(Turist)
2014
Réalisé par: Ruben Östlund
Avec: Johannes Bah Kuhnke, Lisa Loven Kongsli, Kristofer Hivju
Vous arrive-t-il parfois de choisir vos films avec un minimum d’informations? Voilà un exercice singulier qui promet toujours des surprises. Mais parce que le cinéma c’est aussi la rencontre entre une œuvre et son public, il faut qu’on vous avoue l’état d’esprit qui était le nôtre avant de se pencher sur le bien mal nommé en français “Snow Therapy” (‘Turist” de son appellation originelle): fatigué et l’estomac rempli, l’association des mots “Famille”, “Vacance” et “Avalanche” convoquait l’imaginaire d’un film catastrophe propice à l’évasion cérébrale. Surprise totale au visionnage de se trouver finalement face à un film de société, passé par le long circuit des festivals. Double choc lorsqu’on se rend compte que malgré nos prédispositions du jour, “Snow Therapy”, de Ruben Östlund, réussit à nous embarquer dans une folle réflexion limpide et fataliste. Notre long métrage du jour ne force pas l’intelligence, il l’invite et nous séduit.
Car il faut bien comprendre qu’aussi somptueusement filmée soit la fameuse avalanche (un long plan fixe joliment chorégraphié et qui rend compte de la force de la nature), cet événement n’est que le point de départ d’une destruction en règle de la cellule familiale « idyllique ». la coulée de neige ne met pas en danger nos protagonistes principaux, un couple modèle dans son installation et ses deux enfants, mais pendant le fragment de seconde où le doute pour la sécurité de tous est permis, Tomas (Johannes Kuhnke), le père, va lâchement prendre la fuite tandis que son épouse Ebba (Lisa Loven Kongsli) reste sur la terrasse du restaurant de montagne pour protéger ses rejetons. À partir de là, les vacances bien réglées de nos héros vont partir en vrille, entre règlements de comptes assassins et impossibilité de se comprendre.
Le nom du réalisateur du film ne nous est pas immédiatement revenu en tête, pardonnez nos failles, et pourtant Ruben Östlund est une personnalité bien connue du milieu et qui se distinguera 3 ans après “Snow Therapy” avec “The Square”, Palme d’Or 2017. Rien d’étonnant donc à retrouver le goût esthétique exquis du cinéaste et de son directeur de la photographie Fredrik Wenzel. La station de ski devient un univers froid et lisse, aseptisé comme un bloc opératoire où le metteur en scène va pouvoir “opérer” sa famille dysfonctionnel. On joue des couleurs et des lumières de la montagne, des lignes strictes des hôtels locaux, ces grands complexes insipides et formatés. Östlund est le croque-mort qui rôde dans les couloirs.
« Important la santé buccodentaire. »
Avec gravité, la mise en scène va se faire lourde et oppressante. Östlund va enchaîner les belles idées pour mieux souligner un propos qui ne simule pas sa contenance. Régulièrement des panneaux viennent égrener la durée écoulée du séjour, un marqueur temporel comme une liberté conditionnelle. À d’autres moments se sont les bruits des canons à neige, plus évocateurs d’une déflagration de fusil à pompe que de l’esprit vacances, qui viennent tirer le spectateur de sa torpeur. Les symboles de désunion semblent partout comme dans la récurrence de scènes qui nous plongent dans la salles de bain de cette famille: se brossant d’abord les dents à l’unisson, ils sembleront désynchronisés le second, les enfants disparaîtront le troisième avant que le chaos règne lors de l’ultime insertion. Narration par l’image réussi.
Avant de s’attarder sur les ruines du couple, soulignons le caractère étrange, voire carrément hostile que “Snow Therapy” donne aux enfants. Incapable de s’exprimer autrement qu’à travers des hurlements bestiaux. Ils exercent une forme de domination malsaine sur leurs parents, dictant leur ligne de conduite. Parfois totalement démissionnaires de leur rôle, parfois abattus, Tomas et Ebba voit dans les yeux de leurs rejetons le reflet d’une image qu’ils ne sont déjà plus.
Un constat que souligne sans cesse le scénario: “Snow Therapy” est un film sur la destruction de l’engagement commun de deux époux, sur ce moment clé où tout va basculer, cet instant où l’admiration fait place à l’inquiétude et au dégoût. Östlund va démolir ses personnages: d’abord cette mère qu’on victimise et dont on réfute la version des faits, puis le mari une fois la preuve de sa lâcheté établie. Il ne reste rien de ces personnages à la fin de la grande épreuve que leur impose le film, à peine le squelette de deux prisonniers de circonstances terriblement ordinaires.
Östlund va tout de même laisser place au pragmatisme. L’arrivée d’un ami de notre couple va venir apporter une touche de bon sens…rapidement corrompue. Attribuant d’abord les bassesses de son pote à des circonstances extraordinaires, on sent que le dilemme le gangrène: qu’aurait-il fait lui aussi? Le réalisateur et scénariste fragilise ces “mâles alphas”, les met face à leur illusions et fait mouche. Le reconstruction du couple qui suit les tiraillements de cette famille semble d’ailleurs factice, improbable, fantasmée.
En voilà une belle surprise, loin de ce que l’on imaginait. Östlund livre ici une vision au vitriol de la famille unie en apparence, démolie en coulisse.
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