Papicha

2019

de: Mounia Meddour

avec: Lyna KhoudriShirine BoutellaAmira Hilda Douaouda

Encore et toujours, le hasard fait bien les choses. La semaine précédente, nous avions inauguré notre “Pick of the Week” hebdomadaire en saluant “Tigertail”. Ce fût l’occasion d’évoquer la double identité culturelle des migrants, autant attachés à leur pays de naissance qu’à celui qui les accueille. Pourtant, ce qui est admissible pour les pays asiatiques semble être un tabou en France lorsqu’on évoque le Maghreb. Pire, les racistes de tous bords en font un argument idiot: celui qui consiste à affirmer que malgré les problèmes, les habitants de pays en difficulté feraient mieux d’y rester et de lutter contre la radicalisation. Pourtant, comme disait le poète: “Ils oublient qu’à l’abri des bombes, les Français criaient “Vive Pétain”, qu’ils étaient bien planqués à Londres, que y’avait pas beaucoup d’Jean Moulin”.

On revient aujourd’hui à cette problématique de l’appartenance à un pays et le dilemme de sa lente progression vers l’obscurantisme avec “Papicha”. L’histoire simple d’une bande d’étudiantes algériennes dans les années 90, qui tentent éperdument de vivre librement alors que la société se radicalise de plus en plus. Plus particulièrement le destin de Nedjma (Lyna Khoudri), passionnée de couture, qui décide de détourner le hijab (le voile islamique) pour en confectionner des robes.

Si en introduction nous avons à nouveau posé la problématique de la double nationalité, c’est justement parce que le film évoque “les autres”, ceux qui sont restés, et c’est probablement ce que “Papicha” fait de mieux. Nedjma ne rêve pas d’exil, elle aime son pays du plus profond de son coeur et l’affirme clairement. Toutefois, en suivant son histoire personnelle, l’oeuvre expose l’impuissance face à la violence et surtout les entraves morales et physiques qui meurtrissent les ressortissants de pays en crise.

Intelligemment, le long-métrage ne personnifie pas cette haine. Il n’y a pas d’antagoniste clair, mais plutôt la restitution d’une société qui se résigne peu à peu à céder au fanatisme. Les démonstrations islamistes les plus violentes dans l’université des héroïnes du film sont toujours les faits de personnages voilés, et donc relativement anonymes. Le film n’a plus qu’à dérouler le reste des événements en posant la lassitude des protagonistes secondaires qui abdiquent face à la terreur.

« Quand on te fait un costard sur mesure »

Des incursions d’ailleurs savamment pensées, qui viennent s’immiscer progressivement dans les strates les plus intimes des femmes algériennes: d’abord en menaçant l’éducation, puis le domicile, pour finir par parasiter les rêves pourtant légitimes de ces jeunes demoiselles. “Papicha” montre et démontre que l’argument des sectaires que nous exposions en introduction est une mise en danger permanente, par rapport à laquelle on comprend que certains préfèrent (et très souvent doivent) fuir.

Le cadrage, resserré au plus près des visages des protagonistes principaux, donne subtilement une vraie personnalité à cette bande de jeunes femmes, surtout en opposition de l’anonymat relatif des bourreaux. Un choix de l’intime appuyé par une qualité d’interprétation plutôt agréable. Ces amis ont une âme, ce groupe a une raison d’être, et on s’y attache profondément. De là, le film n’a plus trop à en faire et avec quelques symboles relativement simples à saisir, il va se laisser entraîner par son histoire.

Un problème toutefois, puisque l’oeuvre en devient trop convenue, et surtout trop prévisible. Certes on ne s’attendait pas à un thriller haletant, mais les quelques moments où le film tente de jouer la carte de la surprise sont un peu ratés, car trop anticipés. Une erreur sans doute imputable au fait que “Papicha” est un premier long-métrage, celui de Mounia Meddour, qu’elle chouaille comme un enfant mais qui du coup lui donne une trajectoire trop directe.

La cinéaste réussit toutefois à donner du souffle et de l’ampleur à son bébé, grâce au symbole du détournement du voile. Cette image porte le film et est diablement bien pensée. D’autant plus qu’en restituant des personnages cohérents, mais sans en faire trop, cette allégorie de la liberté prend son envol de manière parfaite.

Même si on constate quelquefois un peu de versatilité dans ce portrait de la jeunesse algérienne de l’époque, on comprend que cette population en manque de rêves, dans un pays qui offre un terrain fertile à la radicalisation, a des envies d’ailleurs. Plus encore qu’une simple aspiration, cet exil est pour certains une nécessité absolue, de vie ou de mort. On aurait peut-être aimé que le film trouve un peu plus de dimension en ne se reposant pas uniquement sur l’image du hijab. D’autant plus que le long-métrage amorce d’autres problématiques, mais on pardonne aisément tant la démonstration est réussie.

Les signes d’un premier film, un peu trop scolaire, “Papicha” les porte indéniablement. Mais si le long-métrage ne viendra pas s’inviter dans notre panthéon des œuvres majeures, son propos est suffisamment pertinent pour donner une véritable raison d’être à cette histoire. Un rappel à l’ordre nécessaire pour lutter contre le racisme qui se voudrait ordinaire.

Nicolas Marquis

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