La nouvelle femme scorpion – Prisonnière 701

(女囚701号 さそり)

1976

Réalisé par: Yutaka Kohira

Avec: Yumi Takigawa, Bunjaku Han, Mitsuyo Asaka

Qu’est ce qui fait un bon remake? Existe-t-il une liste de prérequis obligatoires avant de relancer une franchise, ou doit-on concéder au nouvel auteur une liberté créatrice totale? Voilà une question épineuse qui a le don de ne pas trouver la même réponse chez tout le monde. Si certains sont prêts à faire table rase du passé sans autre forme de procès, c’est pour les autres la fibre d’un attachement sentimental parfois intense qui est titillée. Bien que Les Réfracteurs militent activement pour le droit à un cinéaste de s’approprier un univers, il ne nous semble pas judicieux de fermer les yeux sur les œuvres qui ont précédées ce nouveau point de départ: un nom porte en lui un héritage, et une certaine filiation graphique, mais peut être avant tout idéologique, doit perdurer, même si c’est pour être nuancée. Quel décision va prendre “La nouvelle femme scorpion – Prisonnière 701” au moment de relancer la machine, maintenant que les deux piliers de la saga, le metteur en scène Shunya Ito et l’actrice principale Meiko Kaji, sont partis loin des tourments de Sasori? Le long métrage va probablement accuser le coup à ne justement pas vouloir choisir, évoquant trop timidement la folie graphique des premiers opus et tâtonnant au moment de tisser son fil scénaristique autour du féminisme.

Pour ce qui est de l’histoire, on prend a peu de choses près les éléments de la première “Femme scorpion” et on recommence: Nami (Yumi Takigawa désormais) est une jeune femme filant le parfait amour, mais qui va se retrouver prise dans une sombre machination au moment de renouer avec sa sœur, secrétaire d’un politicien véreux. Accusée d’un crime qu’elle n’a pas commis, lâchée par ses proches dont son fiancé et condamnée à une peine de prison dans un établissement où règne la barbarie, Nami va préparer sa revanche sous les coups de ses codétenues.

Relativement rapidement dans le récit, dès la phase d’installation, va venir se poser le problème de ce complot de puissants qui va précipiter Nami dans la tempête. Il plane sur cette portion du récit une forme de caricature parfois simpliste et gênante. Difficile de percer la carapace du politicard corrompu pour y voir plus de substance et l’admettre dans la logique du récit: patibulaire et porcin, il semble trop légèrement écrit pour être une figure forte et symbolique, et trop creusé pour n’être qu’une simple métaphore. Le réalisateur de cette nouvelle vision, Yutaka Kohira semble ne pas suffisamment maîtriser la force de l’image pour ne pas éprouver le besoin de surdévelopper tout cet axe.

On a en fait l’impression que le cinéaste renie un peu ce qui faisait l’essence des aventures de la Femme Scorpion: la licence c’est presque toujours épanouie dans une mise en opposition très primaire des hommes et des femmes, ce qui la rendait encore plus intense. Ici, en s’évertuant à offrir un cadre trop fouillé, on perd de l’impact. C’est presque un paradoxe à bien y réfléchir, puisqu’on n’hésite pas à confronter désormais Nami à la représentation claire de la société, et pourtant: nous ne sommes plus ici sur un essai presque bestial sur la guerre des sexes, on éprouve le besoin d’inscrire Nami dans cette logique de complot.

« Un cochon pendu au plafond… »

On en revient donc à notre problématique initiale, exposée en introduction: à qui appartiennent les œuvres? Les fans sont-ils les gardiens du temple ou doit-on laisser la liberté aux créateurs. Finalement, tenter d’émuler le style acide et corrosif de Shunya Ito n’aurait que peu de sens et serait sûrement voué à l’échec. Qui sommes-nous pour dicter à Yutaka Kohira sa façon de faire. Si tel est son choix, respectons le, mais jugeons aussi son travail de notre position de spectateur: la patte de ce nouveau venu, même si Ito ne réalisait déjà plus l’épisode précédent, souffre de la comparaison, se fait plus lisse et parfois étrangement condescendante.

Finalement le principale problème de “La nouvelle femme scorpion – Prisonnière 701” n’est peut être pas dans son fond, mais dans sa forme, timide et maladroite. On sent que dans le cahier des charges qu’on confié les studios à Yutaka Kohira figure la volonté d’offrir des séquences oniriques rappelant ce qui avait été fait autour de Nami précédemment. Malheureusement, mise en parallèle avec l’héritage de Shunya Ito, on est un peu désespéré: bien moins folles mais surtout régulièrement ratées dans le rendu visuel pur, ces parenthèses désenchantées n’offrent pas plus de résonnance au sombre destin de l’héroïne.

Ces scènes sont peut être la preuve la plus parlante de ce qui va niveler le long métrage par le bas: la mise en scène pataude qui plombe le film. On ne va pas clamer que la subtilité était la panache de “La Femme Scorpion”, mais au moins ce défaut était assumé, voire transformé en force. Ici on subit des constructions de séquences foutraques où les personnages vont et viennent sans subtilité, simplement pour servir leur fonction le moment voulu. Yutaka Kohira ne maîtrise ni l’art de l’élaboration des scènes, ni celui de la direction d’acteur. C’est un sentiment particulièrement éprouvé au moment de livrer les instants charnels et/ou de torture: bien plus gratuits que dans les films originaux, et pourtant moins explicites, on a l’impression que l’auteur ne fait que répondre à une contrainte.

L’ultime réflexion qui nous vient est un peu cruelle, mais impossible à taire. Yumi Takigawa souffre énormément de la comparaison avec Meiko Kaji. C’est vraiment dur pour la jeune actrice de l’époque de passer derrière un véritable monument du cinéma nippon et même si elle ne démérite pas totalement, la mise en opposition est criante de vérité. Fini le spectre taiseux, ici Nami est plus expressive et se voit par conséquent démystifiée. Comme un constat d’échec, Yutaka Kohira va souligner le regard de sa belle presque perpétuellement d’un jeu d’ombre et de lumière: l’intensité naturelle n’est plus au rendez-vous.

On est assez loin de trouver son compte avec cette nouvelle vision de la femme scorpion. Le film est trop lourd dans ce qu’il veut émuler de Shunya Ito, et trop hésitant dans ce qu’il veut inventer.

Nicolas Marquis

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