1976
Réalisé par : Alfred Sole
Avec : Paula Sheppard, Linda Miller, Mildred Clinton
Film fourni par Rimini Éditions
En 1978, Halloween de John Carpenter lance la mode du slasher. Pourtant, bien avant ce film, il existait des œuvres proposant déjà la figure d’un tueur mystérieux armé d’un couteau. Nous avons parlé en podcast par exemple de Terreur sur la ville, qui a influencé des réalisateurs comme Wes Craven. Il y a aussi le Giallo, un genre italien issu de la littérature policière, dont Dario Argento ou encore Mario Bava en sont des représentants. Alfred Sole fait partie de ces précurseurs même si son nom n’est pas resté dans les esprits.
Après avoir découvert avec fascination le film Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg, il a une vision. Il voit une jeune fille poignardée lors de sa communion. Il pense que cette épiphanie pourrait aboutir à la création d’un film. Passionné par le cinéma d’horreur et Alfred Hitchcock, il se lance dans l’écriture de Communion qui devient par la suite Alice, Sweet Alice. L’autre élément essentiel pour écrire l’histoire d’Alice, soupçonnée d’avoir assassiné sa sœur, est la religion catholique.
un accouchement difficile
Au moment de la sortie de son premier film comportant des scènes pornographiques, Deep Sleep, Alfred Sole subit la colère d’un évêque outré par l’apparition dans le long métrage de sa maison. Ne voulant surtout pas être associé au film, l’homme de foi intente un procès au réalisateur. Cette histoire apporte un coup de projecteur sur Alfred Sole, qui lui permet de réunir plus facilement les 35 millions nécessaires à la réalisation d’Alice, Sweet Alice. La production du long métrage fut un long parcours très stressant pour son auteur. Linda Miller, l’actrice interprétant la mère d’Alice, est très difficile pendant le tournage et tente de se suicider. Plusieurs directeurs de la photographie se succèdent et l’un des producteurs arnaque Colombia, qui quitte le navire. Alfred Sole dû chercher en post production des fonds ainsi qu’un nouveau distributeur pour terminer le film. Les ennuis ne s’arrêtent malheureusement pas là, le film est mal distribué et change plusieurs fois de nom, de plus Alfred Sole ne pu jamais toucher d’argent sur les ventes VHS à cause du producteur véreux. Le réalisateur en sort très déçu. Ses autres films seront tout aussi oubliés et il termine sa carrière principalement à la télévision, en tant que directeur artistique sur des séries tv comme Veronica Mars ou bien Castle. Au fur et à mesure des années, Alice sweet Alice est redécouvert grâce aux vidéos clubs et acquiert le statut d’œuvre culte ayant influencée d’autres réalisateurs, ce qui procure un grand plaisir à son créateur.
Etude d’une communauté religieuse
Placer son héroïne au sein d’un environnement religieux permet à Alfred Sole de partager son expérience familiale, lui-même ayant reçu une éducation catholique. Ce n’est pourtant pas la religion en elle-même qu’il vise dans son propos mais ses pratiquants. Alfred Sole propose une critique de la société américaine bien pensante et donneuse de leçon en 1961 sous la présidence de JFK. Ce choix n’est pas anodin, Kennedy était un président catholique, symbole d’une Amérique se présentant comme bien pensante et puritaine.
La famille Spages est directement présentée comme une anomalie dans le système . Des parents divorcés, une mère trop amicale avec le prêtre de la paroisse et une fille rebelle mais surtout enfant du péché car né hors mariage. Ils n’en faut pas plus pour qu’Alice devienne un symbole maléfique et cause de malheurs pour ce groupe. Les membres de cette congrégation sont montrés par le metteur en scène comme des hypocrites utilisant la religion comme outil pour justifier leurs malveillances. La tante d’Alice, Annie, en est la parfaite représentante. Son visage public est celui de la mère exemplaire avec une famille parfaite dévouée à Dieu, passant son temps à critiquer tout le monde. Le réalisateur l’isole souvent ou bien la filme en contre plongée pour souligner la façon dont Annie veut être vue, elle est supérieure aux autres.
Pourtant lorsque nous la découvrons dans l’intimité et sous le regard d’Alice, sa tante est une femme colérique qui ne supporte pas d’être contredite. Elle rabaisse son mari et sa fille. Nous comprenons également que le personnage est violent, lors d’une scène dans laquelle Alice casse une bouteille de lait. Tout doit toujours être parfait, cette communauté sous son masque de vertu n’est que mensonge et utilise Dieu pour imposer sa violence sur la famille et les amis. Alfred Sole appuie sur ce point grâce à la mise en scène, il ridiculise les gestes théâtraux d’Annie juste après qu’elle ai pris un certain plaisir à annoncer la mort de sa nièce à sa sœur. L’actrice est filmée en gros plan, rendant ses expressions exagérées, grotesques et artificielles par rapport au contexte de la séquence.
Ce dénigrement est également appuyé par l’utilisation des symboles religieux. Marie et Jésus regardent avec tristesse les événements et les personnages comme s’ils étaient blessés par leurs agissements. Cette utilisation condamne ainsi l’instrumentalisation de la foi par cette communauté qui a oublié de prendre soin de ses membres.
Alice est clairement en difficulté, elle n’accepte pas le divorce de ses parents et jalouse sa sœur, centre d’attention de sa mère. Ses actes de désobéissance sont des appels à l’aide totalement ignorés par les reste des protagonistes. Dans les années 1970, les problèmes des enfants ou de mariage étaient imputés à la femme. Catherine se fait reprocher la conduite de sa fille et son divorce par sa sœur Annie. Elle n’est ni une bonne mère, ni une bonne épouse, elle est une pécheresse. Pourtant jamais la religion ne punit la mère d’Alice, ce sont les pratiquants qui la désignent comme pécheresse. Souvent associé à la vierge, le spectateur voit en Catherine une femme dépassée qui essaye de faire de son mieux pour élever ses filles. L’échange entre elle et Alice à l’hôpital psychiatrique illustre bien ce propos. Catherine aime son enfant et elle est déchirée d’entendre Alice lui reprocher ses malheurs. Linda Miller, son interprète, retranscrit très bien cette émotion. Le réalisateur filme souvent l’actrice en gros plan lorsqu’elle montre aux spectateurs sa détresse émotionnelle, il la sublime même dans cette émotion. Dans une séquence lumineuse, Linda Miller est filmée comme une femme fatale au maquillage glamour et une larme glissant comme un diamant au coin de son œil. Il la sacralise en un plan faisant d’elle l’image de la mère martyre.
Une folle dualité
Après avoir dressé un portrait plutôt sombre de cette Amérique puritaine, Alfred Sole, dans un brillant hommage au Giallo, s’attaque à un autre thème plus glaçant . Le film traite de la folie ainsi que de la façon dont elle est perçue dans les années 1970.
Tout d’abord il y a notre tueur. Son mobile est l’obsession. Cette silhouette masquée de clown se voit comme le bras de Dieu, il chasse les pêcheurs pour se rendre digne à ses yeux et surtout à ceux du prêtre de la paroisse. Pour notre mystérieux coupable, la famille Spages ne mérite pas l’attention du religieux, ils ne sont pas purs et doivent être punis. L’antagoniste semble avoir cependant un lien avec Alice car il s’attaque également aux personnes lui voulant du mal. Le dernier plan du long métrage souligne cette idée avec un passage de flambeau. Ce personnage nous est montré comme un voyeur grâce à l’utilisation de la caméra subjective, il est également mis en scène comme une entité diabolique surgissant de nulle part, accompagnée d’une musique aiguë et angoissante. Ce sont des éléments que l’on retrouve dans le Giallo. ce voyeurisme est souvent associé au sexe dans ce genre. L’obsession de notre tueur est de ce type, lorsqu’il enfile son déguisement, le réalisateur filme ces scènes comme une préparation pour un rendez-vous romantique, les crimes en plus d’être violents sont aussi filmés comme des scènes charnelles, l’utilisation du couteau en est la métaphore la plus explicite. Pour finir, notre fantôme criminel est associé à la couleur rouge, symbole de passion et de violence.
Une autre couleur symbole du Giallo est le jaune. Dans Alice, Sweet Alice, cette couleur est associée aux sentiments négatifs mais surtout au personnage d’Alice et son état mental. Représentée souvent au travers d’un miroir ou d’une vitre, Alice est divisée entre le petite fille en manque d’affection et la jeune femme qui découvre sa sexualité. Lorsqu’elle se trouve avec sa mère, la fillette trouve près d’elle la couleur jaune éclatant et lors des scènes où le spectateur doit douter de son innocence, c’est un jaune plus verdâtre qui l’entoure. Alice est cassée, elle a perdu son innocence au moment où elle a perdu sa famille. Cette dualité est le point central du film. Qui est Alice? Serait-elle capable de tuer sa propre sœur ? Le film passe son temps à faire douter le spectateur. Alice pleure et à peur de perdre sa mère. Immédiatement dans la scène suivante, elle s’attaque au propriétaire de l’immeuble, le menaçant de parler de ses attouchements. Alice subit la colère de sa tante et fuit à nouveau en pleurs. Par la suite, sa tante se fait attaquer et on retrouve la fillette dans la cave, hurlant que le fantôme de sa sœur est le coupable.
Le moment le plus marquant est celui du détecteur de mensonge. Les parents et les enquêteurs assistent en spectateur à l’interrogatoire de la fillette. Le réalisateur filme la scène au travers de la vitre qui renvoie au public son reflet, appuyant ainsi la division dans l’esprit d’Alice. Quelques minutes plus tard, lorsqu’elle est seule avec le technicien, l’adolescente laisse sortir sa rage et détruit le matériel. Le symbolisme du double est partout autour du personnage jusque dans le jeu de l’actrice. Paula Sheppard, 19 ans à l’époque, joue le rôle d’une adolescente de 12 ans. Parfois son véritable âge nous apparaît quand son visage de femme séductrice s’affirme, renforçant l’impression d’une double personnalité.
Malheureusement, lorsque Alice subit un examen médical, les parents sont dans le rejet de ses observations et refusent de la laisser enfermer. A cette époque, la psychiatrie était mal vue, par méconnaissance mais surtout par peur du jugement de ses voisins, d’autant plus que la religion n’apporte pas non plus de solution. Alice aurait besoin d’un suivi pour accepter son changement de vie ainsi que son passage vers l’âge adulte, ce qui n’arrivera pas, le prêtre préférant minimiser le problème tout comme il ignore sa bonne très possessive, madame Tredoni . Finalement, la violence rapproche Alice de sa mère, l’objet de son amour et de sa haine pendant que le reste de la communauté détourne le regard pour passer au prochain scandale. L’attitude de la famille et du groupe est davantage celle du refoulement et un refus de voir la réalité en face. Le dernier regard qu’Alice adresse au spectateur est à la fois un aveu d’échec mais également le message plus dérangeant d’une folie se répandant comme une maladie. L’esthétique aux couleurs éclatantes et les décors utilisés par Alfred Sole permettent de terrifier et fasciner le spectateur tout en soulignant les enjeux du film. Le décors labyrinthique et marquant de l’immeuble dans lequel vit Alice est une parfaite illustration de l’esprit complexe de ce personnage à l’innocence pervertie. Il représente ses émotions et ses réflexions pour trouver un sens à sa vie. Le sous-sol représente ses obsessions et ses pensées les plus sombres. Si au début cette noirceur se cantonne à la cave, petit à petit, il gagne l’appartement d’Alice, complétant le dernier plan du long métrage et laissant ainsi ses spectateurs dans l’angoisse la plus totale concernant l’avenir de l’héroïne.
En rendant hommage au Giallo, Alfred Sole propose un thriller palpitant et brut laissant le spectateur dans le doute du début à la fin. Les thèmes abordés sont forts et toujours pertinents à notre époque. Alice, Sweet Alice mérite amplement son petit statut culte avec sa réalisation ainsi que sa bande son parfaitement maîtrisées.
Alice, Sweet Alice est disponible en Blu-ray et DVD chez Rimini Éditions, avec en bonus:
– un livret de 20 pages « Le bon dieu sans confession » écrit par Marc Toullec
– Présentation du film (24 mn) par Gilles Gressard, écrivain et historien du cinéma