2019
de: Nicolas Bedos
avec: Daniel Auteuil, Guillaume Canet, Fanny Ardant
Quel cinéphile ne s’est jamais émerveillé devant la mécanique narrative du voyage dans le temps? Nous avons quasiment tous dans le panthéon de nos films favoris un ou plusieurs films qui mettent en scène ce célèbre procédé. Pour preuve, le Réfracteur qui a le plaisir de vous offrir ces quelques lignes le fait devant une affiche de “Back to the Future” qu’il a la joie de contempler chaque matin au réveil, entre son café noir et sa cigarette habituelle. Si les exemples pleuvent outre-Atlantique, on a pourtant un peu de mal à trouver des films similaires chez nous: certes, on peut penser aux “Visiteurs” (et rapidement le regretter) ou au plus confidentiel “Camille redouble”, mais ce schéma est bien moins usité dans notre pays. Ajoutons à cette liste des oeuvres cinématographiques françaises “La belle époque”.
Écrit et réalisé par l’humoriste devenu cinéaste Nicolas Bedos, ce long-métrage met en scène le personnage de Victor (Daniel Auteuil), un dessinateur au chômage. Suite à sa séparation avec son épouse Marianne (Fanny Ardant), ce dernier va utiliser un bien étrange cadeau que lui offre son fils: une invitation pour passer une journée à l’époque de son choix, grâce à une toute nouvelle entreprise gérée par un ami d’enfance (Guillaume Canet) de son cher rejeton, qui propose des décors sophistiqués et des figurants, pour une immersion totale. Victor va choisir de retourner en 1974, à Lyon, et revivre le coup de foudre qu’il avait alors eu pour sa future femme.
Dès l’entame, Bedos va affirmer un procédé qu’il va utiliser tout le long du film: la mise en abîme. D’abord immergé dans un décor de style Renaissance, on s’imagine dans un film d’époque. Quand débarque en voiture une bande de malfrats, lourdement armés, on comprend que le décor de château n’est qu’une reconstitution. Puis enfin, quand le plan s’élargit et qu’on retrouve les images sur l’écran d’une tablette, on assimile enfin que cette scène n’était que l’extrait d’une série, que le personnage de Daniel Auteuil découvre au restaurant, entouré de sa famille et d’amis. Cette construction ici courtement exposée n’est en fait qu’une mise en bouche pour la suite, et le cinéaste va réutiliser cette méthode tout le long du film: l’une des bonnes idées de “La belle époque”, comme nous y reviendrons.
Ce dîner, c’est aussi l’occasion immédiate, d’afficher la totale contradiction entre les deux époux. Victor est complètement réfractaire (et non Réfracteur) à la technologie. Il en est même agacé, tandis que le personnage de Fanny Ardant semble complètement immergé dans tous ces nouveaux gadgets. Malheureusement, c’est l’un des problèmes principaux du film: Bedos en fait des caisses autour de la high-tech. Marianne est une psychologue qui décide d’automatiser ses consultations grâce à une application, et qui s’endort le soir un casque de VR sur la tête. Le trait est volontairement forcé de toute évidence, mais ce ressort scénaristique semble inutile. Le propre même de la mécanique du voyage temporel, c’est justement de démontrer les dérives du monde moderne, sans les afficher clairement. Cette espèce de lourdeur plombe complètement toute la partie du film qui se déroule dans le cadre de notre époque. Pire: Marianne apparaît grotesque, stéréotypée et sans aucun naturel. C’est toute une moitié du film, et surtout sa conclusion qui tombe à l’eau, d’autant plus que Fanny Ardant semble être en roue libre totalement, sans aucune retenue.
« Et ton casque? Voyou ! »
Il faut dire que l’écriture de son personnage n’aide pas. Si les dialogues sont globalement bons, Nicolas Bedos semble toujours vouloir tirer vers les disputes. Une façon de renouer avec son style si agressif, mais qui n’est pas toujours adaptée. Le montage, qui lui est réussi, suffisait à donner une impression brute au film, mais ce refuge dans la colère donnerait presque à “La belle époque” des airs de comédie de boulevards.
Puis il y a le coeur du film, toute la partie qui se passe au sein de la société de Guillaume Canet: la reconstitution historique dans laquelle se noie Daniel Auteuil. Cette autre face du film est elle bien plus séduisante, déjà parce que Bedos, intelligemment, réussit à amener le ludisme du voyage temporel dans un cadre vraisemblable. Pas de machine à voyager dans le temps, juste des décors et des acteurs. Ensuite parce que le personnage de Guillaume Canet, derrière des vitres sans tain et des moniteurs, amène cette fameuse mise en abîme qu’on évoquait auparavant. C’est presque le rôle du réalisateur qu’il propose. Il aime ses personnages (trop) et manipule dans l’ombre, avec un mélange de sadisme et de compassion réussi.
La seconde mise en abîme, c’est Daniel Auteuil qui l’apporte, avec ses remarques anachroniques. Alors que tout le monde autour de lui joue la comédie, il va d’abord traquer les petites imperfections, comme un spectateur un peu tatillon, avant de se laisser prendre au jeu. C’est aussi là qu’on trouve l’une des plus belles scènes du film, lorsque celle qui incarne la version jeune de sa femme le prend par la main et lui fait traverser les époques au fil des décors servant à la fameuse entreprise. Certes, on déplore le côté “c’était mieux avant” quasi-inévitable, mais le mélange entre reconstitutions fidèles et souvenirs fantasmés donne un visuel très attachant, et une patte particulière au film.
C’est cela “La belle époque”: une majorité de moments prenants mais pris en étau entre un début et une fin qui manque complètement son coup dans la critique de la société moderne. Un sentiment renforcé par des dialogues souvent forcés, sans naturel, qui empêchent de profiter pleinement de l’onirisme et de la malice du saut dans le temps.
Dans ce film aux deux visages, on déplore le manque de retenue de Nicolas Bedos: cette manière d’appuyer trop fort. Reste le jeu temporel agréable et son ludisme, qui se seraient parfaitement suffit à eux-mêmes. Pourquoi faire compliqué quand on peut être sobre et efficace?