Chanson douce

2019

de: Lucie Borleteau

avec: Karin ViardLeïla BekhtiAntoine Reinartz

C’est ce que l’on appelle une “prise d’otage émotionnelle”. La manière dont une œuvre utilise certains ressorts pour vous impliquer dans son histoire. À ce petit jeu, il existe des catégories de personnages qui aspirent totalement le spectateur: les enfants. Dès lors qu’un marmot est impliqué, et à plus forte raison dans un contexte où il pourrait subir des violences, cela devient viscéral: que l’on soit parent ou non, on s’émeut, on se révolte, on est pris aux tripes. Mais cela suffit il pour masquer des défauts omniprésents? Pour certains qui vivent avant tout l’histoire sans y réfléchir c’est parfois le cas, mais dès que l’on prend un peu de recul, le piège est trop grossier pour tomber dedans.

Exemple aujourd’hui avec “Chanson Douce” de Lucie Borleteau. Myriam (Leïla Bekhti), une mère de deux enfants dont un nourisson, décide de les faire garder pour reprendre son travail. Elle et son mari Paul (Antoine Reinartz) vont faire appel à Louise (Karin Viard), une “nounou” d’apparence appliquée, mais qui au fur et à mesure va se révéler être fragile psychologiquement, s’immiscer chaque jour un peu plus dans le quotidien du couple et mettre en danger les enfants.

Premier constat: niveau originalité, on repassera. On ne compte plus le nombre de films qui ont mis en avant ce genre de contexte, où celle qui devient la gardienne des enfants cache un côté sombre. Cette recette, elle est facile justement à cause de cette prise d’otage émotionnelle que nous évoquions en introduction. Elle est même doublement efficace car en plus d’impliquer les enfants, la nounou permet de frapper dans l’intimité d’une famille: l’obligation de confiance que suggère un tel personnage rend sa trahison encore plus glaçante. Une vieille recette donc, un peu éculée, mais après tout pourquoi pas? C’est dans les vieilles bobines que l’on fait parfois les meilleurs films.

Dans les premiers instants, on se laisse d’ailleurs facilement charmer. Un montage dynamique, qui maintiendra son rythme tout au long de l’oeuvre, permet de donner du tonus à un film presque en huis-clos. La musique qui appuie le crescendo de dangerosité de Louise fonctionne également efficacement.

« Gros dodo »

Le souci c’est que passer le premier tiers du film, on se rend rapidement compte que le long-métrage n’a plus rien à offrir. Pire, il va passer par des raccourcis proches de l’invraisemblable. Non seulement “Chanson Douce” se fait redondant, mais il va en plus imposer un modèle familial caricatural. Ces deux parents, d’un absentéisme total, semblent ne rien déceler du danger qui les guette malgré les signes de plus en plus concrets de la folie de Louise. Imaginez-vous employer une baby-sitter qui débarque dans votre appartement avant votre réveil pour vous préparer votre petit-déjeuner, alors que vous ne lui avez rien demandé? Non, et nous non plus, pourtant le film va nous forcer à admettre ce genre de postulat.

On imagine que ces scènes improbables sont l’amorce d’un message plus universel, une dénonciation de la conception moderne de la parentalité, notamment en jouant sur la culpabilité du personnage de Leïla Bekhti. Mais finalement, à peine entamé, le film s’évade de ce deuxième niveau de lecture. Une rapidité qui rend ce côté de l’oeuvre complètement vieux jeu, voire franchement raté.

La direction des acteurs n’aide pas non plus à l’immersion. On ne remet pas en cause le talent de ce trio d’acteurs qui n’a plus à faire ses preuves, mais emmêlés dans des dialogues sans saveur, ils semblent tous déclamer leur texte sans naturel. Des tirades bien trop écrites qui ne permettent pas aux comédiens de s’épanouir dans leur rôle.

On ne va toutefois pas tout jeter aux ordures: le personnage de Karin Viard reste intéressant, car le scénario lui offre de la consistance. Là où souvent le cinéma se contente d’un antagoniste sans raison apparente à sa cruauté, “Chanson Douce” va plus loin, et creuse le passé de Louise pour lui offrir une réelle psyché. Ce personnage, bien qu’un peu taré, ça on ne peut le contester, a des raisons à sa folie. Cette envie de fuir son quotidien pour se réfugier chez d’autres, plus gâtés par la vie, est justifiée. Pour peu, on la prendrait même en pitié. C’est déjà beaucoup pour un rôle qu’on pensait vu et revu.

En la vérité, “Chanson douce” est davantage un personnage qu’un film. Un soucis si l’on cherche un message plus profond. Le long-métrage fonctionne du moment qu’on se laisse prendre au jeu, mais retombe comme un soufflet si on creuse un peu plus.

Nicolas Marquis

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