Apollo 10 ½: Les fusées de mon enfance
Apollo 1/2 affiche

(Apollo 10½: A Space Age Childhood)

Réalisé par: Richard Linklater

Avec: Milo Coy, Jack Black, Bill Wise

Film vu par nos propres moyens

Comment restituer l’ampleur du temps qui passe à l’échelle d’un simple film ? Dans un exercice qui ne requiert l’attention du public que pendant une poignée de dizaines de minutes, l’inventivité des auteurs est mise au défi. Ce dilemme commun à chaque cinéaste apparaît comme le moteur de la démarche artistique de Richard Linklater. Tout au long de sa carrière, le metteur en scène n’a eu de cesse de réfléchir à cette notion de temporalité, se posant en véritable expérimentateur de la narration. Sa trilogie Before amorce une première tentative, en nous proposant des instantanés d’un seul et même couple, joué par Ethan Hawke et Julie Delpy, mais séparé par plusieurs années à chaque nouveau long métrage, en accord avec le temps qui s’est écoulé entre la sortie de chaque film. Dans une proposition encore plus osée, Boyhood, Richard Linklater expose le périple fleuve du passage à l’âge adulte d’un enfant, joué par le même acteur, qui a réclamé plus de 12 ans de tournage pour garantir une unité formelle. 

De retour sur le devant de la scène avec Apollo ½: Les fusées de mon enfance, disponible sur Netflix, le réalisateur continue son exploration de cette obsession de son cinéma, en ancrant cette fois le récit dans les années 1960, à Houston, alors que la conquête spatiale est au centre de toutes les obsessions. Stan (Milo Coy) est un tout jeune écolier, partagé entre ses jeux d’enfants et l’effervescence d’un monde qui le dépasse. Dans le plus grand secret, et de façon profondément loufoque, deux employés de la NASA l’aborde pour une mission qui n’a rien de commune: le jeune homme doit se rendre sur la lune dans un périple totalement confidentiel, afin de tester la viabilité du module lunaire qui accueillera plus tard Neil Armstrong et Buzz Aldrin. Cependant, Apollo ½: Les fusées de mon enfance ne rend pas réellement compte de cette épopée, mais s’attache plutôt à offrir au spectateur une vision de ce qu’était la vie d’un jeune texan au cours de l’été 1969, avec l’innocence du regard enfantin. Stan est d’ailleurs étrangement proche de Richard Linklater, lui-même gosse de Houston d’un âge similaire au cours de cette même période. Le film prend en fait des allures de confession sur la jeunesse de son réalisateur et scénariste, mâtiné d’une légère excentricité.

Apollo 1/2 illu 3

Apollo ½: Les fusées de mon enfance se révèle être une pépite nostalgique, un regard amoureux porté sur une période désormais lointaine, que Richard Linklater restitue avec passion. Au centre de son récit, le cinéaste étale toute une culture de l’époque, et un bouillonnement artistique total. Ainsi, l’écran de télévision est présenté comme un objet fédérateur, autour duquel la fratrie de Stan se rassemble religieusement. Dans un déchaînement de courtes séquences rythmées, qui sert de socle narratif au film, le long métrage fait par exemple étalage des nombreuses séries ou dessins animés qui foisonnent dans les années 1960, étourdissant le personnage principal devant l’avalanche de l’offre. Le poste de télévision est aussi le témoin de la politique de cette ère révolue, le vecteur de la parole du pouvoir, alors que Richard Linklater reconstitue le fameux discours de John Fitzgerald Kennedy à l’université de Rice, et la célèbre phrase “We choose to go to the moon”. À plus forte raison, l’alunissage de Neil Armstrong et Buzz Aldrin, point de mire ultime du long métrage, sert de décors à l’exposition finale de la dynamique familiale.

Mais Apollo ½: Les fusées de mon enfance ne se cantonnent pas au domicile de Stan, et le voyage dans le temps que propose le film s’exporte en dehors des murs, jusque dans les plus petits détails. Une sortie au parc d’attractions local est presque aussi significative pour le héros que la conquête spatiale, et la musique d’époque omniprésente charme les oreilles du public. Dans un assemblage de petits riens, Richard Linklater propulse le spectateur au cœur du quotidien de son personnage principal. Apollo ½: Les fusées de mon enfance est une lettre d’amour adressée à l’âge de l’insouciance et de la malice, une proposition singulière où la poésie du quotidien jaillit inopinément ça et là. Stan n’a rien d’exceptionnel, et c’est ce qui le rend si attachant. Son enfance est faite de petites victoires, comme lorsqu’il trouve une parade à la punition du surveillant de son école, où lorsqu’il bénéficie d’une glace gratuite chez le marchand de son quartier. Dans un ère où le monde est encore tourné vers l’avenir avec envie, loin de notre époque où les catastrophes annoncées du futur nous glacent le sang, l’enfant rêve sans se soucier du lendemain.

Apollo 1/2 illu 1

Toutefois, Apollo ½: Les fusées de mon enfance porte également en lui le parcours initiatique d’un jeune garçon qui cherche sa place dans le monde. À de nombreuses reprises, Stan est renvoyé à une solitude relative, lui qui est le dernier né de sa famille, et qui en conséquences tragiques est le plus effacé de tous ses frères et sœurs. Ce cheminement personnel chaotique trouve également écho chez son père. Petit employé de la NASA, dévolu à des tâches administratives loin des fusées, il apparaît comme relativement minable. Pourtant Apollo ½: Les fusées de mon enfance fait preuve d’une immense compassion pour lui, lui accorde le droit de se tromper, tout en l’affirmant comme un maillon essentiel de l’agence spatiale américaine. Pour Richard Linklater, même la plus petite fourmis à un rôle capital à jouer, et bien que son long métrage écorne l’image de ce modèle, il sait dans le même temps lui témoigner de l’amour et du respect. Cette figure d’autorité ne commande peut être rien dans sa vie professionnelle, mais il est au centre de l’existence de Stan.

Le choix de l’animation pour immerger le spectateur dans cette aventure singulière n’a d’ailleurs rien d’innocent. Richard Linklater a bien songé un temps à nous livrer son histoire en prise de vue réelles, avant de se tourner vers une représentation graphique plus abstraite. Derrière cette démarche se cache la volonté de rappeler implicitement les dessins animés des années 1960, dans lesquels est baigné Stan. Pour parvenir au résultat final, le cinéaste fait en réalité jouer les scènes par de véritables acteurs, avant de tracer leur contour en post production. Il en résulte une patte graphique originale, un pied dans le concret, l’autre dans l’abstrait. Pour le metteur en scène, la cohérence ne compte pas, l’essentiel est de restituer une âme, un sentiment, avant une réalité qui n’inviterait pas aux rêves enfantins.

Apollo 1/2 illu 2

C’est justement parce qu’il s’ancre dans un langage plus métaphorique que documentaire que Apollo ½: Les fusées de mon enfance touche sa cible. Stan est un affabulateur absolu, un gamin délicieusement menteur, et au terme du film, bien que nous en ayons vu plusieurs visuels, le récit de son voyage spatial est difficile à admettre. Le voir sortir un numéro du magazine Mad au moment du décollage suffit à comprendre que ce que nous raconte Richard Linklater n’est pas le périple d’un jeune enfant dans l’espace, mais plutôt comment son imaginaire à assimiler les bouleversements mondiaux de son époque. Alors que tous tournent la tête vers les étoiles, Stan s’y imagine en héros intergalactique. Histoire et intimité se mêlent chez un personnage qui cherche le sens de la vie, et qui le trouve dans l’onirisme et dans l’imaginaire.

La nostalgie de Apollo ½: Les fusées de mon enfance séduit le public. Sur un rythme effréné, Richard Linklater nous fait revivre les années 1960, à l’échelle de l’enfance, dans une douce rêverie.


Apollo ½: Les fusées de mon enfanceest disponible sur Netflix.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire