Black Phone
Black Phone affiche

(The Black Phone)

2022

Réalisé par: Scott Derrickson

Avec: Mason Thames, Madeleine McGraw, Ethan Hawke

Film vu par nos propres moyens

Le 7ème art est rempli d’ insondables mystères et le succès du réalisateur Scott Derrickson en fait partie. En une poignée de films à la qualité inégale, le cinéaste a imposé une grammaire horrifique où la finesse n’a pas sa place. Si c’est le plus souvent à la saga Sinister que son nom est attaché, lui qui a réalisé le premier opus et écrit le second, l’artiste s’est également rendu coupable de quelques pellicules injurieuses. Dès 2000, pour son troisième long métrage, Scott Derrickson commet Hellraiser: Inferno, une œuvre profondément gênante qui constitue indéniablement le pire épisode de la saga mettant en scène l’iconique Pinhead. Cependant, comme une sale habitude, les studios ne cessent de parier sur un homme au talent discutable, qui ne transformera jamais réellement l’essai. En 2008, sa tentative de remake du Jour où la Terre s’arrêta, malgré un casting séduisant, ne convainc presque personne. Plus criant de vérité encore, son Doctor Strange, en 2016, constitue l’un des pires métrages adaptés des comics Marvel, de l’aveu même des adeptes du MCU. Pourtant, son retour sur le devant de la scène avec Black Phone s’annonce en grande pompe. Devant une foule de retours positifs aux projections test, la société de production Blumhouse décale même sa sortie à l’été 2022, pour lui offrir une fenêtre de tir propice à attirer un maximum de public. La promesse de l’adaptation d’une nouvelle de Joe Hill constitue même un argument commercial capital, bien que l’auteur n’ai pas l’aura de son père, Stephen King. L’espoir fou d’une œuvre aboutie naît chez le spectateur, appuyé par une presse enthousiaste. En définitive, il n’en est rien, Black Phone est un acte manqué.

Dans ce nouvel essai, Scott Derrickson nous propulse dans la banlieue de Denver, au cœur des années 1970. Au milieu des îlots pavillonnaires typiquement américains, la terreur règne. Depuis plusieurs semaines, un étrange personnage surnommé le Grabber (Ethan Hawke) kidnappe les enfants et déjoue les investigations de la police. Dans ce contexte éprouvant, les jeunes têtes blondes vivent dans une totale paranoïa. Le film se centre sur Finney (Mason Thames), un adolescent timide et réservé qui devient la nouvelle cible du tueur en série. Enfermé dans une cave obscure, avec pour seule compagnie un combiné de téléphone déconnecté du réseau, il tente par tous les moyens de retrouver sa liberté. L’occulte se greffe alors à l’horreur: la sœur du disparu, Gwen (Madeleine McGraw), est sujette à des visions prémonitoires qui l’aident à retrouver la trace de son frère, tandis que Finney reçoit les incessants coups de fil des précédentes victimes, qui tente de l’aider à s’enfuir depuis l’au-delà.

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En faisant le choix d’ancrer son scénario dans l’enfance, Black Phone obscurcie l’innocence propre aux jeunes années. Le regard que porte Scott Derrickson sur la jeunesse est profondément désabusé: la violence n’est pas uniquement le fruit des actions du Grabber, mais s’exprime dès les premières minutes, alors que Finney est victime de la violence de ses camarades, dans une explosion de sang décomplexée. Le cadre que nous propose le long métrage est rude et éprouvant, et l’affirmation de soi du héros est un des axes principaux du récit. Comment exister dans un monde où chacun est perçu comme un prédateur ? Comment grandir lorsque l’adolescence est synonyme de survie, davantage que d’épanouissement ? En octroyant un artifice bien particulier au kidnappeur, des ballons de baudruche noirs, Scott Derrickson corrompt l’enfance: le moindre symbole juvénile prend une allure terrifiante. Cependant, un premier problème découle de cette volonté, tant la cible du long métrage n’est pas clairement affirmée. Pour les plus jeunes, nul doute que le récit fait écho à certains dilemmes, mais le long métrage assurément horrifique leur est par nature interdit. Pour les adultes, l’ambition de retrouver l’innocence et les peurs d’antan ne prend pas. Black Phone ne s’adresse à personne: si on imagine facilement un enfant s’emparer en secret du livre de Joe Hill dans la bibliothèque parentale, il semble plus compliqué d’envisager un visionnage tabou du film.

Dès lors, la volonté de proposer un coming-of-age horrifique n’a plus grand sens, et Black Phone conjugue cette erreur avec la paresse de son écriture. Tous les personnages adultes, sans aucune exception, souffrent d’énormes défauts de construction, qui invitent à s’arracher les cheveux. Passe encore la police incapable de mener une enquête cohérente, puisque de toute façon l’ambition première du film est d’isoler les enfants, mais que penser de leur foi inébranlable envers les visions d’une fillette de 8 ans ? Plus insultant encore est la trajectoire du père de Finney et Gwen, un homme patibulaire et froid, qui se rend coupable de violences physiques envers sa propre progéniture. Outre le fait que Scott Derrickson étale cette abomination au cœur du cercle familial dans une scène où le talent d’acteur est totalement absent, son film se permet d’offrir une résolution pleine de candeur à ce monstre, sans que cela fasse le moindre sens dans la logique du long métrage. Si Black Phone voulait montrer une fracture entre enfant et adulte, il échoue lamentablement.

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Assurément, la communication est au centre des problématiques du film, et reste l’axe principal de lecture, tissé tout au long de l’aventure. Black Phone choisit d’offrir aux plus jeunes un niveau de conscience que les adultes ont perdu. Les coups de téléphone d’outre tombe que reçoit Finney, et qui aiguillent vers des éléments tangibles, ou les visions de Gwen, porteuses d’une part de vérité, en sont la preuve. Toutefois, le long métrage ne manque pas de souligner la précarité de cette perception accrue de la réalité, sa fragilité. Ainsi, une longue fissure court sur les murs de la cave où le Grabber enferme les enfants, jusqu’au combiné de téléphone, et les rêves de Gwen ne sont que partiellement exacts. Il n’en reste pas moins que les adolescents sont unis par un lien subliminal dans le film, face à leurs aînés, et la clé de la libération espérée de Finney y est intimement liée. Dès lors, l’antagoniste du film, qui entend lui aussi les appels téléphoniques, et qui adopte des attitudes enfantines, peut être vu comme une métaphore du passage à l’âge adulte: pour grandir, il faut le vaincre.

Malheureusement, pour délivrer ce message qui n’est pas dépourvu de fond, Black Phone s’appuie sur un chant de référence étouffant, qui consternent par leur suremploie régulier dans le cinéma et la littérature horrifique moderne. Suivant le chemin qu’il trace depuis plusieurs années, Joe Hill propose un script où les clins d’œil à son père sont incessants et hautement rébarbatifs. Le pouvoir de Gwen évoque ostensiblement le Shining, et l’apparition de la fillette en ciré jaune alors qu’une pluie diluvienne s’abat sur Denver et inonde les caniveaux ne manque pas de rappeler Ça. À plus forte raison, la reconstitution des années 1970 que nous inflige Scott Derrickson est grossière et pataude. Vestes de tweed, bicyclettes d’époque, musiques surannées, citations de films d’époque inopinées, et parties de flipper feraient presque passer Stranger Things pour une œuvre subtile.

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Seul surnage un seul visuel de l’horreur que Black Phone propose: le masque du Grabber. C’est peut être là la seule bonne idée visuelle que porte le film, et son élaboration est dû au concours du génial maquilleur Tom Savini. L’expression propre à la prothèse est glaçante, et la savoureuse option choisie de diviser le masque en deux, laissant ainsi apparaître tour à tour le regard ou la bouche de Ethan Hawke, fonctionne. Mais en même temps qu’on reconnaît cette force au long métrage, il faut constater un échec cuisant: Black Phone ne fait pas peur, tout simplement. Scott Derrickson a beau s’appuyer sur quelques jump scares complètement attendus, il ne suscite jamais l’effroi. Un écueil qui aurait été admissible si son rythme était haletant, mais là aussi, le film accuse le coup. Son tempo calamiteux, et son dirigisme absolu et inébranlable annihilent toute tension dramatique, au point de susciter un ennuie profond.

Non seulement Black Phone ne sait pas à qui il s’adresse, mais en plus, il commet l’impair inexcusable d’échouer à susciter la peur. Scott Derrickson se fourvoie une fois de plus, et ses gesticulations horrifiques forcées ne séduisent jamais.


Black Phone est actuellement en salle.

Nicolas Marquis

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