2016
de: Martin Koolhoven
avec: Guy Pearce, Dakota Fanning, Emilia Jones
Une fois de temps en temps, dans le périple d’un cinéphile, on se retrouve face à des œuvres qui partagent intensément les foules. Ce qui apparaît pertinent aux uns devient grotesque pour les autres. Les subtilités que certains acceptent passent pour des écueils auprès de ceux qui ont pris le film en grippe. C’est typiquement le cas de Brimstone, un long-métrage tellement clivant que même nous ne sommes pas bien sûrs de notre avis. Mais c’est le jeu de la critique, il faut savoir trancher, nuancer et assumer son avis. Essai autour d’une œuvre qui dans un sens ou dans l’autre, ne laissera personne indifférent.
Dans une Amérique du 19ème siècle, qui commence à trouver son identité, Brimstone nous narre l’histoire de Liz, une sage-femme muette, terrorisée par l’arrivée d’un nouveau révérend dans son village. A l’évidence, un lourd passé les unit et le film, découpé en chapitres (presque) tous à rebours chronologiquement, va lever un peu plus le voile à chaque fois sur ce secret.
Une structure qui n’est pas totalement originale, mais qui permet d’entretenir la tension pendant tout le long, très long-métrage. C’est déjà un premier point de divergence dans l’opinion publique: une grande portion des spectateurs a trouvé Brimstone effroyablement long (même si sur le papier, 2h20 n’est pas non plus un nouveau record). Il faut assimiler que le film prend le temps de s’étendre pour mieux cogner le spectateur par des scènes extrêmement violentes et le plus souvent surprenantes. Pour notre part, nous n’avons pas ressenti cet ennui, mais on comprend ce sentiment.
Cette violence affreusement crue plane sur tout le film. On ne sait pas toujours quand elle va frapper mais quand elle survient, elle choque. C’est peut-être là que Brimstone divise le plus, dans cette réaction du spectateur à des scènes franchement gores (mais pas totalement gratuites). Pour certains, c’est un dégoût visuel affreux qui intensifie le propos de fond du film, alors que pour les autres, ces séquences tournent au grotesque. Les Réfracteurs en ont vu d’autres, et ces élans sanguinolents, nous avons réussi à les accepter car ils sont des points d’exclamation d’une réflexion plus profonde.
« Mais tu vas rester chez toi bordel ! »
Soyons honnêtes, prise au premier degré, l’histoire de Brimstone est effectivement un peu tirée par les cheveux voire barbante. Tout le sel du film est dans son interprétation plus symbolique. On ne va absolument pas traiter d’idiots ceux qui n’ont pas aimé l’oeuvre, la plupart de ces gens ayant saisi le message malgré tout tant il est parfois assené de manière trop directe, avec de bons gros sabots. Un peu forcé admettons-le, mais particulièrement pertinent, surtout si on essaye de se mettre dans la peau du public américain. En filigrane de cette histoire, dont on ne révèle pas l’intrigue volontairement, il y a une vraie réflexion sur la place de la religion dans la construction d’une société, et tout particulièrement dans la manière qu’elle a d’aliéner les femmes. Ce révérend ne vaut presque que pour sa symbolique, et le mutisme de Liz s’en explique d’autant mieux. Dans le premier chapitre, on pourrait croire que le film ne va opposer que la science et l’obscurantisme, mais c’est en fait tout un essai féministe plutôt bien pensé que nous propose Brimstone.
La bonne idée, c’est d’utiliser le contexte américain de l’époque pour étendre un concept qui s’applique encore dans certains pays où la femme est muselée par la religion. Brimstone c’est cela, une métaphore de comment le mysticisme (et la société en général dans une certaine mesure) a privé les femmes pendant des centaines et centaines d’années de leurs droits les plus primordiaux: liberté de sentiment, de corps et de parole. Personnellement, ce message nous a paru essentiel mais une fois de plus, soit on adhère à la façon dont le film nous l’amène, soit on se braque, et les deux positions sont défendables.
Au milieu de tout cela, une volonté visuelle de sobriété pour restituer une Amérique cohérente et réaliste: pas celle d’Hollywood, mais davantage celle qui a existée. On est loin des westerns fantasmés du 20ème siècle (qu’on adore aussi pourtant). Brimstone tente plutôt d’être authentique. Martin Koolhoven, son réalisateur, appuie cette impression avec de très jolis cadrages, à la composition pertinente, multipliant les jeux de hors-champ et camouflant par moment les visages pour ne pas donner corps à ces symboles. Quelques mouvements fluides de caméra pour lier le tout et par moment, on peut savourer ce visuel. Problématique toutefois, cette volonté ne semble pas tenue tout le long du film: sur les quatre fameux chapitres qui composent le film, deux nous ont semblé bien en deçà techniquement que ce que le cinéaste pouvait faire de mieux, proposant des symboliques bien trop appuyées. Elle est sûrement ici aussi la divergence d’opinion: cette portion un peu bancale du film, malgré un duo d’acteurs (Guy Pierce et Dakota Fanning) habités. Pour ne pas arranger ce sentiment de lourdeur, la musique redondante en diable que l’on préfère oublier.
Au risque de (nous aussi) nous répéter, ce que nous avons aimé, on peut parfaitement comprendre que certains y soit hermétiques, tant la qualité de l’œuvre peut parfois sembler inégale. Mais ce sous-texte, celui qui impose des femmes poussées à l’extrême pour survivre est bien plus pertinent que ce que les polémiques autour du film à sa sortie laissaient penser.