Blown Away
Blown Away affiche

1994

Réalisé par: Stephen Hopkins

Avec: Jeff Bridges, Tommy Lee Jones, Forest Whitaker

Film fourni par L’Atelier D’Images

Si son nom est aujourd’hui injustement oublié, Stephen Hopkins a incarné la fougue du grand spectacle à une époque où le gros de la production hollywoodienne faisait la part belle aux explosions et aux affrontements musclés. Dès sa première expérience d’assistant réalisateur en 1986, le désormais culte Highlander, le metteur en scène s’épanouit dans une grammaire filmique propice à la tension et à une action débridée, qui le conduit même à élaborer la suite de Predator en 1990. Une décennie prometteuse semble alors s’ouvrir pour Stephen Hopkins, mais elle ne sera marquée que de désillusions. Avant sa renaissance sur petit écran avec la série 24 heures Chrono, en 2001, le cinéaste multiplie les déboires, parfois injustement décriés. Blown Away apparaît comme l’exemple type de son parcours du combattant: alors que le long métrage détonnant est porteur de qualités intrinsèques indéniables et nécessaires au blockbuster, son accueil public et critique se révèle glacial. MGM mise pourtant gros sur le film au budget plus que conséquent, mais la comparaison avec Speed, sorti à peine trois mois plus tôt, pousse la presse à se détourner du travail pourtant habile de Stephen Hopkins. Blown Away a tout du rendez-vous manqué, qui n’obtient ses lettres de noblesse que bien des années plus tard, à la lumière de la redécouverte d’une époque clé pour l’actionner. Néanmoins, le long métrage traverse les âges, et refait surface aujourd’hui à l’occasion d’une ressortie saluable chez L’Atelier D’Images.

Autour d’un scénario empreint de tension constante, Blown Away fait appel aux stars de l’époque pour porter à l’écran un cocktail explosif. Jeff Bridges y incarne Jimmy Dove, un démineur de la brigade anti-bombe de Boston. Soucieux de se retirer pour mener une vie de famille épanouie, le spécialiste fougueux est rappelé sur le terrain suite aux exactions d’un terroriste qui sème la panique dans la ville. La traque fait ressurgir les fantômes du passé de Jimmy: le forcené n’est autre que Ryan Gaerity, joué par Tommy Lee Jones, l’ancien mentor dément du héros, à l’époque secrète où tous deux étaient membres de l’IRA. Désireux de se venger de Jimmy à la suite d’un attentat que le protagoniste a déjoué, le psychopathe met la ville à feu et à sang.

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En parfaite connaissance du langage cinématographique de l’action, Stephen Hopkins fait de chaque explosion de Blown Away une extension d’un scénario simple mais efficace. Alors que le cinéaste peut se vanter d’offrir les effets pyrotechniques les plus délirants de l’époque, allant jusqu’à provoquer la colère des riverains des lieux du tournage devant les dégâts occasionnés, sa mise en scène des détonations est en écho perpétuel avec la trajectoire de Jimmy et Ryan. Le souffle des flammes constitue la ponctuation du film, l’apogée d’un duel constant. La confrontation incontournable infiltre toutes les strates du quotidien du héros: ainsi, jouant sur les attentes du spectateur, Stephen Hopkins impose le danger à l’intérieur de l’habitat de Jimmy, faisant de chaque appareil électroménager un détonateur potentiel, dans une séquence aussi ambitieuse que maîtrisée visuellement. Au moment d’opposer les deux personnages, le réalisateur joue de la verticalité du cadre. Dans un montage tout en dualité, le metteur en scène tisse en parallèle la chute de ses protagonistes dans les tréfonds du repère de Ryan, à mesure que les liquides explosifs d’une bombe démoniaque coulent lentement vers le bas de l’image. La détonation ultime répond en permanence au pic de la tension, comme un cinglant point d’exclamation.

Blown Away se dédouane néanmoins d’une trop grande théorisation des fantômes de l’Irlande, pourtant communs à Jimmy et Ryan. Conscient que son long métrage pop-corn ne se prête pas à une analyse politique approfondie, au contraire du drame Au Nom du Père de  Jim Sheridan, sorti un an plus tôt, Stephen Hopkins choisit d’en faire un élément moteur de son film, sans se prétendre expert en la matière. Les visions du pays européen sont circonscrites à de brèves séquences traumatiques, en noir et blanc, récurentes mais courtes. Pour convoquer l’âme du vieux continent, Blown Away utilise davantage l’image liée à Boston, que le réalisateur met en scène dans des cadres larges, comme un réel personnage. Les origines britanniques de la ville sont présentes dans l’esprit de tous les américains, alors la cité de la côte ouest érige son ascendance en véritable fierté. Pourtant, Ryan n’a jamais de cesse de mettre cette filiation à mal: que ce soit en prenant pour cible un lieu de rassemblement iconique des descendants irlandais, ou en faisant de l’emblématique feuille de trèfle un élément de ses bombes, l’antagoniste prive la cité de sa culture. Par ailleurs, en 1994, les attentats font déjà partie intégrante du quotidien des USA. En 1993, une attaque djihadiste frappe le World Trade Center, avant qu’en 1995, des suprémacistes blancs ne dynamitent un batiment fédéral d’Oklahoma City. Blown Away s’inscrit dans les angoisses de son époque.

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Même si le film est un écho aux peurs de la fin du XXème siècle, il y oppose une réponse bien singulière à travers le personnage de Jimmy. Face à la fatalité, le héros ne cesse de défier la mort. Régulièrement, il s’affranchit de l’encombrante combinaison de démineur qui entrave ses mouvements, faisant fi des règles de sécurité. Il est un électron libre, dont l’âme rebelle est garante d’une forme de salut. L’un des axes de lecture principal de Blown Away consisterait à voir dans cette attitude l’expression d’un être qui ne parvient pas à être en paix avec son passé, et qui défie la faucheuse comme un acte de bravoure. Néanmoins, Stephen Hopkins manifeste l’envie perpétuelle de faire du facteur humain une nécessité à la résolution de son intrigue, faisant fi des codes à respecter. Jimmy est un franc-tireur, à l’inverse de l’ensemble de ses confrères qui se replient vers la robotique où les protocoles en vigueur pour le désamorçage des bombes. Néanmoins, leur fidélité aux règles en vigueur est toujours punie par Ryan, qui se joue des conventions pour multiplier les victimes. Face à un antagoniste dont la folie est une composante essentielle, le raisonnement de l’homme doué de sentiments est la réponse appropriée.

La poursuite d’une vie de famille épanouie est d’ailleurs l’ultime but du film. Jimmy ne nourrit pas de grandes ambitions, bien au contraire: son envie de devenir instructeur, loin du danger, rend ses espoirs de futur humbles. Mais pour construire le futur, l’homme doit s’affranchir du passé. Son opposition avec Ryan semble à bien des égards être l’ultime baroud d’honneur d’un être voué à se ranger, épousant une nouvelle vie en même temps qu’une nouvelle femme. Un rêve américain, corrompu par un passif dont il ne peut s’extirper. Pour devenir père adoptif, il doit avant tout assumer son parcours. Perpétuellement, Ryan corrompt les ambitions louables de son alter égo: il n’est assurément pas innocent de voir le terroriste détourner des jouets d’enfants pour en faire des engins explosifs, tout comme la scène d’intrusion dans le domicile de Ryan, sommet du film, ne saurait être réduite au simple rôle de catalyseur de la tension. L’apôtre du mal frappe au cœur de l’innocence, là où celui qui résiste à la violence est le plus vulnérable. Même si elles sont peu nombreuses, les séquences qui unissent Jimmy et sa fille adoptive soulignent un peu plus l’idéal vers lequel tend Blown Away.

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Le poids de l’héritage et de la lignée idéologique semble faire écho à cette idée. Pour Jimmy, trouver le réconfort d’un nouveau foyer est synonyme de rupture avec son ancien père spirituel. Que ce soit celui qui est néfaste, Ryan, ou celui qui est bienveillant, Max, qu’incarne Lloyd Bridges, le propre père de Jeff, offrant ainsi à Blown Away une complicité naturelle aux deux personnages. Non seulement le héros est invité à s’affranchir des chaînes du passé, mais il est aussi contraint d’évoluer désormais sans repère, livré à lui-même. Alors que Dove signifie “colombe” en anglais, le protagoniste doit prendre son envol, désormais libre. Cette métaphore de l’oiseau ne cesse d’être tissée au fil de l’œuvre. Pour autant, l’expérience des anciens n’est pas négligée: Jimmy ne devient pas qu’un être émancipé, il assume aussi une nouvelle position de sage. À travers le personnage d’Anthony, que joue Forest Whitaker, un jeune débutant au dents longues, Blown Away fait de la transmission du savoir une nécessité à l’épanouissement du bien.

Blown Away est un film de grand spectacle abouti, loin de renier un fond intriguant. Entre explosions et sentiments, Stephen Hopkins fait preuve de maîtrise, sans forcer le trait.

Blown Away est disponible en Blu-ray et DVD chez L’Atelier D’Images, avec en bonus:

  • Présentation du film par Philippe Guedj journaliste au Point Pop
  • Analyse de séquence
  • Bande-annonce originale
  • Making Of

Nicolas Marquis

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