(Ano natsu, ichiban shizukana umi)
1991
réalisé par: Takeshi Kitano
avec: Claude Maki, Hiroko Ôshima, Sabu Kawahara
Cela fait maintenant plusieurs mois que nous nous sommes lancés dans l’aventure “Réfracteurs”. Notre but? Vous parler quotidiennement de notre passion pour le cinéma, les séries TV et depuis peu la musique. Ce qui est pour certains un simple passe-temps est pour nous une obsession, une idée fixe, un besoin que l’on doit assouvir impérativement. Ce sentiment, on l’éprouve tous: pour certains c’est la littérature, pour d’autres le sport et on en passe et des meilleurs. Aujourd’hui, sache on va tenter de définir ce feeling grâce à “A scene at the Sea” de monsieur Takeshi Kitano.
L’histoire de Shigeru (Claude Maki), un éboueur sourd et muet qui trouve un jour une planche de surf entre les sacs poubelles qu’il ramasse. Presque immédiatement, Shigeru va être obsédé par le surf et va multiplier les efforts pour progresser dans sa nouvelle passion, constament accompagné de Takako (Hiroko Oshima), une amie qu’on devine intime et qui partage le même handicap.
Sans tomber dans de grandes effusions de larmes surfaites, Takeshi Kitano va offrir sa propre définition de la “passion” sous toutes ses formes. Le handicap des personnages principaux n’est ainsi pas un hasard et le cinéaste va utiliser ce mutisme pour démontrer que l’amour nouveau de Shigeru pour le surf est aussi un moteur d’insertion. Si au début il est davantage sujet aux quolibets qu’à la camaraderie, ses efforts quotidiens finissent par lui permettre de tisser des amitiés. Bien vu et terriblement bien amené, tout en subtilité.
Mais Kitano n’oublie pas d’également montrer tout ce qu’une passion peut avoir de dévorante. Il va consacrer une portion de son film à ce dilemme cornélien. Alors que Shigeru devient obsédé par le surf il risque de perdre son travail et pire, son amitié avec Takako. Ce sentiment là aussi on l’éprouve tous à un moment de notre vie et c’est en général nos proches qui nous le font remarquer (comme c’est le cas ici avec l’amie de Shigeru). Pourtant, comme un drogué en manque, on cherche perpétuellement notre dose de passion.
« Ça sert aussi pour le repassage. »
C’est peut-être aussi parce qu’une passion est souvent communicative. Oui, on peut être gonflant dans nos élans monomaniaques, mais Kitano saisit parfaitement ce maillage qui peut se tisser entre les gens. Shigeru se lance dans le surf, il est immédiatement imité par deux potes curieux et on devine qu’eux aussi enfanteront de nouveau adeptes. La passion comme moyen de transmettre des valeurs importantes, ça fonctionne terriblement bien également.
Mais il n’y a pas que le surf, Takako est elle aussi passionnée mais par Shigeru. Sans cesse dans ses pas, elle l’accompagne tout au bout de sa démarche sans être soumise. Elle est un pilier presque inamovible, une bouée à laquelle Shigeru peut se cramponner et sans laquelle il coulerait. “A Scene at The Sea” donne là une définition de l’amour dans ce qu’il a de plus fusionnel et qui donne la chair de poule.
Et lorsqu’on dit “dans ses pas”, on pense au sens figuré comme au sens propre. Alors que l’essentiel du film se déroule en plan fixe, les somptueuses scènes où Kitano donne finalement du mouvement sont les errances de nos deux héros traversant la ville la planche sous le bras. Des instants loin d’être vides de sens mais qui au contraire sont de vrais catalyseurs sujets d’émotion.
D’autant plus que la musique de Joe Hisaishi se fait omniprésente dans ces instants. La connexion avec les images de Kitano est parfaite, les deux hommes sont au même diapason. Tout ce que les héros sourds et muets ne peuvent verbaliser, Hisaishi va le mettre en musique. Dans un film essentiellement muet, le compositeur de génie donne une leçon de musicalité qui frise le génie.
En plus de la musique, Shigeru se définit aussi par le regard des autres. Celui de Takako à l’évidence mais aussi celui de tous les amis que le jeune homme se fait pendant le film. Les scènes de surf sont finalement peu visibles à l’écran et le cinéaste préfère les vivres à travers les réactions des autres. Là aussi, une leçon de maîtrise du hors-champ et de son intégration dans un film qui pouvait promettre de longs plans sur la mer. Non, ici finalement, le surf n’est qu’accessoire, on s’en foutrait même un peu, tout ce qui compte c’est le périple de Shigeru et le plaidoyer pour la persévérance qui l’accompagne. Une invitation à aller au bout de ses rêves sans devenir trop sentimentaliste.
Pour son propos, pour la connexion Kitano/Hisaishi et pour la beauté de sa mise en images, “A Scene at the Sea” est un authentique chef-d’œuvre devant lequel les Réfracteurs s’inclinent.