2021
Réalisé par: Ridley Scott
Avec: Lady Gaga, Adam Driver, Jared Leto
Film vu par nos propres moyens
2021 devait être synonyme de retour en grâce pour le cinéaste Ridley Scott. Celui qui était encore une star incontestable il y a quelques décennies nous promettait non pas un, mais deux nouveaux long métrage pour cette année, censés signer sa résurrection. En effet, il faut bien admettre que ses heures de gloire semblent aujourd’hui bien lointaines, et ses récents essais sont loin de provoquer un plébiscite total. Le plan était donc simple: prouver à tous que le réalisateur n’était pas fini à travers Le Dernier duel et House of Gucci. Seulement voilà, ni le public, ni la critique ne se sont enthousiasmés pour les deux films, provoquant l’ire du créateur. Pourtant, on entend dire ça-et-là que House of Gucci pourrait bien jouer les trouble-fêtes à la prestigieuse cérémonie des Oscars, et ce de plusieurs catégories. Quelles sont les forces et faiblesses de l’œuvre? Y a-t-il matière à réflexion? Tous les choix se justifient-ils? Autant de réponses nuancées pour une proposition mitigée.
C’est dans les coulisses de la célèbre marque de mode Gucci que nous plongeons avec ce nouveau film. En épousant l’ascension de Maurizio (Adam Driver), futur héritier de l’empire italien, et de sa compagne Patrizia (Lady Gaga), ce sont toutes les dissensions et les guerres d’influence au sein de la firme qu’on éprouve. Entre trahisons, devoir familial, et luxe tapageur, Ridley Scott restitue les heures les plus sombres de la compagnie, celles qui mènent jusqu’au drame le plus sordide.
Influence froide
À l’évidence, l’étalage des richesses de la dynastie italienne sert de véritable charte esthétique au long métrage. Tout est empire de ligne dans House of Gucci, que ce soit dans la direction artistique, plutôt séduisante et cohérente, ou dans les choix de réalisation de Ridley Scott. Si on savoure aisément la palette de couleurs délicieusement rétro que le cinéaste nous propose, une certaine réserve est de mise sur ses cadrages un peu trop académique. Jamais le l’œuvre ne sort du carcan stylisé oppressant qu’elle s’est fixé: tout y reste installé, anguleux, figé dans le marbre. Même au moment les plus éclatants du récit, ceux où la folie l’emporte sur la raison, Ridley Scott ne varie pas son style. Quelques ondulations, certes, mais presque aucune prise de vue agressive, caméra à l’épaule, qui retranscrirait un chaos permanent. House of Gucci est froid.
On imagine toutefois qu’avec ce parti-pris affirmé, le réalisateur tente de nous faire ressentir le poids d’une famille prise au piège de sa propre influence. House of Gucci est un jeu d’échecs où avancer son pion ne peut se faire qu’avec lenteur, et où chaque faux pas est condamné à long terme. Deux personnages appuient cette idée de lignée omnipotente où l’ancienneté et les traditions priment dans la phase initiale du film: Al Pacino et Jeremy Irons, les deux anciens propriétaires de Gucci qui n’hésitent pas à affirmer leur domination sur la jeune génération. Le premier s’extasie par exemple devant la demeure familiale ancestrale, le second vit lui reclue devant les films de sa jeunesse, mais tous deux ne perdent pas leur emprise ferme sur leur progéniture, du moins au début.
Sales jeunes
Pour autant, House of Gucci reste un acte de rébellion où la jeunesse s’empare justement du pouvoir et renverse les figures paternelles. Maurizio et Paolo (Jared Leto) sont tous deux en recherche d’émancipation, par la trahison s’il le faut. Ils veulent bouleverser les codes, propulsant Gucci dans une nouvelle ère où l’étalage de richesse est toutefois toujours la norme. Quelques images nous suggèrent même un brin de folie: Adam Driver saute sur les canapés, plonge tout habillé dans une baignoire bordée de champagne, Jared Leto retranscrit lui cette idée par l’extravagance de ces costumes.
Le principal souci qu’il se pose avec House of Gucci, c’est justement le point de vue très critique, et franchement un brin vieillissant, que pose Ridley Scott sur ces deux protagonistes. Ils sont, ou deviendront, méprisant, arriviste, ingrat et cruel. Une critique de la haute société qui s’entendrait parfaitement si les anciens passaient eux aussi au crible, mais non, le cinéaste s’y refuse. Al Pacino est bien dépeint comme un petit arnaqueur, mais brièvement, au cours d’une scène si bon enfant qu’elle confine à la comédie. Plus puissant: ce péril jeune s’exprime aussi par le caractère exécrable de Patrizia, complètement happée par l’argent, et presque seule personnage féminin du film. Ridley Scott la pose même en véritable vampe: elle obstrue le champ de vision de Maurizio, ou lui dérobe ses lunettes, comme si métaphoriquement elle s’appropriait sa vision. House of Gucci dessine mal les contours de ses tristes héros, n’a aucune demi-mesure.
Star System
Pourtant, le parterre d’acteur émérite présent donne le meilleur d’eux même. Lady Gaga livre une performance saluable, malgré le manque de retenue de son rôle, Adam Driver est fidèle aux excellentes performances qu’il nous offre depuis plusieurs années maintenant, et l’ensemble du casting fonctionne, malgré quelques soucis rythmiques dans le montage qui déséquilibre le film. House of Gucci reste un film choral accompli proprement, trop peut être pour ne pas avoir l’air aseptisé.
Ceci étant, une véritable tâche sur le tailleur haute couture est impossible à passer sous silence, et vient perturber cette cohésion: Jared Leto. Sans vouloir tirer sur l’ambulance, les casseroles commençant à peser lourd derrière lui, si House of Gucci n’est pas le film de la renaissance de Ridley Scott par trop d’académisme, il ne sera pas non plus le sien pour des raisons exactement inverses. Il était déjà ubuesque de le choisir pour interpréter un personnage qui n’a ni son âge, ni sa corpulence, ni son timbre de voix, ni sa gestuelle, mais lorsque le comédien se lance dans des variations gênantes autour de l’accent italien, on étouffe un véritable rire, et ce n’est pas son maquillage lourd qui le rendrait plus crédible. Le comédien ne joue pas, il imite.
House of Gucci est distribué par Universal.
Film convenu, aux thèmes probablement trop platement traités, House of Gucci est pris au piège du poids de sa propre histoire dont Ridley Scott ne s’émancipe jamais. Difficile de savoir où veut en venir le cinéaste.
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