Close
Close affiche

2022

Réalisé par : Lukas Dhont

Avec : Eden Dambrine, Gustav De Waele, Émilie Dequenne

Film fourni par Dark Star pour Diaphana Distribution

À travers ses deux premiers longs métrages, le réalisateur belge Lukas Dhont pose un regard compatissant sur de jeunes protagonistes en quête d’affirmation de leur identité. Malmenée par la société et par ses règles rétrogrades, l’âme de ses héros subit les outrages des codes moraux d’un autre temps, que le metteur en scène confie avoir affrontés lui-même. Le cinéma devient outil de révolte et de dénonciation, tout autant que témoignage rempli d’empathie sur le quotidien d’êtres à la dérive. Dans cette noble démarche, la découverte d’une sensualité différente esquisse un fragile fil rouge entre Girl, sorti en 2018, et Close, désormais disponible en Blu-ray et DVD chez Diaphana Distribution. Si les personnages principaux des deux films sont radicalement différents, ils sont presque unis par les épreuves qui s’imposent à eux au détriment de leur épanouissement. Femme née dans un corps d’homme, Lara, l’héroïne du premier film de Lukas Dhont, devait ainsi affronter l’obscur regard des autres et leur défiance. Particulièrement remarqué à sa sortie, Girl propulsait son auteur en nouveau représentant émérite du cinéma belge, notamment grâce à l’obtention de la Caméra d’Or au Festival de Cannes. L’histoire d’amour entre l’auteur et La Croisette n’en est alors qu’à ses débuts. Le protagoniste de Close est plus jeune que Lara, il ne partage pas les mêmes rêves, mais son éveil conflictuel à une conscience charnelle est également au centre de l’intrigue, bien que le réalisateur insiste pour séparer les concepts de sensualité et de sexualité. À nouveau l’intime se retrouve mortifié par la pression des diktats sociaux, exprimés dès le début de l’adolescence. De retour au Festival de Cannes avec ce deuxième long métrage, Lukas Dhont figure cette fois dans la sélection officielle et remporte le prestigieux Grand Prix. Close est reconnu à juste titre dans le monde entier pour l’importance de son message, mais aussi pour ses qualités formelles. Après une nomination aux Césars, les Oscars honorent à leur tour le film, lui offrant une mention dans la catégorie relevée du “Meilleur film en langue étrangère”.

Son récit est ancré dans la Belgique rurale, entre champs de fleurs et forêts luxuriantes. Léo (Eden Dambrine) et Rémi (Gustav De Waele), 13 ans chacun, sont deux amis qui entretiennent des liens fusionnels et intenses. Socle de leur construction personnelle, leur relation est source d’un équilibre indispensable. Néanmoins, lors de leur entrée dans leur nouvel établissement scolaire, les deux protagonistes sont la cible des moqueries. La plupart de leurs camarades se persuadent qu’ils sont homosexuels et les malmènent. Las des mauvaises plaisanteries et craintif, Léo cède, fuit et repousse Rémi, mettant ainsi progressivement un terme à leur connivence. L’ancien ami plonge dans le désespoir et s’effondre, jusqu’à commettre l’irréparable en se suicidant. La culpabilité étreint dès lors Léo qui ignore comment se reconstruire après le drame.

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Comme un calme éphémère avant la tempête de l’esprit, Close fusionne les deux enfants au centre de l’intrigue en les invitant à s’épanouir au-delà des limites de la simple complicité enfantine. Chacun de caractères différents, ils ne forment cependant qu’une entité harmonieuse. Isolés du monde des adultes dans le secret de leur chambre, ils partagent un seul lit et parfois un même souffle de vie. Rémi est souvent incapable de trouver le sommeil et n’a pour seul secours que les mots affectueux de Léo qui l’encourage à calquer sa respiration sur la sienne. Deux cœurs battent à l’unisson dans le confort de la nuit. Leurs milieux sociaux semblent également opposés, pourtant à nouveau, Lukas Dhont illustre l’aptitude propre à l’enfance de s’affranchir des barrières. Léo est fils d’agriculteurs tandis que Rémi vit dans une élégante et luxueuse maison de campagne. Pourtant, à la table de la famille de son ami, le protagoniste a sa place et est considéré par la mère de Rémi, interprétée par Émilie Dequenne, comme son “Fils de coeur”. Pour le spectateur adopté dans l’intimité de ces deux héros, la proximité physique entre les personnages principaux apparaît subtilement naturelle. Leurs étreintes dépourvues de toutes arrières-pensées ne sont jamais plus que le prolongement de la symbiose de deux âmes sœurs, la manifestation charnelle d’une osmose. Leurs corps ne sont qu’en recherche d’un réconfort innocent, malheureusement voué à être mal perçu par leurs semblables. De son propre aveu, Lukas Dhont se transpose chez ses protagonistes et fait de chacun d’eux une manifestation partielle de ses tourments du début de l’adolescence, alors que la sensualité s’éveille. Désacralisé par la suite bouleversante de Close, leur environnement est un doux cocon pour leurs jeux d’enfant. Dans les mille couleurs d’un champ de fleurs, Léo et Rémi courent dans le même sens, vers un futur qu’ils ne peuvent pas encore deviner effroyable. Un jardin d’Eden les accueille une ultime fois avant qu’ils n’en soient chassés à jamais. La musique que pratique Rémi prolonge l’idée implicite que leur relation est garante d’une élévation spirituelle. La pratique du hautbois suscite l’admiration de Léo et les envolées mélodieuses bercent leur amitié avant de n’être plus qu’un lointain songe par la suite. Quelques notes s’invitent, mais elles sont vouées à devenir un requiem.

Une obscure pulsion primaire pousse les camarades de classe de Léo et Rémi à les juger pour ce qu’il sont et à condamner leur amitié fusionnelle au nom de carcans sociaux exprimés dès le plus jeune âge. L’école est le tribunal de l’injustice, le verdict prononcé est une mise à mort de l’amour en vertu de détestables lois morales que les enfants ne comprennent pas, et qu’on devine être un mimétisme de la bêtise de certains adultes. La différence bénéfique est sacrifiée au profit d’une uniformisation obligatoire. Au comble de la tension, la cour de récréation est métamorphosée en théâtre d’un affrontement musclé entre les deux personnages principaux, désormais désunis. Coupables d’être amis au-delà des normes rigoureuses, la sentence infligée à Léo et Rémi est la solitude absolue. Conférer aux héros l’âge de 13 ans est par ailleurs un choix significatif de la part de Lukas Dhont. En Belgique, cette période de la vie est synonyme d’entrée dans les études secondaires. Les deux protagonistes ne sont plus enfants, mais il ne sont pas non plus encore adolescents, ils se confrontent dans la douleur aux prémices d’un monde adulte délétère qui peine à les adopter pour ce qu’ils sont. Une page se tourne, la prochaine s’écrit dans le sang. La complicité des temps révolus est brisée pour construire une fausse virilité décadente qui n’est qu’un déguisement. Les champs de fleurs cèdent leur place à la glace de la patinoire que Léo arpente au cours de ses entraînements de hockey sur glace, un moyen pour lui de marquer sa séparation avec Rémi. Le personnage principal abandonne son ami pour se fondre dans le moule conventionnel des garçons de son âge, mais sa nouvelle personnalité n’est qu’un masque qui cache la douleur de cette rupture affective, et son casque de sport camoufle à peine son visage éprouvé. Une étrange corruption généralisée invite le petit garçon à devenir un homme bien trop tôt et idiotement à se défaire de son affection. La souffrance de Rémi, elle clairement montrée, est ainsi reniée par son ami. Des larmes qui perlent sur le visage du plus sensible des deux protagonistes lors d’un repas, Léo ne s’émeut pas clairement même si on peut supposer une forme de désarroi intériorisé. Les courses en vélo à l’unisson deviennent des instants de séparation lorsque chacun suit son propre chemin. Le sommeil était auparavant un instant fusionnel, il se transforme par la suite en symbole de la désunion lorsque Léo refuse que Rémi pose sa tête sur son ventre. Au bout de l’effroyable équation du malheur, Close impose le suicide du démuni comme un sinistre résultat inévitable. La perte implicitement imposée de l’amour provoque une mort concrète, déchirante pour le public plongé dans un état de fragilité émotionnelle intense.

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Dès lors, et bien que Close confinait déjà à l’épreuve solitaire tant Léo est le centre de tous les plans, souvent très rapprochés, Lukas Dhont transpose la culpabilité du collectif à l’intime. Le triste héros n’est plus soumis à l’opinion étriquée de ses pairs mais souffre avant tout du jugement qu’il porte sur lui-même. L’introspection profonde du protagoniste et son isolement sans cesse souligné dans des séquences taiseuses impose la solitude émotionnelle comme le prix de son abandon. Avec la mort de Rémi, un monde s’est effondré, mais Léo s’interdit de se reconstruire, s’estimant premier responsable. L’expression de son chagrin est impossible, et son incapacité à pleurer son ami disparu illustre l’intériorisation totale de sa peine. L’acceptation de ses torts devient alors l’enjeu majeur du film. S’il semble évident pour un adulte que l’enfant n’a pas provoqué seul le suicide de Rémi, toute la volonté de Lukas Dhont est de forcer à vivre cette effroyable odyssée à la hauteur de Léo et ainsi d’épouser une part de son incompréhension. Le personnage principal du film a indirectement mis à mort l’insouciance de ses jeunes années, et le décès de son ami est en ce sens presque autant une métaphore de la fin d’une époque bénie que celle du début d’un âge de souffrance. Ainsi, l’harmonie des instants conviviaux des repas est remplacée par des manifestations de chagrin et de désespoir. Pour accentuer l’identification du public au protagoniste et lui imposer de redevenir enfant, Close trace une frontière ostensible entre le pré-adolescent et la plupart des personnages adultes. À l’exception de la mère de Rémi, le contact intergénérationnel ne s’effectue plus, Léo doit se relever seul. Son grand frère, lui aussi entre deux âges, peut partager un instant complice, mais ses mots sont vains et vides de sens, il ne réussit à soutenir le personnage principal que dans les quelques accolades sincères qu’il lui prodigue. Les parents et professeurs du garçon sont quant à eux désemparés et distants du récit. Les figures d’autorité morale n’ont aucune réponse à l’injustice et sont sans cesse renvoyées à la vacuité de leurs tentatives éperdues de renouer avec le naufragé d’un destin tempétueux. De la vie tragique de Rémi, il ne reste plus qu’un vague souvenir que Léo tente d’entretenir, pourtant le paradis est perdu à jamais. L’hiver du cœur est accompagné par celui des saisons lorsque les champs qui accueillaient les jeux d’enfant sont labourés, réduit à l’état de terre morte. La musique qui était l’expression de l’âme et des rêves de Rémi continue de se faire entendre, mais elle se joue désormais sans lui, notamment lorsque Léo assiste à un concert mais n’est captivé que par la présence de la mère du disparu.

Le malheur psychique total contamine l’intégrité physique, dans un ballet de corps poussés dans leurs derniers retranchements. L’expression charnelle des sentiments est au centre de la démarche cinématographique de Lukas Dhont, depuis ses tout premiers débuts. Longtemps aspirant à une carrière de danseur, le futur réalisateur a renoncé par peur de se livrer, mais il a transposé cette obsession dans ses films. Durant ses années d’études, alors que ses camarades effectuaient des stages sur des plateaux de tournage, le jeune belge cherchait quant à lui la compagnie de chorégraphes à-même de lui communiquer l’essence de leur art. Le monde de la danse était d’ailleurs un des thèmes prépondérants de Girl. Avec Close, le corps est d’abord support de la tendresse, avant de se métamorphoser en vecteur de souffrance, le plus souvent infligé à soi-même. Pensant avoir fauté et causé le suicide de son ami, Léo cherche la douleur physique pour expier ce qu’il croit être un péché. Le héros tait à tous avoir repoussé Rémi, mais sa culpabilité le force à s’infliger une punition concrète. Si dans les premiers temps, les efforts frénétiques du protagoniste dans le travail des champs ou au cours de ses entraînements sportifs laissent à penser qu’il veut avant tout extérioriser son mal-être, une séquence où il se jette contre les parois de la patinoire sème un doute habile dans l’esprit du spectateur. Pour anesthésier sa peine, il cherche à endolorir son corps. Lorsque la meurtrissure de l’enveloppe charnelle n’est pas volontaire, la manifestation d’un surmoi freudien déclenche une succession de troubles psychosomatiques. La nuit était un refuge pour Léo et Rémi, mais désormais seul, le héros est frappé d’énurésie. Prolongeant le lien intense entre âme et corps, le sort des deux enfants est inextricablement lié à leur condition physique. Rémi a été trahi, il en est mort, Léo tente de se reconstruire mais doit être brisé avant d’y parvenir, aussi bien moralement que concrètement. Durant une scène significative, le personnage principal se casse le bras au cours d’un match de hockey sur glace, et dans la salle de l’hôpital, il peut enfin pleurer. Sa psyché et son corps souffrent désormais à part égale. Son plâtre devient une allégorie de son deuil.   

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Les blessures sont souvent les uniques fissures dans le mur du mutisme qu’impose Close. Replié sur lui-même, Léo refuse de livrer sa parole dans les séances de groupe censées aider ses camarades à surmonter le suicide de Rémi, mais il renie aussi aux autres le droit à l’expression. Lui seul a véritablement connu le défunt, dans son intimité la plus pure, accepter que d’autres s’emparent de son souvenir apparaît insoutenable et exacerbe brillamment l’intensité d’un lien désormais rompu, dont on ne distingue plus que le spectre. Rémi n’est pas tout à fait mort, puisqu’il est dans chaque élan de rage, dans chaque non-dit, dans chaque souffle. La vérité n’est pas dans l’extériorisation du chagrin, mais plutôt dans une couche plus enfouie de l’être, où se nichent les ténèbres et la solitude subie. Un lien de connivence tout particulier se crée ainsi entre Léo et la mère de Rémi. Souvent rassemblés dans des scènes avec extrêmement peu de dialogues, et de longs silences particulièrement marqués, ils communiquent au-delà de mots qui ne suffiraient de toute façon pas à exprimer leur chagrin. Le secret du rejet de son ami hante le garçon et explique en partie son incapacité à communiquer avec son interlocutrice, pourtant leurs regards se soutiennent et ne se quittent pas, comme un réconfort impossible à verbaliser. Ensemble ils finissent par affronter les démons de leurs erreurs, par se haïr puis par se pardonner, et ensemble aussi ils font l’expérience d’une vie qui doit reprendre ses droits, en accord avec les cycles de la nature. Pour la mère de Rémi, la reprise de son travail dans une maternité, au plus près de nouveaux nés, la confronte au renouveau de la vie. Pour Léo, la floraison des champs de fleurs après la désolation de la terre labourée est un symbole de renaissance. Pourtant, rien ne sera jamais plus pareil. Le héros à été chassé du confort de la maison de son ami, et dans un plan final déchirant, il en est à jamais exclu. L’Eden est mort, il ne reste plus que les remords.

Brillant chant d’agonie d’une enfance qui se meurt et qui esquisse les premiers contours d’un monde adulte défaillant, Close est une épreuve émotionnelle dévastatrice et virtuose.

Close est disponible en Blu-ray et DVD chez Diaphana Distribution, avec en bonus : 

•Deux courts-métrages de Lukas Dhont, Corps perdu et L’infini

• Entretien avec Lukas Dhont

Le film est également disponible dans une édition spéciale FNAC, avec en bonus : 

•Deux courts-métrages de Lukas Dhont, Corps perdu et L’infini

• Entretien avec Lukas Dhont• Blu-ray de Girl

Nicolas Marquis

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