First Love

2019

de: Takashi Miike

avec: Masataka KubotaSakurako Konishi

Plus d’une centaine de films: c’est le nombre incroyable de réalisations attribuées à Takashi Miike depuis 1991. Aussi prolifique que barjot, il est un nom bien connu des férus de cinéma asiatique. Pour preuve, Quentin Tarantino, cinéphile devant l’éternel, l’avait gratifié d’une apparition dans l’un des films du cinéaste japonais, « Sukiyaki Western Django« . En épluchant un peu le CV de Takashi Miike, on constate que le réalisateur propose un style bien à lui, mélange de violence et de personnages hauts en couleurs, pour ne pas dire complètement cinglés. Mais pourtant, ces dernières années, Miike semblait s’être assagi, et son nom était associé soit à des adaptations de mangas ou de jeux vidéo un peu plates, soit à des films bien plus académiques dans la forme que son style originel. Ces derniers lui ont permis de se faire une place privilégiée au festival de Cannes. “First Love” a d’ailleurs, lui aussi, bénéficié d’une projection hors compétition l’année dernière. Constatons ensemble avec joie que le réalisateur n’a rien perdu de sa folie.

Car avec ce titre, “First Love”, ce n’est pas uniquement du scénario qu’il est question, mais bien d’un retour aux sources pour Takashi Miike. Le film nous raconte l’histoire de Leo, un boxeur contraint de mettre un terme à sa carrière après qu’on lui ait diagnostiqué une tumeur au cerveau. Désemparé, notre héros va se retrouver malgré lui au centre d’une guerre des mafias au coeur de Tokyo.

Quel plaisir d’ailleurs de retrouver le quartier de Shinjuku sous la direction de Takashi Miike. C’est un propre du septième art: rendre familiers des lieux où nous ne sommes jamais vraiment allés. Parmis les exemples célèbres, on peut citer l’observatoire de Los Angeles: de “Rebel Without a Cause” à “La La Land” chaque couloir, chaque terrasse, semble nous appartenir. Il en est de même de Shinjuku pour les amateurs de cinéma japonais. Les néons des bars, les supérettes, et la moindre ruelle: tous ces lieux nous sont bien connus, et Miike nous y replonge avec talent.

Mais en évoquant les “premiers amours” du cinéaste, il n’est pas uniquement question de géographie: “First Love” est aussi l’occasion pour Miike de renouer avec ses histoires et son style si caractéristiques. Avant tout, à travers le mélange des genres qu’offre le film: romance, action, drame, comédie… le cinéaste démontre qu’il n’a rien perdu de sa superbe pour jongler avec ces différents exercices.

Toutefois, le cinéma de Takashi Miike est emprunt d’un côté fortement grotesque, notamment dans sa façon de construire les personnages. Il les pousse à l’extrême, dépassant les limites de la bienséance. Un procédé clivant: les habitués esquisseront probablement un sourire complice, comme s’ils retrouvaient un vieil ami, mais cette façon de faire ne peut pas contenter tout le monde. Les plus pragmatiques des spectateurs seront fatalement hermétiques au style du japonais.

« Bang Bang! You shot me down ! »

Ce côté burlesque se retrouve aussi dans l’histoire que Miike nous narre. A coup sûr assagi, le cinéaste est plus posé que durant ses folles premières années. N’en reste pas moins que nombre de rebondissements tournent à la bouffonnerie. Même pour les fans du réalisateur, pourtant habitués aux frasques cinématographiques de Miike, certains tournants du scénario sont trop abracadabrantesques: la folie n’est pas tout à fait contenue, du moins pas suffisamment. Notons par ailleurs que de nombreux spectateurs ont ressentis des sensations proches de “Why don’t you play in Hell?” d’un autre déglingo du cinéma nippon, Sono Sion, particulièrement pendant le final, un brin répétitif. Si on comprend la comparaison, nous jugeons toutefois utile de rappeler que Miike avait adopté ce style, voir inventé, bien avant son compatriote.

Pourtant Miike semble avoir progressé dans sa science de la réalisation. Le montage de “First Love” par exemple souligne assez bien les tournants de son scénario: doux et posé dans les moments calmes, il multiplie les prises de vue quand l’action se fait plus intense. Son cadrage et sa composition des plans est aussi intéressante, tout particulièrement quand ils rassemblent plusieurs personnages. Dommage que cette sagesse acquise dans la réalisation pure ne se ressente pas toujours dans le déroulé de l’histoire: “First Love” est indubitablement fouilli, et on a parfois du mal à identifier certains personnages secondaires. C’est à regret que l’on constate ce côté nébuleux, alors que l’on avait pris autant de plaisir à retrouver ces personnages de yakuzas “à la Miike” en début de film.

Il n’en reste pas moins de nombreux éléments réussis dans “First Love”. Déjà à travers ce héros qui n’a rien à perdre, plus savamment construit que les autres protagonistes, mais aussi dans le déroulé du film: on ressent un feeling proche du cinéma des frères Coen dans cette façon de plonger les personnages dans des situations de plus en plus extrêmes, jusqu’à l’emmerdement maximum. Miike est un bourreau et ses personnages sont ses victimes. Malheureusement, “First Love” n’a que peu de profondeur, et reste en quasi-permanence dans le registre du divertissement pur, sans grandes réflexions.

Ce qui risque de perdre le plus grand nombre de spectateurs reste le côté expérimental du film. Chaque long-métrage du réalisateur comporte une part de brouillon qu’il applique plus proprement à ses films suivants. C’est un cinéma d’essai, et donc fatalement par endroit de ratés inévitables. Même avec les années, pour admettre le travail de Miike, il faut parfois fermer volontairement les yeux sur certains défauts: un aspect de “First Love” qui malheureusement le prive d’une partie du grand public.

La joie de retrouver Miike dans un tel exercice comblera les aficionados du réalisateur, comme nous. Pour les autres, peu de chance que le film les passionne. D’autant plus que même pour les puristes du cinéaste nippon, certains défauts de construction sont pénalisants.

Nicolas Marquis

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