Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?
Le Petit Nicolas - Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux? affiche

2022

Réalisé par : Benjamin Massoubre, Amandine Fredon

Avec : Alain Chabat, Laurent Lafitte, Simon Faliu

Film fourni par Dark Star Presse pour M6 Vidéo

De la plume de ses auteurs René Goscinny et Jean-Jacques Sempé aux écrans de cinéma, les aventures du Petit Nicolas continuent de bercer les tendres années de millions d’enfants à travers le monde. Né en 1955 dans les colonnes du magazine belge Le Moustique, avant de connaître un succès retentissant à travers ses albums illustrés, le facétieux écolier a su traverser les générations pour se nicher encore aujourd’hui avec tendresse dans le cœur des lecteurs. Davantage qu’un simple personnage fictif, Nicolas est un symbole de l’insouciance infantile, une invitation à la rêverie et bien souvent un patrimoine culturel qui se transmet des parents aux enfants. L’histoire de sa création reste cependant relativement méconnue. Sempé et Goscinny, tous deux malheureusement disparus, sont des sommités de la bande-dessinée franco-belge, mais les coulisses de leur travail commun et de leur amitié profonde sont souvent éclipsées par l’ombre de leurs œuvres mythiques. Avec Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, les réalisateurs Benjamin Massoubre et Amandine Fredon tentent habilement de faire la lumière sur l’envers du décors, en plongeant dans les secrets de la genèse du personnage iconique, au coeur du Paris en pleine ébullition des années 1950. Guidé notamment par Anne Goscinny, la fille du scénariste, le duo de cinéastes est habité par l’envie de rendre un hommage passionné à leur deux prédécesseurs et de perpétuer leur héritage. Si le film est un temps imaginé pour être un documentaire rassemblant des images d’archives de Sempé et Goscinny, transformer l’aventure en fiction animée apparaît rapidement comme une évidence à l’ensemble de l’équipe du long métrage. Restituer l’âme des auteurs du Petit Nicolas ne peut se faire qu’en émulant la patte graphique de Sempé et une part de l’imagination de Goscinny, et puisque leur création est si étroitement liée à leur histoire personnelle, offrir à l’écran des instants de pure mise en image des livres est indispensable. 

Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux oscille donc entre le monde fictif du jeune héros, de ses jeux d’enfants et de ses innombrables bêtises, et celui de ses deux auteurs, transcendés par le feu ardent de l’inspiration artistique. Davantage amis que collaborateurs, Goscinny (Alain Chabat) et Sempé (Laurent Lafitte) tissent un lien de connivence unique autour de leur création, y transpose une part de leur rêves et de leurs espoirs, jusqu’à percevoir tout deux la présence du Petit Nicolas auprès d’eux lorsqu’il s’attèlent à l’élaboration de ses aventures.

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À l’instar des traits de Sempé que le film reproduit fidèlement, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux est une caresse, une immersion tout en douceur dans l’imagination de deux hommes qui confient sur le papier l’expression de leurs âmes de grands enfants farceurs. Le scénariste et l’illustrateur semblent si unis par la poursuite d’un idéal commun que les dialogues qui s’initient entre eux n’ont parfois pas besoin de s’achever pour que sur la feuille blanche d’une table de travail se dessinent les premiers contours délicieux du monde de Nicolas. Les deux hommes ne sont pas toujours d’accord et doivent parfois trouver un terrain d’entente, mais leur œuvre devient progressivement la manifestation de la part insouciante de leur être. Comme une revendication touchante d’un droit à l’innocence, l’art devient le fruit d’une espièglerie propre à chacun, que Sempé et Goscinny choisissent d’extérioriser dans leurs albums illustrés. L’échange entre les deux génies est sans cesse équivalent. Le dessinateur donne une identité physique au petit garçon et à ses amis, le scénariste leur confère une personnalité, mais les traits de crayons sont autant influencés par Goscinny que les aventures de Nicolas sont inspirées par les réflexions de Sempé. La création devient un rêve collectif, partagé par deux artistes dans une complicité absolue. 

Leur œuvre n’en reste pas moins le résultat d’une observation du monde. Selon les mots attribués à Goscinny, l’humour se cache partout autour de nous, il suffit de savoir ouvrir son cœur pour le déceler. Le bouillonnement culturel propre à un Paris que fantasme Sempé se transpose ainsi de la réalité au papier. Une affiche des Quatre Cents Coups de François Truffaut sert par exemple d’élément de décors à une journée d’école buissonnière de Nicolas. Plus largement, l’amour du dessinateur pour la musique, entre jazz et tubes populaires de l’après-guerre, accompagne le spectateur dans l’épopée artistique. Le Qu’est-ce-qu’on attend pour être heureux de Ray Ventura, n’est pas qu’un simple sous-titre du film, il devient un hymne entonné plusieurs fois dans le long métrage, une ôde aux plaisirs simples qui témoigne de l’esprit du récit. 

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La musique est également un levier employé par Benjamin Massoubre et Amandine Fredon pour offrir une nouvelle dimension aux aventures du Petit Nicolas qui passent des albums illustrés à l’écran de cinéma. Naturellement absent de l’œuvre originale, l’accompagnement sonore des péripéties du jeune garçon confère une nouvelle intensité à la perception de son quotidien. Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux cherche constamment à épouser le style graphique de Sempé, et les thèmes choisis pour agrémenter le long métrage possèdent un même esprit enjoué et épris de liberté. Apportant une touche d’onirisme supplémentaire, la musique soutient sans envahir, souligne sans écraser, guide sans oppresser. Les notes font des innombrables jeux d’enfant des instants fondateurs, dans l’évocation lointaine d’un âge où la rêverie est au coin de chaque rue. En émulant les traits de Sempé, le long métrage épouse également sa quête de liberté. Le style unique de l’illustrateur est ouvert et aéré, les contours de l’image ne sont jamais délimités, et suivant cette même idée, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux n’enferme pas la salle de classe ou le salon familial dans le cadre de l’écran, mais laisse une zone blanche inexplorée autour des décors, faisant des évocations des aventures du jeune garçon un doux songe. Devant les yeux ébahis du spectateur, un monde de l’imaginaire se bâtit à chaque coup de plume de Sempé, dans des séquences sublimes où le dessin se construit progressivement. Du terrain d’exploration vierge de la page blanche, le dessinateur et le scénariste font une récréation, un refuge, un espace sur lequel plane souvent le rire de Goscinny.

Si les parents du Petit Nicolas sont les premiers personnages secondaires créés par Sempé et Goscinny, le public a sans cesse le sentiment que le jeune garçon est davantage le fils spirituel de ses auteurs. Comme deux aïeux bienveillants, les artistes posent un regard tendre et amoureux sur lui, le guident de leur bienveillance en parlant directement à sa manifestation fantasmée dans le monde réel. S’atteler à l’élaboration des aventures du turbulent enfant représente davantage qu’un simple travail, c’est offrir au public un part intime de sa psyché, comme un noble sacrifice de son intimité. Pour accentuer la relation hors du commun qui se tisse entre créateurs et création, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux montre très régulièrement Nicolas dans le monde réel, même si seul Sempé et Goscinny le perçoivent, mais les deux auteurs sont aussi brièvement propulsés dans le salon familial de leur héros, dans le poste de télévision flambant neuf qui fait la fierté du père. La frontière entre le monde de l’imaginaire et celui des hommes se délite progressivement, avec délice, dans un abandon salutaire des angoisses de la société moderne pour trouver un abri onirique rempli de douceur. De manière assez inattendue, le long métrage fait de la présence de Nicolas dans la réalité de Sempé et Goscinny un personnage actif. L’enfant échange avec ses pères, s’oppose parfois à eux, manifeste sa propre volonté, tel un fils face à ses parents. Ses étranges apparitions apportent une dose de fantastique séduisante au récit et renforce le lien entre l’illustrateur et le scénariste. Eux seuls peuvent voir Nicolas, ils partagent un secret qui intensifie une relation de complicité totale que même la mort ne peut pas détruire. À travers leur œuvre, ils sont devenus immortels, Nicolas leur survivra, et ce nouveau film en est une des nombreuses preuves concrètes. La filiation entre les auteurs et leur protagoniste se tisse également implicitement dans le choix des récits retranscrits à l’écran. Le jeune garçon impertinent passe du cadre de sa maison à celui de son école, avant d’arpenter les rues d’une ville semblable à Paris, puis d’enfin prendre le train pour une colonie de vacances, loin de ses parents. À mesure que le public le découvre, Nicolas s’ouvre sur le monde et s’aventure de plus en plus loin.

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Toutefois, autant qu’une formidable odyssée au confin de l’imaginaire, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux est une magnifique histoire d’amitié entre deux artistes qui ont tracé un sillon commun dans la culture de tout un pays. Sempé reconnaît ainsi avec une grande tendresse qu’alors qu’il essuyait des refus incessants de la part de nombreux éditeurs, Goscinny a été le premier à reconnaître son talent et à l’encourager dans son parcours de dessinateur. Souvent réunis à la terrasse d’un café, entre verres de vin et éclats de rire, les deux hommes sont des âmes sœurs que le destin a réunies pour le plus grand plaisir des lecteurs. Même s’ils sont adultes, la sincérité de leur relation complice se retrouve constamment chez les amis de Nicolas. Une même intensité, une acceptation des défauts de l’autre, et une pureté des sentiments passent des conversations des auteurs à la conception de leurs ouvrages. Sempé, le premier à avoir esquissé Nicolas, n’hésite d’ailleurs pas à comparer Goscinny au meilleur ami rondouillard du personnage, Alceste. L’équilibre parfait entre les deux êtres rend leur connivence précieuse, jusqu’à faire se rejoindre leurs rêves dans le royaume de l’imaginaire. Le film ne cesse jamais de les lier pour amplifier leur amitié, que ce soit à travers un ultime dîner partagé avant le décès de Goscinny, bien plus significatif pour Sempé que de quelconques obsèques, ou plus allégoriquement à travers un avion en papier lancé depuis l’appartement de l’illustrateur et qui finit par traverser le bureau désormais vide du scénariste.

La fusion entre les deux artistes n’est cependant pas faite que de légèreté. Sans jamais se l’avouer directement mais en la confiant à la matérialisation du Petit Nicolas, les auteurs font part d’une douleur enfouie et lèvent le voile sur la part d’ombre de leur propre enfance. Le spectateur prend conscience que l’univers de leur création n’est pas une émanation de leur propre jeunesse, mais plutôt le rêve léger d’une vie normale qu’ils faisaient à l’âge de leur héros. La candeur séduisante de leurs ouvrages naît d’une souffrance profonde. Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux bascule ainsi par instant dans une forme de gravité qui tranche avec le reste du film, sans dépareiller. Le traumatisme fait partie du geste artistique. Goscinny explique ainsi à sa création qu’à son âge, exilé en Argentine, il a appris la déportation de membres de sa famille pendant la guerre, brisant l’unité de sa lignée. Sempé explique quant à lui que ses relations avec ses parents, proches de la maltraitance, n’avaient rien de semblable avec celles de son personnage et que le foyer de Nicolas est celui qu’il aurait aimé connaître. Ils sont autant pères de leur héros qu’ils s’y transposent implicitement. La création n’est plus un simple mode d’expression, elle devient un idéal à poursuivre dans une quête de bonheur.

En levant le voile sur les mystères de la création d’une œuvre culte, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux devient un film précieux, sincère et même parfois bouleversant. L’héritage de Sempé et Goscinny est plus vivant que jamais dans un long métrage d’animation d’une beauté étourdissante.

Le Petit Nicolas – Qu’est-ce-qu’on attend pour être heureux? est disponible VOD, DVD, Blu-ray et Blu-ray édition collector, chez M6 Vidéo, avec en bonus : 

  • Un livret de 20 pages
  • Un documentaire avec interviews d’Anne Goscinny et des réalisateurs retraçant l’histoire du Petit Nicolas
Le Petit Nicolas - Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux? boite

Nicolas Marquis

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