New York – Miami

(It Happened One Night)

1934

réalisé par: Frank Capra

avec: Clark GableClaudette ColbertWalter Connolly

Le Road-Movie s’applique à tous les styles. Ce qu’on considère parfois comme un genre à part entière est davantage une structure narrative particulière qui se plie à de multiples exercices différents, du drame cruel à la comédie légère et rigolarde. En 1934, le cinéma n’en est encore qu’à ses balbutiements et même si “New York – Miami” n’invente pas le Road-Movie, son réalisateur Frank Capra en propose une approche bien particulière, mélange d’humour, de romance et de film social. Un schéma forcément novateur et intéressant à redécouvrir aujourd’hui.

Sur les routes américaines, un homme et une femme vont se confronter et leurs deux destins vont se croiser et s’entremêler. Ellie (Claudette Colbert) est une jeune fille fortunée de la haute société, partie en secret rejoindre son futur époux en s’échappant des griffes de son père qui n’approuve pas cette union. Peter (Clark Gable) est lui un journaliste aussi minable que sympathique qui va flairer le scoop et prendre Ellie sous son aile durant le voyage dans l’espoir de raconter son histoire. Ils ignorent alors que malgré leurs différences, une complicité intense va progressivement s’installer entre eux.

Avec “New York – Miami”, on retrouve le petit monde merveilleux de Frank Capra, celui qu’on vous décrivait déjà dans notre critique de “La vie est belle”. Un univers un peu naïf mais rempli de douceurs, de joies simples et de sentiments agréables. Certes, tout ce décor a ses limites et il est parfois compliqué de pardonner certains élans de candeurs qui nuisent à la cohérence: la fin du long-métrage sur lequel on s’attarde aujourd’hui va clairement en souffrir. Mais allez savoir pourquoi, Capra réussit pourtant toujours à nous embarquer, à nous hypnotiser et à nous attirer dans cette parenthèse enchantée dans laquelle on se sent tout simplement bien. Une bulle de coton diablement attirante cette fois encore et qui rappelle presque les contes de fées.

La cinéaste affirme d’ailleurs pleinement son style dans cette œuvre, en imposant un rythme narratif particulièrement soutenu. Les ellipses sont nombreuses et les scènes relativement courtes, allant à l’essentiel, mais c’est aussi dans le débit de parole que le film va se faire cinglant. Les répliques savamment écrites fusent, les expressions verbales les plus drôles s’enchaînent et les sourires des spectateurs se dessinent aisément.

« Pouce! Je suis fatigué! »

Capra va toutefois se faire discret dans “New York – Miami”. Pas de grands effets de manches incongrus. Ici, le réalisateur est au service de ses acteurs: ils sont le cœur et l’âme du film et le cinéaste l’assimile pleinement. On apprécie autant l’œuvre qu’on adhère à la performance de Clark Gable et Claudette Colbert. Ils sont la clé de voûte de l’intrigue et analyser le long-métrage, c’est avant tout s’attarder sur les personnages qu’il nous propose.

Elle est parfaite en bourgeoise hautaine et prétentieuse. Du moins de prime abord, car au fil du film va se dessiner un caractère plus complexe. Son envie d’indépendance, c’est en réalité une soif de vivre. Une existence où un simple voyage en bus devient une aventure palpitante, loin de sa tour d’ivoire et des diktats de la société.

Lui est tout aussi brillant en reporter looser, cabotin et aux mots toujours tranchants. Mais comme sa partenaire, le rôle de Clark Gable a une portée plus profonde qu’il n’y paraît. À l’instar d’Ellie, Peter veut vivre! S’il est bien plus débrouillard que sa comparse, il n’en reste pas moins un homme qui vit sa vie de manière frivole et dont le cœur sans attache voudrait éprouver le sentiment amoureux. Derrière le masque de l’humour, l’émotion.

La rencontre de ces deux trajectoires distinctes va se révéler explosive dans quelques belles scènes où l’évidente complicité des personnages (et des acteurs) saute aux yeux. Dans une séquence où les deux compagnons d’infortune tentent de faire de l’autostop, Peter va d’abord se faire vantard, se prétendant expert en la matière, avant d’essuyer de multiples refus de la part des automobilistes de passage qui ne ralentissent même pas. Quand Ellie va prendre le relais, réussissant à arrêter la première voiture venue en découvrant légèrement ses jambes, quelque chose de magique se passe. En inversant le dogme du chevalier servant pour imposer une princesse qui n’est pas en reste, Capra trouve du rebond.

Tout en subtilité, Capra va également délivrer quelques symboliques savoureuses, judicieusement réfléchies. On ne résiste pas à disséquer un autre exemple: à chaque arrêt pour la nuit, nos deux héros font chambre commune mais Peter les sépare d’une simple couverture suspendue à un fil. Une façon diablement intelligente pour le cinéaste d’affirmer qu’une barrière existe entre ses personnages mais qu’elle est précaire, fragile, prête à tomber à tout instant pour qu’enfin la magie de la rencontre de deux âmes opère.

New York – Miami” symbolise bien ce qu’on aime chez Frank Capra: des sentiments simples, parfois trop, mais qui ne manquent jamais leur cible, notre cœur.

Nicolas Marquis

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