Tastr Time: Requiem pour un massacre

(Idi i smotri)

1985

de: Elem Klimov

avec: Aleksey KravchenkoOlga MironovaLiubomiras Laucevicius

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Requiem pour un massacre” de Elem Klimov.

Au moment de faire le bilan des victimes de la Seconde Guerre mondiale, la Russie n’a pas été épargnée. Si on a plutôt l’habitude de vivre la guerre au cinéma à travers le prisme américain, on n’oublie pas pour autant le tribut incroyablement lourd qu’a dû payer l’URSS sur le front de l’est. Si la communauté juive était également persécutée au pays de Kournikova, chaque incursion nazie a donné lieu à une escalade de monstruosités innommables. Coup d’oeil sur ce moment insoutenable de l’Histoire avec “Requiem pour un massacre”.

Le parcours de Flyora (Aleksei Kravchenko), un tout jeune garçon biélorusse qui après avoir trouvé un fusil va être mobilisé dans l’armée russe. Sur le front, il va faire face à la désorganisation des forces de l’URSS et surtout à la monstruosité des troupes allemandes qui sèment le chaos sur son passage. Il va également se lier d’amitié avec une jeune femme, Glasha (Olga Mironova), elle aussi victime des évènements.

Ce qu’on retient le plus facilement de “Requiem pour un massacre”,  c’est sans conteste possible l’horreur la plus crue qu’il dépeint. Rarement un film aura été à la fois aussi monstrueux et pourtant aussi fidèle à l’Histoire. À plusieurs reprises, le long-métrage est carrément gerbant, mais jamais gratuitement: c’est une façon de remettre les pendules à l’heure et d’assimiler que si à l’ouest les alliés ont finalement percé, à l’est c’est au prix de sacrifices humains civils horrifiants que la Russie a pu elle aussi progresser. Pas de faux semblant ou de lissage, “Requiem pour un massacre” choque, marque, scarifie le spectateur efficacement.

Mais la violence n’est pas que visuelle (elle est d’ailleurs souvent hors-champ ou brève), elle s’interprète également sur le visage de Flyora et Glasha. Leurs faciès se décomposent et se tordent devant le funeste spectacle. Leurs figures marquées restent en mémoire. Une performance hors-normes qui frappe forcément pour deux adolescents.

« Va te débarbouiller, gros dégueulasse! »

En point d’orgue, il y a le mythique emballement final. On ne le dévoilera pas malgré sa renommée, mais c’est le moment clé du film, celui où le dégoût profond l’emporte sur la raison: même vous spectateurs êtes contraints de faire un pas dans la folie tant tout sens humain disparaît de la pellicule. Choquant là encore, mais toujours à dessein, dans une mission de témoignage.

La thèse du film est très claire: pas de bons ou de méchants sur la ligne de front, rien que des chiens de guerre esclaves des jeux des puissants. Ces deux camps qui s’opposent ont sombré l’un comme l’autre dans l’irrationalité créée par des circonstances inhumaines. L’individualité n’existe plus mais la folie commune a pris sa place. C’est en groupe que l’horreur frappe et en groupe que la subissent les civils.

Glasha et Flyora apparaissent forcément en symbole: deux enfants devraient être synonymes d’innocence et de pureté, pourtant “Requiem pour un massacre” ne va pas être complaisant et les confronter aux horreurs de la guerre. Impossible dans ce contexte de créer des adultes capables de raison, mais plutôt des être forcés de devenir déviants pour encaisser l’horreur qui pointe à chaque coup de feu.

Pour amener ce propos capital, le film va convoquer tous les sens. La vue et l’ouïe au cinéma, on a l’habitude, mais le toucher, le goût et l’odorat c’est beaucoup plus coton à faire. Pourtant, on respire la fumée des explosions, on caresse la boue qui macule nos héros et on garde en bouche la texture du sang. “Requiem pour un massacre” dépasse le cadre habituel du cinéma pour réussir a suggérer des sensations assez rares.

La caméra vient tout simplement souligner le déroulé: pas besoin d’en faire plus. Quelques plans-séquence restent en tête mais ils ne sont pas tape-à-l’œil. Au contraire, ils apparaissent logiques dans la volonté d’immersion du film. Un regard par moment très métaphorique, souvent suivi d’un retour à la réalité dans ce qu’elle a de plus sordide, on approuve.

On reste tout de même plus mesuré concernant une impression de ventre mou dans le deuxième quart du film. Plus volatile, l’œuvre peut rapidement inviter à décrocher et pourtant il faut se faire violence: ce moment suspendu est là à dessein lui aussi et il faut en payer le prix pour avancer un peu plus dans l’horreur.

Œuvre culte, “Requiem pour un massacre” est une expérience éprouvante. On ressort de la séance vidé, choqué, bouleversé et les images de ces deux enfants hantent les cinéphiles de l’extrême à jamais.

Nicolas Marquis

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