du mal à effacer mais ça, j’étais très content, c’est vraiment ce que j’aime bien dans les films, arriver à saisir quelque chose de spontané. Pour Pierre Zani, je l’ai vu très peu. Son témoignage est plus douloureux donc il tenait à le dire et puis stop, après on n’en parle plus trop. Mais ça s’est quand même très bien passé et on est un petit peu en contact depuis. Après, il y a la distance parce qu’il est pas d’ici alors que comme je le dis au début du film, Crystèle Renaudin habite à 700m de chez moi, donc on pouvait se voir très facilement pour les tournages. Ça a été très facile, je le dis pas dans le film mais une fois, elle était chez moi et on a joué de la musique ensemble. Ça rapproche et oui, ça s’est un peu transformé en amitié. C’est vrai que maintenant ça me semble naturel, au début non, mais étant donné que c’est quelqu’un de très avenant, on est tout de suite en confiance. J’étais un peu plus impressionné par Pierre Zani, parce que la première fois que je le vois, il pleure. Déjà, quand il commence à parler de sa mère, j’étais derrière la caméra et je me suis demandé ce que j’avais fait. Mais ça s’est très très bien passé et dans le film, je tenais à ajouter des séquences où Pierre Zani se montre plus léger pour un peu contraster. Même si en effet, il est presque tout le temps les larmes aux yeux, il n’y a pas que ça. Des fois, il y a des petits souvenirs, des choses… Je trouve ça très beau dans le film, ça participe au contraste que je voulais faire. D’un coup, la vie surgit, un petit souvenir… C’est là que je trouve que ça devient important et je voulais aussi montrer un visage plus léger de ce descendant.
Quand tu fais un projet comme ça, que tu rentres chez toi le soir, comment tu fais pour déconnecter, pour penser à autre chose? Comment tu respires?
Je respire pas… (rires) C’est un peu le problème, ça m’a amené des difficultés, même au niveau de ma santé. Ça a été très difficile, je m’en rendais pas compte, mais ce sont des gens de mon entourage qui l’ont vu. J’ai commencé à entrer à fond dans le montage au moment du confinement et en fait depuis, c’est de 8h jusqu’à 20h, je mange et ensuite jusqu’à minuit voire 1h du matin, c’est montage, tous les jours… Avec ce film-là, je suis passé par des phases de doute très aigües et j’aurais dû déconnecter. Ça m’a mis dans des spirales assez négatives, mon entourage a du beaucoup me supporter. Quand on est seul, autoproduit, on doute beaucoup, on passe beaucoup à se dire “Mais finalement, tout ça c’est pour rien? Est-ce que c’est bien ce que je fais?”… On se pose énormément de questions. Quand il y a des éléments de soulagement, ça y est, ça remonte. Ca va mieux parce que là, j’ai le résultat. Mais moi j’ai pas réussi à déconnecter, je regardais même des films qui étaient en lien avec le documentaire. J’ai revu “Amen”, “Le labyrinthe du silence”, des documentaires… C’est devenu presque obsessionnel en fait. Je voulais visiter d’autres camps mais avec le confinement, c’est devenu compliqué. J’ai pas vraiment décroché sauf en regardant d’autres films mais c’était difficile. Ça ne fait que depuis que le montage est bien avancé que je me suis remis à regarder d’autres oeuvres. Je regardais 30-40 films par mois et pendant le documentaire, plus rien. Ça m’a embêté de pas déconnecter donc justement, j’ai revu “Voyage au bout de l’enfer” et d’autres films que j’aime beaucoup qui m’ont permis de respirer.
C’est quoi le parcours pour un documentaire? Tu vas passer de festivals en festivals pour l’instant?
Quand c’est autoproduit, on ne rentre pas forcément dans les critères de tous les festivals qui demandent des oeuvres professionnelles, qui ont une boîte de production derrière. Mais j’aimerais quand même tenter quelques festivals qui s’ouvrent aux autoproductions, notamment Lussas, les Etats généraux du film documentaire, le festival de Mellionnec en Bretagne. Ce sont des festivals qui prennent des films comme ça, donc forcément je vais postuler. Puis d’autres festivals plus régionaux comme “Vision d’Histoire”, je ne les connais pas encore tous. Je ne suis pas encore entré dans la phase promotionnelle du film, je suis encore dans les derniers rectificatifs (sourire) mais j’y penserai, c’est le but. Après, il y a la question de la diffusion sur Internet, en VOD… je n’y ai pas encore pensé. En tout cas, passer dans les cinémas, je trouve ça vachement important. Même s’il n’y a pas forcément beaucoup de monde, c’est pas grave, c’est la rencontre. On se dit “tiens, les gens voient ce que j’ai fait, ce n’est pas vain”. Avant, c’est très personnel, on est tout seul devant son écran de montage jusqu’au jour où on sait que les gens vont voir le film. Aujourd’hui, j’étais très stressé avant (rires). Hier, je me suis dit “ça y est, on y est, c’est maintenant”.
Pour la suite de ta carrière, tu as déjà des idées, des thèmes? Ou c’est encore trop frais?
J’ai du mal à lâcher mon bébé pour l’instant, je le peaufine jusqu’à ce qu’il soit prêt. Avant, j’avais fait d’autres court-métrages personnels et je suis un peu sollicité pour d’autres films de commande, avec des lycéens par exemple. J’ai d’autres projets comme ça qui vont pas mal m’occuper pendant un ou deux ans, mais après en tant que film personnel, sûrement que des idées me viendront parce que j’aime beaucoup le cinéma. A un moment donné, ça viendra… J’aime beaucoup tout ce qui est lié au passé, à la mémoire, mais mêler le passé et le présent, j’aime beaucoup confronter les deux. Je ne suis pas cantonné à la déportation, au contraire, ça dépendra si j’ai envie d’explorer quelque chose d’autre. Mais j’aimerais bien à terme avoir un film qui soit produit et distribué, c’est le Graal. Un film qui sort en salles, ce serait mon rêve.
Est-ce qu’on a un devoir de mémoire quand on est lorrain, par rapport à la guerre? Est-ce qu’on doit entretenir cette mémoire-là, peut-être plus que d’autres régions?
En tout cas, on a beaucoup plus d’indices. Là Verdun par exemple, on y est. J’y pense à chaque fois que je viens ici, quand on commence à traverser les plaines, on pense aux images des régions dévastées, de la guerre, les villages détruits… Et oui, quand on est dans une région vraiment affectée, je pense que c’est plus facile d’accéder à la mémoire, quand il y a quelque chose de matériel. Après, si on regarde de plus près, partout il y a de la mémoire! Rien qu’en France, si on parle d’occupation allemande en 40, tout le territoire est concerné. Je pense qu’à propos de la guerre, c’est difficile de trouver un endroit qui ne soit pas concerné. Il suffit de gratter un peu et on trouve vite des choses, même dans les familles. C’est fou parce que ça fait très longtemps qu’on a pas connu la guerre en France métropolitaine mais on se dit que dans plein de pays, si on voit ce qu’il se passe avec l’Arménie ou la Syrie par exemple en ce moment, elle est quotidienne. Ça n’a jamais cessé. Dans certains pays, c’est encore très frais, en Yougoslavie notamment. C’est terrible, c’est un peu l’histoire de l’humanité, c’est un sujet fondamental: la guerre, la répression, la barbarie… Elle traverse toujours l’Histoire et c’est bien de pouvoir se reconnecter même quand elle semble plus loin, parce que pour d’autres elle est là, ils la vivent. C’est pas très joli, c’est bien de pouvoir se décentrer: nous on est libres, d’autres non.
Notre question bonus, avec qui tu rêves de travailler quand tu seras connu? Ou qui tu aurais rêvé de diriger ?
Il y a un acteur que j’adore, c’est Al Pacino, ou beaucoup d’acteurs des années 70. Il y aussi un acteur qui a joué plusieurs fois avec, John Cazale, qui est mort très très jeune malheureusement. Dans chaque film où il a joué, c’était un chef-d’oeuvre: “Le Parrain”, “Voyage au bout de l’enfer”, “Un après-midi de chien” de Sidney Lumet. Sidney Lumet c’est d’ailleurs peut-être mon réalisateur préféré. J’en ai d’autres plus récents, j’aime beaucoup Michael Mann par exemple. Une actrice, ça ne me vient pas tout de suite… J’aime beaucoup Maureen O’Hara dans les films de John Ford, dans les westerns comme “Qu’elle était verte ma vallée”. Ah, il y en a que j’adore en ce moment, c’est Bong Joon-Ho (tout le monde approuve), qui a signé “Parasite” et que je suis depuis “Memories of murder”, ce film est incroyable.
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