Tastr Time: Boulevard du crépuscule

(Sunset Blvd.)

1950

de: Billy Wilder

avec: William HoldenGloria SwansonErich von Stroheim

Chose promise, chose due: nous voici réunis aujourd’hui pour donner le coup d’envoi d’une toute nouvelle rubrique dont nous vous avions détaillé le principe dans notre précédent édito. La moindre des choses que l’on puisse dire, c’est que pour ce premier “Tastr Time”, la plateforme de recommandations nous a gâté. Elle nous propose aujourd’hui l’un des plus grands classiques du cinéma américain, un film qui a influencé plusieurs générations de réalisateurs et qui continue aujourd’hui encore d’être étudiée dans toutes les écoles de cinéma: “Boulevard du crépuscule”. Réfractons donc ensemble, grâce à “tastr.us”, ce monument du 7ème art.

« Sunset Blvd.” (son titre original) est l’histoire de Joe Gillis (William Holden), un scénariste en pleine faillite. Poursuivi par des usuriers et incapable de vendre le moindre écrit, il va se retrouver, un peu par hasard, dans la demeure fastueuse de Norma Desmond (Gloria Swanson), une ancienne gloire du cinéma muet tombée dans l’oubli. Norma est convaincue qu’elle est capable d’écrire elle aussi un scénario qui la remettrait sous le feu des projecteurs. Joe Gillis va exploiter cette situation pour s’installer dans la luxueuse maison, et une relation ambigüe va s’établir entre les deux personnages.

Le film s’ouvre sur une scène glauque: alors qu’un corps est repêché dans la piscine de la maison de Norma, la voix-off de Joe nous décrit les événements et va nous accompagner pendant tout le film, apportant de l’épaisseur au récit construit comme un gigantesque flashback menant à cette découverte macabre. Cette funeste mise en bouche donne immédiatement le ton: “Boulevard du crépuscule” est un drame. 

La scène se justifie d’ailleurs: sans cette ouverture, les premiers instants du film, alors que Joe échappe de manière rocambolesque aux usuriers, pouvaient laisser penser à une comédie. D’ailleurs, le phrasé de Joe est rempli de jeux de mots assez mal retranscrits en VF. Ce que l’on prend pour de l’humour au début va vite tourner au cynisme.

« Un peu fort sur le maquillage quand même »

Car à bien des égards, cette oeuvre est une véritable critique du cinéma moderne, du début à la fin. Le film fait feu de tout bois sur une industrie qui broie les êtres humains de la manière la plus cruelle. Le long-métrage est un hommage (mais sans complaisance) à ceux qui ne sont pas, ou plus, dans la lumière: les scénaristes comme Joe et bien sûr les anciennes stars comme Norma.

Ce protagoniste féminin est fascinant dans sa construction. Elle est presque tel un vampire dans sa demeure grotesquement luxueuse, prête à jeter son dévolu sur le premier venu. Ce côté très légèrement horrifique du film est appuyé par l’apparence fantomatique de son valet. L’histoire de Norma est celle de dizaines d’acteurs qu’Hollywood a sacrifié avec l’avènement du cinéma parlant et on lit sur son visage des mimiques exagérées en permanence, comme si ses années de travail l’avait scarifiée à jamais. Norma est aussi perverse dans ses sentiments: tantôt dominatrice, tantôt victime, elle laisse Joe croire qu’il mène le bal alors que c’est elle qui tire les ficelles. Une performance d’actrice hors norme de Gloria Swanson.

La place de Joe dans l’histoire est aussi intéressante à analyser: il vit aux crochets de Norma, symbole du cinéma muet, et finit par s’éprendre d’une métaphore des films parlants. Il est un homme moderne qui s’aventure dans une demeure aux airs de maison hantée, presque anachronique. Joe apporte dans son sillon toute l’ironie de revoir un film de l’âge d’or d’Hollywood mais qui est pourtant une vive critique de ce petit monde.

Mettre en scène un tel chef-d’œuvre était un défi et pour le relever, il fallait l’un des plus grands réalisateurs de l’époque: Billy Wilder. En premier, notons l’usage qu’il fait de la voix-off qui rythme le film, comme nous l’avons déjà évoqué. Mais c’est surtout son travail sur les contrastes de noir et de blanc, jamais innocents, qui nous a scotché. Ils soulignent parfaitement les scènes graves et celle plus légères. Un travail d’orfèvre, tout particulièrement probant en ce qui concerne la lumière et son usage fabuleux, à l’image d’une scène devenue culte: celle où Cecil B. DeMille vient effectuer une petite apparition.

Pour un premier “Tastr Time”, difficile de rêver mieux. “Boulevard du crépuscule” est davantage qu’un chef-d’œuvre, c’est un film fondateur. L’un de ceux qui posent les bases d’une grammaire cinématographique encore utilisée. Contrat rempli pour “tastr.us”: un vrai plaisir de revisionnage et un film de plus à basculer dans notre catégorie “Classiques”.

Nicolas Marquis

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