(The Way We Were)
1973
Avec: Barbra Streisand, Robert Redford, Bradford Dillman
Film fournit par Wild Side
Si on devait évoquer les grands réalisateurs qui ont su exceller dans le domaine de la romance, il y a fort à parier que le nom de Sydney Pollack s’imposerait rapidement. Les films d’amour que l’auteur nous a offert restent encore aujourd’hui des témoignages vibrants de son sens inné pour atteindre la justesse sentimentale propre à ce genre à part entière. Ironie du calendrier, on évoquait nous même tout récemment un de ses longs métrages frappés par cette dimension émotionnelle, pourtant inattendue dans le cadre proposé, lorsque nous nous étions penchés sur Yakuza lors de notre mois spécial Paul Schrader qui signait le scénario de l’œuvre. Mais s’il ne devait ne rester qu’un acteur emblématique de ce savoir-faire de Sydney Pollack en la matière, ce serait son fidèle collaborateur et ami Robert Redford: impossible de ne pas faire mention de son couple mythique avec Meryl Streep dans Out of Africa, à jamais dans nos mémoires. Aujourd’hui, c’est pourtant un autre film où le comédien tient le rôle de protagoniste principal masculin d’une histoire de cœur que nous allons vous présenter, à travers cette critique de Nos plus belle années sortie 12 ans auparavant, et dans lequel il partage l’affiche avec une autre icône américaine: Barbra Streisand.
La comédienne et chanteuse y incarne Katie que nous découvrons à l’université où elle étudie la littérature, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. D’origine modeste, la jeune femme travaille dur pour financer son cursus mais est surtout habitée par une force idéologique inaltérable: communiste convaincue, elle lutte activement pour la paix dans le monde au risque de se heurter à des quolibets douteux. De façon inattendue, elle se lie avec Hubbell, que campe donc Robert Redford, et qui représente son exact opposé. D’ascendance riche, sportif émérite, cet homme reste toutefois animé de la même passion que Katie pour les lettres où il excelle: tout semble en fait facile pour Hubbell. Leur romance n’est pourtant pas simple tant leurs univers et leurs convictions personnelles s’opposent, mais elle s’étalera jusque dans les années 60, marquées par le Maccarthysme, de Manhattan à Hollywood.
Le périple amoureux est donc aussi géographique pour Sydney Pollack qui affiche une fois de plus son soin dans la mise en valeur de ses décors. Sans avoir l’envergure naturelle propre à Out of Africa, le réalisateur trouve pourtant un souffle presque épique dans la représentation formelle des USA en pleine mutation. La parenthèse enchantée et rétro des universités, l’ébullition d’un New York qui ne dort jamais ou encore le soleil qui resplendit sur Los Angeles, que le cinéaste qualifie dans les bonus de la dernière édition Blu-Ray de simple “amas de village”, font de Sydney Pollack un cinéaste purement américain, mais également conscient du melting pot d’origines diverses qui composent son pays. Mais les décors ne sont pas que séduisants à l’écran, ils appuient aussi une forme de narration par l’image: est-ce un hasard si la couleur rouge revient aussi souvent alors que les opinions politiques de Katie sont le point conflictuel du récit? Bien sûr que non.
Ce qui s’affirme dans l’espace se ressent encore plus dans le temps. En se plaçant dans une période bien particulière où les opinions politiques diverses déchirent l’Amérique et où les revirements idéologiques sont nombreux, Sydney Pollack et le scénariste Arthur Laurents soulignent les divisions. La fracture du pays de l’oncle Sam ne date pas d’hier; elle s’est cimentée aux travers de luttes et de débats intenses depuis des décennies. Mais pourtant, le duo ne va pas souligner ces fractures de manière outrancière par le biais de grandes figures historiques. De son propre aveu, Sydney Pollack n’aime pas parler de politique de façon directe, il préfère passer par une romance impossible et condamnée. Faire de son histoire un pur film politique lui semble trop abrupt et il confesse préférer jouer la subtilité: il a besoin de passer par le couple, ramener les problématiques à une échelle beaucoup plus humaine et accessible. Le tandem amoureux est souvent au centre de ses récit, mais toujours plongé dans un environnement qui va oppresser les amants maudits de ses longs métrages, une constante de sa filmographie.
Nos plus belles années est sans aucun doute possible un des plus vibrants exemples de cette savante pratique: tout oppose Katie et Hubbell, sur les plans social, religieux ou encore politique, mais Sydney Pollack réussit totalement à rendre crédible cette histoire. Cela passe sans doute par la façon astucieuse qu’il a de saupoudrer son œuvre d’éléments proches du conte de fée. Il serait aisé de voir Robert Redford en prince charmant, ne serait-ce que physiquement, au point que le cinéaste parle de “fantasme”. La réciproque s’applique aussi chez une Barbra Streisand similaire à une Cendrillon dans la façon qu’elle a de jongler entre ses différents boulots. Pourtant, dans le déroulé pur de Nos plus belles années, dans les actions entreprises par les protagonistes, c’est le personnage féminin qui semble le plus courtiser son alter-égo. C’est Katie qui mène la danse, elle qui pousse Hubbell à accomplir son destin idéal malgré les embuches, jusqu’au point de vouloir le transformer, comme le symbolise un mouvement récurent de la main de l’héroïne recoiffant son partenaire, métaphore d’une femme qui veut conformer son fiancé à ses attentes, jusqu’au moment funeste et attendu où il mettra fin symboliquement à ce geste. Pour attester encore un peu plus de cette inversion des rôles peu ordinaire, on pourrait évoquer un bref plan où les amoureux se baladent en bateau sur un lac et où la belle est pourtant celle qui rame. Mais peut être encore plus parlante est cette séquence où Robert Redford somnole, tel La Belle au bois dormant, réveillé uniquement par les attentions de Barbra Streisand.
Ces amants maudits par le contexte éprouvant de leurs origines, leurs convictions et leurs façons d’être, toutes opposées, ont au moins une chance: celle de voir leur histoire narrée par un metteur en scène qui maîtrise à la perfection la romance et qui sait parfaitement installer le sentiment amoureux dans un film. Sydney Pollack est un virtuose en la matière, sa carrière le prouve, et bien que Nos plus belles années ne soit que dans la première moitié de sa filmographie, il semble jouer de tous les leviers à sa disposition pour inviter à l’émotion sincère, tutoyant la perfection en permanence. Des images évanescentes de Hubbell et Katie, tantôt réunis, tantôt face à face, marquent le spectateur, un montage savant souligne leur union et parfois leurs différences. Mais c’est surtout son utilisation du thème sonore de Marvin Hamlisch, qui remportera l’Oscar cette année-là et qui servira de socle à une chanson qu’entonne évidemment Barbra Streisand, qui frappe les esprit. Une justesse absolue plane sur un long métrage qui a le bon goût de ne jamais en faire trop. C’est l’interprète de Katie, toujours en bonus du Blu-Ray, qui illustre le mieux ce savoir-faire en mettant en évidence le fait que Hubbell ne prononce jamais les mots “Je t’aime” sans qu’on ne doute pourtant ne serait-ce qu’une seconde de ses sentiments.
Nos plus belles années ne se limite pourtant pas au duo présent en tête d’affiche et va, courageusement, proposer un axe du récit propre à l’Histoire du 7ème art. Lorsqu’un grand réalisateur comme Sydney Pollack parle de cinéma, il convient de l’écouter attentivement. Le metteur en scène va très nettement pointer du doigt la paranoïa et la peur du communisme aux USA dans les années 50. En mettant en scène ce qu’on appelle “La chasse aux sorcières » et en prenant la défense des “Hollywood Ten”, ces 10 artistes bannis des studios en raison du maccarthysme, Sydney Pollack adopte une position saluable qui n’est pourtant pas forcément encore totalement partagée par la population américaine en 1973, année de sortie du film. Au cours d’une scène très précise, le cinéaste offre même une symbolique qui se prête volontiers à la libre interprétation: alors que Hubbell et Katie sont reçus à dîner chez un producteur hollywoodien, ce dernier convie ses invités à une projection privée dans sa demeure. Alors qu’un tableau se baisse mécaniquement pour laisser apparaître un projecteur, un micro posé par le FBI déchire la toile. L’art se meurt sous des élans proches du fascisme.
Nos plus belles années est un diamant finement taillé par Sydney Pollack, preuve de son savoir-faire en termes d’histoires d’amour, qui pousse pourtant à de bien plus larges réflexions.
« Nos plus belles années » est actuellement édité par Wild Side