Seules les bêtes

2019

de: Dominik Moll

avec: Denis MénochetLaure CalamyDamien Bonnard

On aurait parfois tendance à penser que l’âge d’or du polar à la française est passé. Malgré quelques tentatives récentes, souvent ratées, la plupart des films que l’on se remémore sentent bon l’époque où Yves MontandJean Gabin ou Patrick Dewaere campaient des rôles de flics bourrus et d’enquêteurs taciturnes. Panne d’originalité ou écriture parfois bancale, compliqué pour les cinéastes de notre époque de rivaliser, malgré leur talent. Alors énième écueil ou renouveau avec “Seules les bêtes”, le film qui nous intéresse aujourd’hui? Voyons cela ensemble.

Dans une région montagneuse et rurale française, la disparition d’une femme en pleine tempête de neige va provoquer l’émoi, mais aussi engendrer toute une réaction en chaîne qui va bouleverser l’existence de plusieurs habitants de ce coin reculé de notre pays.

Derrière la caméra, on retrouve Dominik Moll, un réalisateur rompu à cet exercice du polar: on pense notamment à la série “Tunnel” qu’avait diffusée Canal+, ou encore dans une certaine mesure le sympathique “Harry, un ami qui vous veut du bien”, pour ceux qui ont un peu de mémoire. Son expérience du genre se ressent dans le film, notamment dans son montage qui brouille efficacement les pistes, le film étant découpé en plusieurs chapitres bien distincts, changeant à chaque fois de protagoniste.

Une confusion voulue pour mieux perturber le spectateur, variant en plus des personnages les lieux, la narration, les sous-genres du polar, et le placement chronologique. On avance dans le temps pour mieux revenir en arrière par la suite, et ainsi lever le voile sur une scène déjà vue, lui offrant un nouvel angle. Tout cela, le cinéaste l’exécute avec efficacité, à la faveur d’un bon montage, restant plutôt sobre dans son approche. Un peu trop peut-être tant il ne propose pas grand chose de réellement nouveau en terme de réalisation, s’appuyant sur un style relativement académique pour apporter de la cohérence à l’ensemble (du moins dans sa première moitié).

« un petit cache-cache? »

Pour aider Dominik Moll dans la tâche, il peut compter sur un scénario offrant des personnages plutôt bien délimités. Ils ont chacun leur caractère, leur travers, leur psyché qui les rendent uniques. Ils offrent à chaque chapitre un style différent. Une vérité particulièrement probante chez les protagonistes masculins, avec une mention spéciale pour Damien Bonnard qui éclabousse le film de tout son talent: sa partition est probablement la meilleure. Mais d’une manière générale, c’est tout le casting qui semble au diapason.

Malheureusement, si l’amorce du film est savoureuse et efficace, le dernier tiers consacré au dénouement va beaucoup moins bien se dérouler. “Seules les bêtes” va tomber dans le piège classique du film policier légèrement bancal, cette maladie cinématographique que l’on désignera sous le nom de “syndrome du monde est petit”. En se cachant derrière des explications pseudo-mystiques, le film va perdre pied, et confronter certains personnages par le biais de hasards bien trop gros pour être recevables sans hausser un sourcil.

Pire que cela, une fois cette dernière partie amorcée, on sait immédiatement où le film va nous embarquer, voire complètement deviner la fin. Le polar est un genre complexe où il faut savoir tenir le spectateur en haleine jusqu’à l’ultime instant où la vérité est révélée. Allez savoir, peut-être que Les Réfracteurs ont vu trop de films pour se laisser berner, toujours est-il que sur les deux heures qui composent le film, les 40 dernières minutes nous sont apparues bien trop prévisibles et l’écriture terriblement plus grossière. 

Ce mélange de ruralité, d’isolement et de complexité des rapports amoureux, pourtant bien entamé, tombe à l’eau à cause d’une exécution d’un coup bien moins bonne qualitativement. La pertinence du message de “Seules les bêtes” est complètement diluée dans sa résolution un poil rocambolesque. Si la mission du film était de trouver de la profondeur dans une dissection du sentiment affectif de ses personnages, c’est raté. Reste tout de même le souvenir d’un moment agréable, sans grandes réflexions mais divertissant malgré des raccourcis scénaristiques gênant.

Il n’est pas encore pour aujourd’hui, le renouveau du polar français. “Seules les bêtes” possède un soupçon d’originalité dans son découpage, mais s’écroule dans le fond et dans la forme lors d’un dernier tiers bien trop tiré par les cheveux, même si le film reste ludique et divertissant dans l’ensemble.

Nicolas Marquis

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