Grand Format : Sur mes lèvres
Sur mes lèvres affiche

2001

Réalisé par : Jacques Audiard

Avec : Emmanuelle Devos, Vincent Cassel, Olivier Gourmet

Métamorphose

De sa condition de fils d’une légende du cinéma français au propre accomplissement de son destin de réalisateur et scénariste salué de par le monde, Jacques Audiard perpétue son héritage familial de film en film. Enfant de la balle, Jacques est le fils du plus gouailleur des dialoguistes, Michel Audiard, une ascendance qui lui permet de découvrir très jeune l’univers des plateaux de tournage. S’il hésite un temps à suivre les pas de son père, envisageant une carrière d’enseignant, Jacques Audiard comprend rapidement que son cœur pompe lui aussi un sang fait d’images, de sons, mais aussi de mots qu’il inscrit sur ses scénarios. Initialement crédité au montage de films de Roman Polanski et Patrice Chéreau, c’est finalement sur les feuilles des scripts qu’il destine aux autres qu’il trouve sa voie. Sous l’égide paternelle, il s’invite par ce biais au générique de longs métrages tels Le Professionnel, en 1981, ou Mortelle Randonnée deux ans plus tard, avant de s’émanciper. Durant vingt ans, Jacques Audiard écrit pour les autres, il offre sa plume dans un registre varié, manifestant déjà une prédisposition pour se plier à tous les genres, des œuvres les plus noires et les plus austères aux comédies potaches. Il est un caméléon du cinéma, un auteur polymorphe qui confirmera par la suite, au fil de ses réalisations, une prédisposition pour un cinéma aux thématiques sociales fortes, tout en gardant une certaine flexibilité d’approche stylistique, dont l’exemple le plus criant est assurément son dernier film en date, la comédie musicale Emilia Pérez.

Toutefois, avant de répondre aux sirènes internationales, le scénariste a dû s’extirper de l’œuf de l’écriture, pour laisser éclore le formaliste brillant qui sommeille en lui, des images plein la tête. Des premières réalisations de Jacques Audiard, il émane le doux parfum familial d’un regard empathique sur des malfrats à l’envergure parfois minable, mais pourtant toujours traités avec douceur et compassion. S’il existe bien une similitude entre le père et son enfant, bien plus que l’art des mots pour lesquels l’approche du fils est plus directe, c’est cette proportion innée à conserver un regard humain sur des hommes et des femmes qu’il serait trop simple de détester. Les deux premiers longs métrages de Jacques Audiard, Regarde les hommes tomber et Un héros très discret, s’amourachent des antihéros, épousent leurs trajectoires avec une forme de retenue qui s’abstient de tout jugement. Cinq longues années séparent néanmoins le deuxième film de l’auteur et son œuvre de la métamorphose esthétique, Sur mes lèvres, sorti en 2001. Souvent en compagnie du chef opérateur Mathieu Vadepied, Jacques Audiard expérimente derrière la caméra et sur les tables de montage avant d’accomplir l’œuvre pivot de toute une filmographie. Il se lance dans une recherche picturale paradoxalement plus sophistiquée techniquement mais plus brute sensoriellement. Pour Noir Désir ou Louise Attaque, le binôme se livre ainsi à la réalisation de quelques clips, durant une demi-décennie, avant de revenir dans les salles obscures avec un film noir sans faux semblant, aussi épuré que riche. Leur cinéma trouve une nouvelle identité, plus rêche sans pour autant renier la symbolique de quelques plans immortels dans la mémoire du spectateur.

Jacques Audiard
Jacques Audiard, sur le plateau de Sur mes lèvres.

Sur mes lèvres est également l’occasion pour Jacques Audiard de bouleverser son approche du travail scénaristique. Il conserve un soin particulier à cette étape de l’élaboration d’un film, qu’il partage ici avec Tonino Benacquista, après avoir rejeté la proposition de Marc Behm, qui donne néanmoins son nom de famille au personnage principal. À nouveau, c’est sur le papier que tout né, c’est sur les feuilles des auteurs que l’aspect premier du film se façonne, dans ce que Tonino Benacquista compare à un échange de tennis, dans lequel lui se fait fougueux et vindicatif, tandis que Jacques Audiard s’installe dans le fond de court, patient et précis.

Lui (ndlr : Jacques Audiard) qui a longtemps été scénariste, il attache une place particulière à tout ce qui concerne le scénario et les scénaristes, ce que je dirais vraiment pas de tous les metteur en scène […] Je pense que Jacques Audiard aime bien s’installer dans cette phase d’écriture.

Tonino Benacquista, co-scénariste, propos extraits d’un entretien accordé pour la réédition du film.

Pourtant, le calculateur se meut désormais en improvisateur sur les plateaux. Pour la première fois de sa carrière, Jacques Audiard capte également des scènes improvisées dans le feu de l’action, quitte à s’en débarrasser au moment du montage. Il devient un esprit libre, affranchi de toute entrave. Il sort des sentiers battus pour tendre vers une forme de sincérité nouvelle, il révolutionne sa méthode d’élaboration d’un long métrage, faisant de Sur mes lèvres un film né sur le papier, mais définitivement formé sur les plateaux. De l’idée originelle du cinéaste, il ne reste plus que la protagoniste, une femme sourde et seule. Toute l’urgence et la dramaturgie propre à son œuvre s’est construite au fil de ses échanges avec ses collaborateurs écrivains ou techniciens, mais aussi au gré de son inspiration. Un artiste désormais émancipé a tracé son nouveau sillon dans le giron du film noir.

Carla Behm, interprétée par l’éblouissante Emmanuelle Devos, est secrétaire dans une entreprise de construction de bâtiment, au sein de laquelle elle éprouve le mépris de ses collaborateurs. Malentendante et solitaire, elle vit recluse dans son foyer, ne profitant que de maigres interactions sociales. En recrutant un assistant, elle croise la route de Paul Angeli, joué par le sanguin Vincent Cassel, un homme au caractère brut, tout juste sorti de prison. Peu à peu, elle inculque à son employé le rythme robotique de la vie de bureau, mais le désir de la transgression pousse le couple à faire entorse aux règles de la société pour entrevoir une forme de reconnaissance. Néanmoins, la vie de malfrat se rappelle à Paul. Pour éponger une dette colossale, il doit devenir barman dans la boîte de nuit de l’homme à qui il doit la somme. Il propose alors un plan audacieux à Carla : épier l’appartement du patron du club depuis un immeuble voisin, afin de lire sur les lèvres du voyou les détails d’un futur braquage, pour tenter à terme de ravir le pactole. Au fur et à mesure de cette immersion, Clara et Paul manifestent maladroitement une attirance réciproque mais inassouvie.

Mondes prédateurs  

En épousant continuellement la grammaire du film noir et de son flou moral, Sur mes lèvres bâtît une société sauvage et violente, un système humain où règne le mépris, la défiance, et l’exploitation. Carla, support de l’identification pour le spectateur puisque notamment seul personnage du récit capable d’exprimer son empathie, est une femme à l’agonie sociale, isolée et meurtrie, une laissée pour compte dans un monde entrepreneurial qui ressemble à une prison de bureaux et de salles de réunions, où seuls les bourreaux jouissent des privilèges, et parmi lesquels elle s’évanouit en entame du film, dans l’indifférence totale. Les fauves se cachent derrière des costumes et des cravates, mais ils se repaissent de leur proie dans d’éprouvantes scènes de l’agressivité ordinaire et du dédain tristement commun. Dans la fureur des bureaux en perpétuelle ébullition, dans la cohue des corps que rappellera par la suite la boîte de nuit où travaille Paul, Carla se noie, figure solitaire et torturée, plus isolée par le manque de considération de ses collègues ou amies que par son handicap. Manipulée jusqu’à l’agonie dans une séquence où elle n’est sauvée d’un viol dans le club qui devient son autre geôle que par l’autre marginal du récit, Paul, elle survit davantage qu’elle ne s’épanouie durant l’essentiel du film. Le danger la guette, à tout moment le public craint que la plume sévère de Jacques Audiard et Tonino Benacquista ne la sacrifie puisque son seul secours ne se matérialise que sous les traits rudes de son employé, amant fantasmé mais aussi redouté. Toute une esthétique et une recherche sonore invitent le spectateur à éprouver la détresse d’une Emmanuelle Devos en plein effondrement, notamment à travers l’utilisation de plans serrés récurrents où l’actrice semble être la seule chose tangible au milieu d’un flou ambiant, mais aussi au fil de quelques séquences où sa surdité est émulée par une subtile distorsion de la sphère auditive. Le public fait corps avec Carla, il épouse ses sens, il éprouve son désespoir et aussi sa vision partiale d’un univers qu’elle ne comprend pas entièrement. Régulièrement, Jacques Audiard emploie la technique de la Mano Negra, l’utilisation d’un gant noir devant l’objectif de sa caméra, pour obstruer encore davantage le champs de vision au sein d’une seule image. Le réalisateur cible l’essentiel, son héroïne abandonnée de tous et donc consciente de la solitude de son partenaire masculin, mais aussi les petits bouts d’instantanéité de vie de couple qu’elle observe. Des bouches, des mains, des baisers et des étreintes : des rêves qui lui sont interdits.

L’idée c’est que c’était une femme dépréciée, non visible presque, donc mal traitée d’une certaine manière.” 

Mathieu Vadepied, directeur de la photographie, propos extraits d’un entretien accordé pour la réédition du film

Carla est captée initialement avec douceur, comme si s’inviter dans sa bulle mutique ne pouvait se faire sans délicatesse. Pourtant, sa conscience de la déliquescence du monde corrompu qui l’entoure la force à s’affirmer progressivement par à-coups filmiques, par des scènes caméra à l’épaule où toute la nervosité d’un réalisateur acerbe s’exprime, et qui lentement, tend à émuler les prises de vue sauvages d’un Paul déjà englué dans la délinquance. Une même fureur habite deux parias aux passés contraires mais au destin commun, et la réalisation de Jacques Audiard accorde progressivement leur représentation respective, confondant ainsi microcosme des gens tristement ordinaires et univers des petits voyous sans envergure.

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Vincent Cassel et Emmanuelle Devos dans les rôles de Paul et Carla.

Les mondes de l’entreprise et de la boîte de nuit se répondent dans une même mesure, ils sont des temples voisins de la corruption, des pyramides du malheur à la base desquelles souffrent Carla et Paul, et au sommet desquelles trônent des figures vacillantes d’autorité. Si le patron qui emploie la protagoniste semble de prime abord compatissant, il ne s’en livre pas moins au même trafic d’argent que son alter ego dans le club nocturne. Tous deux opèrent sous couvert des ombres, l’un des labyrinthes administratifs, l’autre dans les ténèbres nocturnes, mais ils profitent chacun de leurs combines crapuleuses pour engendrer toujours plus de profit au détriment de leurs subalternes. L’asymétrie chromatique des bureaux blancs et du night club noir, jusqu’au vêtement que revêt Paul pour servir ses clients, segmente ces deux univers, tout comme la froideur des rapports humains dans l’entreprise tranche avec le sang et la fureur du dénouement du film. Pourtant Sur mes lèvres ne cesse de confondre les deux sphères voisines. L’argent transite dans chacune d’elles, un malfrat est vu dans l’entreprise comme dans la boîte de nuit, mais surtout, la violence à fleur de peau de Paul est employée au bureau tout comme l’assiduité de Carla sert sur le toit où elle observe sa proie, noircissant ses feuilles de carnet de note des mêmes hiéroglyphes indéchiffrables qu’en réunion. Néanmoins, c’est par le son, élément essentiel du film, que les cosmos distincts entrent en collision, lorsque par une même saturation sonore, les téléphones des bureaux, les pelleteuses des chantiers, et la musique de la boîte de nuit agressent le public. À l’instar de Paul soumis à des cadences asservissantes devant la photocopieuse ou derrière un bar, une même machinerie infernale sévit derrière les masques de la bonne société ou au-delà des faciès patibulaires de bandits voués à être dépouillés. L’intrigue se cimente autour de cette collusion qu’incarnent Paul et Carla, la férocité n’est pas le propre des voyous, elle est un instinct enfoui en chacun que l’ancien prisonnier ne fait que laisser exploser lorsque sa partenaire la contient longuement. Pourtant, dans la proximité des corps récurrents des deux acteurs, et dans le rapport de force ambivalent qui enjoint leurs personnages, tout ce qui constitue la diégèse de Sur mes lèvres est appelée à communiquer avant de fusionner. Leur passion farouche, intériorisée jusqu’à l’exaltation finale, née d’un sentiment véridique partagé plus intense que tous les mensonges prononcés, celui qu’au vu des vexations subies, la transgression est légitime pour s’accomplir.

Le passage à l’acte illicite pour Carla et Paul relève ainsi presque de l’insurrection sociale de deux reclus, maladroits de leurs sentiments, dirigée contre une opulence voleuse et immorale. Les deux partenaires sont des gens de rien, des parias d’une ville sans forme claire, impersonnelle au plus profond de sa pierre. Cependant, ils partagent un spectre de valeurs communes assombries par leur expérience passée. Carla est la prisonnière d’un bureau, Paul est le secrétaire d’un bandit à qui il délivre des bouteilles de champagne. Leur projet de vol est un raccourci nécessaire pour revendiquer leur droit d’exister et de compter dans un monde qui a perdu le fil des calculs. Ils n’entrevoient ce monde fantasmé que par la lorgnette, restant à distance, observant par le cercle des jumelles une vision restreinte de l’appartement du caïd interprété par Olivier Gourmet, rappelant le Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Pourtant à terme, c’est dans les murs de son logis qu’ils s’imposent, achevant leur élévation vers leur but déviant et pourtant toujours perçu comme légitime, car à leur crime il n’existe pas de vraies victimes autre que des antagonistes forts. Puisque les règles du jeu sont truquées dès l’entame de la partie, la triche devient légitime, le larcin une nécessité pour quiconque souhaite obtenir son dû. L’illégalité et le risque réunissent les deux personnages principaux de Sur mes lèvres, il leur accorde une considération que tout autour d’eux leur interdit. Réunis dans les toilettes de l’entreprise de bâtiment, il s’activent à faire leur toilette, rendus semblables par leur proximité et par le partage d’un lavabo. Ensemble ils se soignent et ils se lavent, ils reconnaissent dans l’œil de l’autre leur droit d’exister. 

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Emmanuelle Devos dans le rôle de Carla

Y compris par des moyens non licites, elle (ndlr : Carla), elle va se refabriquer une féminité, investir sa féminité.

Mathieu Vadepied, directeur de la photographie, propos extraits d’un entretien accordé pour la réédition du film

Le vol est le seul biais permis aux exclus pour s’accomplir et s’inviter concrètement dans une vie qu’ils ne faisaient préalablement que fantasmer. À l’étreinte maladroite et artificielle d’une fête où Carla invite Paul, répond le dernier plan du film et sa sensualité perçue toujours par bribes fugaces d’une romance corporelle avant d’être verbale. Dans la confusion des corps alanguis de désir, ils parachèvent le chef-d’œuvre crapuleux.

Les cœurs solitaires

D’abord perçue comme un espace sonore intime qui isole Carla du monde, la surdité devient progressivement une bulle dans laquelle seule la voix de Paul perce le mur du silence. Dans les limbes sensorielles, l’homme inattendu et inespéré s’immisce, il manifeste sa présence et offre à une femme esseulée un semblant de chaleur humaine vacillante. Le handicap de la protagoniste de Sur mes lèvres s’affirme ainsi en prolongement de l’ascétisme social forcé de Carla, qui ne vit que par bribes d’élans désespérés de vie avant de revenir à son espace mutique. Elle s’emmure dans sa prison auditive autant que dans sa réticence à verbaliser les élans de son cœur, elle se trompe de gestes, de mots, de regards, face à un Paul qu’elle ne conçoit comme partenaire amoureux que dans le secret de son appartement, seule. Chaque interaction sociale est répétée, comme lorsque Carla fait d’un dialogue envisagé un monologue sur le confort de son canapé. Emmanuelle Devos s’efface dans la tourmente d’un monde insensible, sa sensualité n’existe que dans quelques plans ou nue face à la glace, elle n’est plus qu’un corps sans visage, une silhouette désespérée d’être désirée.

On est dans une sensibilité avec le handicap. Il y a une délicatesse qui arrive, je pense avec ce personnage, avec la tension […] Il y avait une partie de laboratoire de recherche. De “On va pas répéter ce qu’on sait faire. On va inventer des choses.” […] On est assez connecté avec Jacques Audiard au départ, avec un cinéma primitif, un cinéma des origines, un cinéma qui retrouve des sensations pures, un cinéma muet où l’image prend toute sa place.

Mathieu Vadepied, directeur de la photographie, propos extraits d’un entretien accordé pour la réédition du film
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Emmanuelle Devos et Vincent Cassel dans les rôles de Carla et Paul.

En quête d’affirmation, Carla fait de sa surdité un atout au pinacle de la tension dramatique du film, lorsqu’elle lit sur les lèvres ou lorsque ses appareils auditifs lui permettent de percevoir des sons inaudibles aux autres. Elle s’émancipe, elle s’affirme, forte d’avoir reconnu chez Paul une détresse voisine de la sienne. Au delà de son franc parler et de ses gestes sauvages, le protagoniste masculin dissimule la blessure de l’isolement d’une même manière que sa partenaire, dans la confidence de l’appartement rudimentaire où il vit, là ou dans des nuits sans sommeil, il se retourne comme une bête en cage sur son lit. 

Ils sont seuls, mais Sur mes lèvres tend à unir le désespoir de ceux qui rêvent la vie des autres pour en faire un couple soudé par le crime. Si dans la première moitié du film, une succession de scènes invite à croire que Carla et Paul espèrent la banalité, perçue dans les séquences où le malfrat ment à son contrôleur judiciaire ou lorsque la secrétaire garde le nourrisson de sa meilleure amie, la seconde moitié du long métrage met à mort les trois romances annexes qui sont autant de lignes narratives secondaires mais complémentaires. La passion se meurt autour du couple de protagonistes, les amants se mentent, se violentent, et en définitive se mettent à mort pour la curieuse trajectoire du personnage incarné par Olivier Perrier. L’amour banal est méprisé dans Sur mes lèvres, réduit à un agglomérat de vices cachés et de partenaires bafoués. À ce titre, la corporalité n’appartient qu’à Paul et Carla, seuls personnages montrés au contact physique l’un de l’autre. Aux amants illicites revient la vertu charnelle et la sincérité perdue par les gens ordinaires, tous de parfaits menteurs. Ils voyagent ensemble dans les voitures et dans les trains de banlieue, traînant avec eux leur désespoir, le soignant auprès de l’autre enfin attentif aux meurtrissures de son vis-à-vis. Les sédentaires sont quant à eux jugés par le film, incapables de cacher leur immondice mise à nue. La passion est une fugue pour Jacques Audiard, un tourbillon nébuleux qui aspire les âmes éprises sans jamais atteindre de destination, et qui trouve une nouvelle couleur à travers la musique d’Alexandre Desplat, faite d’autant d’espoir que de mélancolie.

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Vincent Cassel et Emmanuelle Devos dans les rôles de Paul et Carla.

La passion irraisonnée devient alors un échange équivalent pour parvenir à la fois aux fins pécuniaires mais plus profondément, à l’accomplissement de l’épanouissement affectif. Paul emprunte autant à Carla qu’il ne lui concède en retour. Ainsi, sa violence manifestée auprès d’un collègue de bureau de sa partenaire, ou auprès d’un constructeur immobilier est employée avant même que le petit bandit n’utilise la faculté de la secrétaire à lire sur les lèvres. Dans un rapport déviant mais sincère, ils se donnent mutuellement le peu qu’ils ont, transfigurant ce qui les faisait naguère souffrir en instrument de leur révolte. Ils revêtent la peau de l’autre, comme lorsque Carla se dénude entièrement, ne conservant sur elle que la chemise tâchée de sang de Paul. Les intranquilles se fondent et se confondent, cherchent un nouvel espace de communion entre les cris et la violence. Leur union est cimentée par le sacrifice et, à terme, par le sang versé pour atteindre un but rêvé d’un amour et d’un profit financier. L’adrénaline propre à Sur mes lèvres navigue dans les artères des personnages principaux jusqu’à alimenter leurs cœurs assoiffés de désir. Ils créent un dialogue nouveau, un langage orgasmique à eux lorsque, depuis le toit d’un immeuble, Carla lit sur les lèvres de Paul en haletant, comme en plein rapport charnel. Dans la dialectique que seule la protagoniste comprend, son partenaire lui accorde la confiance et l’indispensabilité qu’elle cherchait en vain. L’émancipation est complétée par la définitive étreinte qui conclut le film, fusion de deux marginaux qui se sont trouvés.

L’axe central du film, c’est que l’un va vouloir attirer l’autre dans son monde. Elle aimerait faire de lui un citoyen, et lui va l’entraîner dans son monde de la nuit parce qu’il a senti la rebelle en elle.

Tonino Benacquista, co-scénariste, propos extraits d’un entretien accordé pour la réédition du film.

En résumé : 

Au-delà de se présenter comme un film noir trépidant, Sur mes lèvres arrange subtilement la rencontre de deux parias pour les unir avec fougue dans l’illicite partagé et dans la passion retrouvée.

Sur mes lèvres est disponible en édition limitée Blu-ray et DVD, chez Pathé, avec en bonus : 

  • Des entretiens avec Jacques Audiard, Tonino Benacquista et Mathieu Vadepied
  • Des scènes inédites commentées par Jacques Audiard
  • Une interview de Tonino Benacquista
  • Une interview d’Alexandre Desplat
  • Les commentaires audio de Jacques Audiard
  • Les commentaire audio de Vincent Cassel et Emmanuelle Devos
Sur mes lèvres boites

Nicolas Marquis

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