Appel d’urgence

(Miracle Mile)

1988

réalisé par: Steve De Jarnatt

avec: Anthony EdwardsMare WinninghamJohn Agar

S’il y a bien un genre cinématographique qui se vautre volontiers dans une débauche d’effets spéciaux aguicheurs, c’est sans aucun doute possible le cinéma catastrophe. On a vu au fil des années la planète détruite de mille façons différentes, entre séismes ravageurs, nouvelles ères glaciaires et prophétie maya improbable. Pourtant, incontestablement, de cette famille des films apocalyptiques, “Appel d’urgence” est lui beaucoup plus discret et malin, jouant avant tout de ses rebonds scénaristiques pour suggérer une société qui implose sans avoir besoin d’étaler de grands visuels tapageurs. Son histoire est suffisamment simple et efficace pour enclencher la démonstration du cinéaste Steve de Jarnatt: Harry et Julie (Anthony Edwards et Mare Winningham) sont deux jeunes californiens qui filent le parfait amour. Alors qu’Harry manque un rendez-vous avec sa belle, bien malgré lui, il répond à la sonnerie insistante d’un téléphone public, en pleine nuit. Au bout du fil, son interlocuteur lui annonce l’incroyable: une attaque nucléaire vient d’être enclenchée et il ne reste plus qu’une heure avant que les missiles ne frappent la ville. D’abord dubitatif, Harry va progressivement se laisser gagner par la psychose ambiante qui frappe tout le monde et va essayer de rejoindre Julie pour tenter une évasion en hélicoptère.

Délicieuse apocalypse

Ce qu’on assimile rapidement avec “Appel d’urgence”, c’est qu’il ne faut pas s’arrêter à la simple histoire d’Harry et Julie mais plutôt voir dans le long-métrage une métaphore assez affirmée sur les USA et son fonctionnement prêt à dérailler. Steve de Jarnatt va notamment imposer cette idée en inscrivant son récit dans des décors très iconiques: un Dinner, une salle de fitness, un grand magasin… Le film est américain jusqu’au bout des ongles, ce qui n’empêche pas le réalisateur de trouver d’autres symboles comme l’apparition récurrente d’horloges qui affirme la notion d’urgence.

En plus de ce cadre typique des États-Unis, le film va proposer une palette de couleurs acidulées qui situent immédiatement le long-métrage dans son époque: les années 80. On s’imprègne de ces teintes criardes, plastiques, fabriquées pendant toute l’aventure et ce procédé confère à “Appel d’urgence” une aura un peu spéciale qui invite une fois de plus au second niveau de lecture davantage métaphorique.

Pour répondre à cet enrobage visuel unique, la musique du film va accompagner le spectateur dans ce périple stressant. Comme toujours, Tangerine Dream signe une bande originale délicieuse, elle aussi très marquée 80’s mais qui reste encore aujourd’hui savoureuse. En quelques accords musicaux, la perception de l’œuvre est totalement changée, propulsant le public dans cet univers si spécial.

« Allo Difool? »

Château de cartes

Dans cet environnement va prendre place un enchaînement de péripéties un brin grotesques mais savamment pensées. Ce coup de fil initial, cet élément déclencheur, c’est le premier domino qui tombe et qui va entraîner dans sa chute toute une société à travers un bouche-à-oreille démentiel. Il existe un paradoxe étonnamment intelligent dans “Appel d’urgence”: tout le monde est surpris par l’armageddon imminent et pourtant, il semble que cette population était prête à exploser. Le plaisir de visionnage et le message du film se niche dans ce train qui déraille, dans cette catastrophe attendue.

Steve de Jarnatt propose un film minimaliste, à petit budget il semble même, mais il impose toutefois une certaine montée en régime  au fil des scènes qui donne au long-métrage de plus en plus d’ampleur. Cette surenchère permanente fonctionne dès lors qu’on assimile “Appel d’urgence” pour ce qu’il est: une farce au sens noble du terme, un écho à la psychose de son époque et aux angoisses d’un monde au bord du gouffre.

Cette notion de stress se retrouve dans les dégâts que va subir le héros de cette histoire, Harry. Ce protagoniste principal est malmené, blessé, torturé par Steve de Jarnatt et il y a dans sa quête absurde et son impuissance face à des événements qu’il a lui même amplifiés quelque chose d’affreusement ironique: Harry est un rat prisonnier d’un labyrinthe sans issue.

Human After All

Mais en même temps que la société se déchire, un doute subsiste encore et toujours dans le film: le bien fondé de cet appel téléphonique qui déclenche tout. Pendant presque tout le film, on peut légitimement penser à un simple canular. Un flou volontaire qui rend “Appel d’urgence” encore plus profond: le monde n’a pas besoin d’éléments tangibles pour partir en vrille, une simple suggestion suffit. Cet axe narratif n’a pas vieilli d’un poil dans notre ère où la rumeur se propage plus vite que jamais.

Cette envie de “croire au pire” est amplifiée par une poignée de personnages qui semble préparée depuis longtemps à cette échéance. Tous les protagonistes du film sont très marqués, écrits d’une manière un peu grossière qui donne une forme d’humour au film. Il n’en reste pas moins que ces symboles témoignent d’une époque où la paranoïa est devenue monnaie courante.

Malgré toutes ces réflexions sociétales un peu pessimistes, « Appel d’urgence” n’oublie pas sa proposition initiale et ses héros. L’histoire d’Harry et Julie reste toujours au centre de l’intrigue et inscrit dans un contexte catastrophique une histoire d’amour attachante et intense. Même au milieu du chaos, il existe ce lien fort et positif qui redonne un semblant d’espoir en l’humanité.

C’est un film bien singulier que ce “Appel d’urgence”. Un mélange de romance et de réflexions politiques propulsées dans une grammaire de film catastrophe. Assurément une œuvre unique qui possède son propre ton.

Nicolas Marquis

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