Souvenirs, goutte à goutte

(Omohide Poro Poro)

1991

de: Isao Takahata

avec: Miki ImaiToshirô YanagibaYoko Honna

C’est à la faveur d’une récente vague de ressortie sur Netflix de nombreux films estampillés Ghibli que l’on (re)découvre ensemble aujourd’hui  “Omohide Poro Poro”, l’un des films les plus méconnus en occident du célèbre Studio.

On juge bon d’ailleurs de préciser que le film reste confidentiel sous nos latitudes tandis qu’il jouit d’une véritable aura au Japon. Il est même le film le plus rentable de l’année 1991 de l’autre côté de l’hémisphère, alors qu’il faudra attendre 2006 et une confidentielle sortie en DVD pour découvrir cette pépite. Mais rentrons dans le vif du propos.

À l’occasion d’un voyage à la campagne, Taeko, 27 ans, se remémore son enfance de petite fille citadine, et se questionne sur ses choix de vie  à mesure qu’elle s’épanouit dans la vie rurale.

Si on peut considéré “Omohide Poro Poro” comme l’un des films les plus importants de Ghibli, c’est parce qu’il s’agit de la deuxième des cinq réalisations du regretté Isao Takahata pour le studio, dont il deviendra l’un des plus grand ambassadeur avec évidemment Hayao Miyazaki.

Un véritable morceau d’Histoire du cinéma quand on sait l’importance qu’a eu Ghibli dans le monde de l’animation. Une révolution visuelle mais aussi de ton, dans laquelle s’est engouffrée toute une génération de cinéastes d’animation.

De ce devoir de mémoire envers l’oeuvre Ghibli, ce qui est le plus flagrant chez “Omohide Poro Poro” c’est cette façon subtile et intemporelle qu’a le studio de nous livrer une collection d’héroïnes au long de sa filmographie. On parle d’une époque où la plupart des média assomment encore les petites filles du sempiternel schéma de la fragile princesse. Ici,  non. “Omohide Poro Poro” est un film réaliste, et qui ne néglige pas la fragilité de son personnage principale, mais qui lui apporte par petite touche dans l’écriture, une cohérence habilement construite. Taeko est une femme forte et autonome, mais dont chaque fêlure de l’enfance a laissé une trace dans son caractère.

Au coeur du film, on retrouve une des thématiques les plus dominantes du cinéma de Isao Takahata : l’environnement. C’est pourtant à l’époque, trois ans avant Pompoko, la première fois que le cinéaste aborde le sujet. Mais difficile de ne pas voir dans les nombreuses digressions qui émaille le film, tout l’amour que portait Takahata pour la vie rurale. Pour preuve, alors que l’on parle d’un film de 1991, les questions de l’agriculture bio et de l’impact de l’Homme sur l’écosystème sont clairement posées.

« Que voulez-vous qu’on vous dise? Des fois c’est beau et on se tait »

Mais ce que fait de mieux “Omohide Poro Poro” c’est d’évoquer avec nostalgie la fin des années 60 à travers les souvenirs de petite fille de Taeko. Des instants parfois banaux, mais toujours restitués avec l’innocence d’une enfant, qui vont se transformer en véritable aventure pour Taeko : toutes ces premières angoisse de l’enfance qui forge le caractère adulte à venir.

C’est la aussi une des obsessions de Takahata, amoureux par ailleurs de l’art picturale japonais le plus ancien : la nostalgie. Le maître utilise tout son talent à la fois dans son coup de crayon, simple mais très à-propos, mais surtout dans ces moments oniriques où Taeko quitte ses souvenirs pour reprendre prise avec la réalité et où l’espace d’une seconde, les deux version de l’héroïne se côtoient pour un passage de relais scénaristique.

Et la meilleure façon de se rendre compte à quel point le film maitrise ce sujet, c’est de se confronter aussi à sa propre nostalgie, celle que l’on éprouve pour cette époque où le dessin animé pouvait s’épanouir dans la sagesse du coup de crayon de Takahata. Il suffit cette année d’éplucher la liste des nommés au meilleurs films d’animation des très prestigieux Oscars pour constater le vide gargantuesque qu’a laissé la fermeture temporaire du Studio Ghibli dans le monde de l’animation traditionnelle. Si Miyazaki a décidé depuis de d’enfiler à nouveau son tablier, Takahata aura lui, pour sa part, été bien mal inspiré pour une fois, de nous quitter. 

Une place que l’on est ravi de voir occupée à nouveau le studio. Si sa nature un peu vaporeuse, et son propos qui témoigne d’une époque désormais lointaine ne font clairement pas de “Omohide Poro Poro” le film Ghibli que l’on recommande le plus aux enfants, il suffit d’initier les jeunes d’aujourd’hui aux films plus fantastiques du studio pour mesurer l’impact intemporel de ce géant de l’animation. Et pour les adultes que nous sommes devenus, ce film est l’occasion idéale de mordre à nouveau à pleines dents dans le plaisir simple et honnête du cinéma de Takahata

8000

Monument de l’animation japonaise, “Omohide Poro Poro” est plus qu’un film d’animation, même si on le préconise avant tout aujourd’hui aux passionnés avertis. Il est une partie de l’héritage que laisse derrière lui l’un des plus grands génies du cinéma nippon.

Nicolas Marquis

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