(جاده خاکی)
2022
Réalisé par: Panah Panahi
Avec: Hasan Ma’juni, Pantea Panahiha, Rayan Sarlak
Film fourni par Pyramide Films
Le talent se transmet de père en fils dans la famille Panahi. Fils de l’illustre Jafar Panahi, un des cinéastes iraniens les plus célèbres au monde, Panah Panahi trace à son tour son sillon et entame une carrière de réalisateur de long métrage, avec Hit The Road, sorti en 2022. Aussi glorieuse soit son ascendance, le jeune metteur en scène ne bénéficie pourtant d’aucun privilège: son nom est un atout, mais il a appris son métier sur les bancs de l’université d’art de Téhéran, comme n’importe quel étudiant en cinéma. À plus forte raison, alors que son père est actuellement injustement emprisonné pour le caractère supposé subversif de ses films, Panah Panahi ne peut pas se vanter de quelconque passe droit, dans un pays où l’accomplissement artistique est souvent contrarié par les élans totalitaires du pouvoir en place. Le jeune homme ne s’est pas improvisé réalisateur, il s’est forgé au gré des différents postes qu’il a occupés. Après quelques courts métrages remarqués par la critique, il gravite autour des plateaux de tournage paternels, se faisant tour à tour consultant, monteur et assistant réalisateur. Avec l’amour du septième art en héritage, et une connaissance certaine de la technique acquise dans le feu de l’action, Panah Panahi réussit le tour de force de faire de Hit The Road une réussite de fond et forme, qui propulse le film jusqu’à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes. Sur de là où il souhaite se rendre, Panah Panahi est aussi conscient de ses origines. Son long métrage se déroule presque exclusivement dans l’habitacle d’une voiture, et le clin d’œil au Taxi Téhéran de son père, qui utilisait le même cadre, est impossible à ignorer pour le spectateur au fait de la filmographie familiale.
Panah se démarque toutefois de Jafar en quittant les rues de la capitale iranienne, et en parcourant les paysages ruraux du pays. Hit The Road est un pur road movie dans lequel une famille prend la fuite, dans le plus grand secret, afin de conduire le fils aîné devenu adulte (Amin Simiar) vers la frontière. Leur ambition est de lui faire gagner un pays voisin, dans lequel la qualité de vie sera meilleure et où il pourra librement s’épanouir. Pour y parvenir, ses parents ont tout hypothéqué, dans un pur élan d’amour et d’altruiste. Néanmoins, l’heure des adieux est redoutée, et le plus jeune fils (Rayan Sarlak) ignore tout du projet de ses aînés. Au fil des kilomètres, entre non-dits et rencontres saugrenues, les 4 protagonistes avancent vers leur destination.
Dans cet ultime voyage, Hit The Road prend des allures d’adieu à la terre d’Iran, que Panah Panahi filme avec amour et douceur. Jamais la folie d’une société délétère ne se dessine dans son long métrage, et la majesté des paysages moyen-orientaux offre une splendide toile de fond à sa comédie loufoque. Le grand frère ne quitte pas son pays de gaieté de cœur, son départ est un déchirement et un déracinement affirmé, un émouvant au revoir au sol qui l’a vu grandir. L’attachement sentimental des iraniens à leur pays est par ailleurs signifié par le petit frère, qui embrasse régulièrement la terre face à la beauté d’une montagne ou de champs agricoles colorés: dans l’innocence de la jeunesse, l’enfant se prosterne. Cependant, Panah Panahi ne remet jamais en cause le bien fondé de l’exode du fils aîné. Tout le monde est conscient des errances de la société iranienne et du climat effroyable dans lequel vivent les citoyens les moins privilégiés, Hit The Road n’a donc pas besoin de motiver le périple. Le film refuse tout élément scénaristique qui servirait de point de départ au voyage. Puisque les hommes de pouvoir ont fait de cette nation un enfer, la fuite est effroyablement logique.
L’exil des jeunes adultes iraniens reste un tabou dans un pays en plein tumulte, et Hit The Road choisit de retranscrire ce secret de polichinelle en plaçant le spectateur dans la peau du plus jeune fils, durant la phase introductive du récit. À l’instar du garçon, le spectateur ignore tout des raisons du périples, il perçoit seulement les bribes d’un danger qui plane sur le voyage. Panah Panahi prive son public d’une partie des explications et le laisse désemparé, accompagnant le chaos de grands mouvements circulaires de la caméra, sautant ainsi d’un protagoniste à un autre dans le tumulte de la voiture. Dans un geste d’écriture singulier, le cinéaste associe pourtant le rêve d’une terre meilleure à son plus jeune personnage. Bien qu’il ignore la plupart des errances des instances de son pays, le garçon rêve déjà des USA, à travers une fascination enfantine pour Batman, censuré en Iran. La folie des hommes le frappe déjà indirectement, et rien ne laisse à penser que son avenir sera radieux.
Aussi graves soient les thèmes implicitement évoqués par Hit The Road, le film n’en reste pas moins une véritable comédie. Le rire est une arme pour Panah Panahi, dans un style parfois proche de celui de son père. L’humour est le premier levier de dénonciation des contradictions d’un pays divisé, mais aussi une façon pour les personnages de verbaliser ce qu’ils ne sauraient exprimer posément. Les blagues et moqueries sont légion, mais sont presque toujours porteuses d’une vérité que les protagonistes n’osent pas s’avouer ouvertement. Dans une démarche similaire, Panah Panahi emploi la musique comme vecteur des sentiments. Les paroles des chansons populaires qui passent à la radio, et qu’entonne le plus souvent la mère, sont hautement significatives, un écho émouvant des tourments qui s’emparent de la famille. Ce qui s’amorce par le regard, mais ne peut se dire, est prolongé par le chant, comme une curieuse fenêtre sur la psyché des personnages.
Les actes sont finalement plus significatifs que la parole, car à l’évidence, la relation filiale est ponctuée de silences oppressants et de mots vides de sens. Le père et l’aîné ne communiquent ainsi presque pas durant tout le film, et lors de la seule scène qu’ils partagent exclusivement tous les deux, leur dialogue reste désespérément futile. L’homme mûr ne réussit pas à transmettre son savoir, il ne peut que prouver son affection par les sacrifices financiers qu’il a consenti pour que son fils trouve un avenir meilleur. La mère de famille est quant à elle dans une explosion sentimentale, elle dorlote son petit, mais pourtant elle ne semble jamais tutoyer l’essentiel. L’intensité de son amour ne fait aucun doute, mais il ne s’exprime qu’une fois la séparation actée, alors que son enfant ne peut plus voir son émotion. La fracture entre les générations est clairement établie, même si Hit The Road ne coupe pas totalement les liens: un lien fort uni la famille malgré les non-dits.
En faisant le choix de ne donner aucun nom à ses personnages, Panah Panahi offre de l’universalité à son message. Cette famille au bord du précipice, en équilibre précaire, pourrait être n’importe quelle lignée iranienne. La société du pays moyen-orientale opprime ses citoyens d’une même manière, suivant un système dangereusement institutionnalisé. L’épanouissement ne peut s’accomplir, l’exode des enfants est un mal nécessaire auquel les parents se résignent dans un acte désespéré d’amour, prêts à tout hypothéquer pour le futur de leur descendance, eux qui n’ont pas eu cette chance. La cellule familiale se meurt devant cette cruelle vérité: le père est physiquement blessé, et le sacrifice du chien est sans cesse évoqué. La déliquescence de ce qui devrait former le socle de la nation iranienne est une constante de Hit The Road, que Panah Panahi souligne symboliquement.
Photographie émouvante et drôle d’un Iran face à ses démons, Hit The Road additionne poésie de moments oniriques, et justesse du propos dans un film particulièrement séduisant.
Hit The Road est disponible en Blu-ray et DVD chez Pyramide Films, avec en bonus:
- Court-métrage
- Entretien avec Panah Panahi
- Le film vu par Agnès Devictor