(女囚さそり 701号怨み節)
1973
Réalisé par: Yasuharu Hasebe
Avec: Meiko Kaji, Masakazu Tamura, Yumi Kanei
Si le cinéaste Shunya Itô a fait ses adieux à sa “Femme Scorpion” au terme du troisième volet de ses aventures, son héroïne poursuit sa trajectoire: en 1973, la même année que l’ultime variation du réalisateur originel autour de Sasori, les producteurs de la saga entendent bien capitaliser sur le succès de leur franchise. C’est à Yasuharu Hasebe que revient la lourde tâche de perpétuer l’héritage des 3 films de Shunya Itô. Loin de casser les codes imposés par les premiers opus, Hasebe s’inscrit plutôt dans la continuité mais tente d’insuffler également quelques différences propres à ses inclinaisons personnelles. Mais n’est pas Shunya Itô qui veut, lui qui avait tellement marqué nos esprits de sa mise en scène fabuleuse, et on va constater que “Mélodie de la rancune”, malgré quelques très bonnes idées, n’est probablement pas à mettre au même niveau que les autres volets, la faute à des tâtonnements de réalisation, et une histoire un brin dissonante avec le parcours de Sasori.
Notre héroïne (toujours campée par Meiko Kaji, pour la dernière fois) est une fois de plus poursuivie! La police est lancée à ses trousses et elle va trouver refuge auprès d’un employé de Strip Club, Yasuo (Masakazu Tamura). Cet homme est lourdement marqué physiquement et psychologiquement par la torture qu’il a subit des mains de la police lors de ses années de contestation politique. Ensemble ils vont prendre la fuite, mais l’inspecteur qui les talonne semble prêt à tout pour mettre la main sur Sasori et son complice, et leur faire payer le prix fort de leurs forfaits.
C’est donc dès le résumé même de l’œuvre que va venir planer une forme de rupture, assez étrange à digérer, avec le reste de la saga. Sasori était jusqu’alors une femme solitaire, seule contre tous et voilà qu’on lui colle une histoire amoureuse, elle qui était pourtant la manifestation de la lutte contre l’oppression masculine. Pire, dans le premier film, on installait l’histoire de ses origines à travers la trahison d’un homme. On a donc un peu l’impression qu’on ne retrouve pas la femme scorpion qu’on avait aimée suivre auparavant. Il se pose donc une question essentielle à laquelle chacun trouvera sa propre réponse: à qui appartiennent les héros et les histoires? Parfois le public peut se sentir trahi, et on comprend ce sentiment, mais on aurait tendance de notre côté à laisser les créateurs exprimer leurs envies et juger le résultat sans apriori.
« On peut être un malfrat et porter des gants chics »
Ce changement de mentalité s’accompagne en fait d’une modifications des thématiques. Le féminisme est toujours présent mais indéniablement plus discret, moins souligné. Il semble avec “Mélodie de la rancune” que Yasuharu Hasebe, également scénariste, s’attarde bien plus sur une forme de lutte politique envers la police et par extension les pouvoirs publics. Le cinéaste se fait presque anarchiste dans son approche, une idée déjà présente dans les aventures de Sasori mais plus accentuée cette fois. La balance entre révolte de femmes et combats de société s’inverse avec ce quatrième opus. Pas forcément une mauvaise chose dans l’idée si on accepte de voir un film où un personnage que l’on connaît est un peu remanié, d’autant plus que le long métrage ne réfléchit pas seulement la violence policière de l’instant, mais aussi ses conséquences à long terme à travers le personnage de Yasuo.
Le souci n’est pas dans l’intention, mais plutôt dans l’exécution, voire l’écriture. Les personnages qui entourent Sasori ont toujours été volontairement caricaturaux dans leur approche, mais il se dégageait d’eux une certaine forme de cohérence dans leur excès. Ici l’antagoniste du film, ce détective violent par essence, paraît parfois incompréhensible dans ses actions. Certains rebonds de l’histoire apparaissent incongrus, comme si la mentalité de ce flic changeait parfois sans raison valable. On s’interroge: “Mélodie de la rancune” ne délaisserait il pas le premier degré du long métrage pour basculer dans le second niveau de lecture trop profondément, au détriment de la continuité? C’est en tout cas le sentiment qui nous habite.
Dans la réalisation pure, le doute nous assaille quelque peu également. “Mélodie de la rancune” est loin d’être inintéressant dans sa mise en image, comme en attestent certains décors et effets de lumières, mais passer un certain stade, variable selon le spectateur, on a l’impression que Yasuharu Hasebe tente simplement d’émuler les visuels de Shunya Itô sans en caresser la folie permanente et si séduisante. Le long métrage semble s’enfermer dans cette imitation plaisante mais loin des autres opus plutôt que d’afficher un nouveau style et assumer le changement de cinéaste et de thèmes. Hasebe va même complètement rater sa mise en scène dans quelques séquences franchement brouillonnes: le dénouement par exemple est très mal cadré, ou encore certains plans de coupe sont tellement rapides qu’on dirait une erreur de montage. Dommage, car l’enrobage musical est lui merveilleux, comme pour les autres films de la saga. Hajime Kaburagi s’inscrit lui pleinement dans l’héritage de la femme scorpion sans rougir.
Cette femme justement, elle est encore incarnée à la perfection par Meiko Kaji plus envoutante que jamais. Son regard froid et son attitude tout aussi fermée jusqu’à laisser exploser la violence sont toujours des vecteurs essentiels de l’affect qu’on ressent pour le film. Malheureusement, si la saga continuera, c’est la dernière fois que l’on verra Meiko Kaji en Sasori, dans un rôle presque totalement muet mais pourtant plein de nuances. “La Femme Scorpion” survivra-t-elle à ce départ? Réponse bientôt dans nos colonnes.
“Mélodie de la rancune” n’est pas à la hauteur des épisodes précédents. On ressent une fragrance certes agréable de “La Femme Scorpion”, mais loin d’être aussi affirmée qu’auparavant. Une expérience plaisante mais aussi un peu décevante à la fois.