A Fistful of Fingers

1995

Réalisé par: Edgar Wright

Avec: Graham Low, Oli van der Vijver, Martin Curtis

Vu par nos propres moyens

Alors que le nom d’Edgar Wright revient sur les affiches qui ornent nos salles de cinéma à l’occasion de son dernier film, “Last Night in Soho”, l’idée de porter notre regard sur la carrière du cinéaste a germé en nous. Pour disséquer sa première œuvre, ironiquement appelée “A Fistful of Fingers”, un voyage temporel qui nous transporte en 1995 s’impose alors que le réalisateur n’avait alors que 21 ans. Mais si le grand écart est chronologique, il est aussi dans le ton qui oppose les deux œuvres. “Last Night in Soho” se veut sombre et glauque, inspiré des Gialo de nos voisins transalpins; “A Fistful of Fingers” est lui une comédie délicieusement potache qui réussit, malgré son aspect parfois amateur, à esquisser déjà certains thèmes et traits de réalisation qui accompagneront Edgar Wright jusqu’à aujourd’hui. Loin de chercher à surinterpréter un film qui reste au final proche de la petite blague sympathique, on ne peut s’empêcher, cinéphiles que nous sommes, d’y voir les premiers gestes d’un auteur atypique.

Il serait d’ailleurs plus juste de parler de parodie que de comédie véritable. Jugez plutôt: dans l’Amérique du temps du Far West, un pistolero sans nom et vêtu d’un poncho, très proche de Clint Eastwood mais ici interprété par Graham Low, cherche la prochaine prime qui lui assurera quelques dollars. Pour se faire, il se lance sur les traces du patibulaire Squint, joué par Oli Van Der Vijver mais fatalement assimilé à Lee Van Cleef, quitte à semer le trouble dans la petite bourgade locale. En chemin, notre héros de Cowboy rencontre l’indien Running Sore, sous les traits de Martin Curtis, qui l’aidera dans sa tâche. Un véritable sidekick qui sera, disons le immédiatement, bien plus perspicace et efficace que le protagoniste principal de cette joyeuse bouffonnade.

Ce qui marque donc immédiatement avec Edgar Wright, dès son premier film mais également dans ses longs métrages suivants, c’est la culture du 7ème art qui habite le metteur en scène et scénariste. Non content d’égratigner l’image des Western Spaghetti à la Sergio Leone, au plus évident, le réalisateur vient également piocher dans tout un tas d’œuvres diverses propres au cinéma traitant de cette époque bien particulière. Edgar Wright n’hésite donc pas une seule seconde, pour notre plus grand plaisir d’adeptes de George Roy Hill, à picorer dans “Butch Cassidy and The Sundance Kid” qu’il cite plusieurs fois, ou dans les films de John Ford, plus discrets mais bel et bien présents. Le cinéaste semble cinéphile avant tout à ce moment de sa carrière.

Pourtant, jamais Edgar Wright ne se prend au sérieux dans l’élaboration de “A Fistful of Fingers”, bien au contraire. Régulièrement, en plus de caricaturer ce genre, il émet également tout un tas de réflexions autour du septième art en lui même: on pense par exemple à ce bar où tout le monde est immobile, avant d’exploser dans l’effervescence dès que le héros pénètre à l’intérieur, comme si la scène avait besoin de lui pour commencer et s’interrompre. À d’autres moments, c’est un figurant qui joue d’une manière robotique à l’extrême qui interpelle, ou bien une pancarte annonçant “bord de l’écran”. Le plus grotesque reste sans doute les chevaux du film, simples assemblages de bouts de tissu sans âme que le scénario prend très au sérieux. En fait, on a le sentiment qu’en plus de la légèreté ambiante, l’auteur propose un niveau de lecture intermédiaire à son public en brisant le 4ème mur.

Cet humour perpétuel n’est pas sans rappeler les grandes heures des ZAZ, les producteurs derrière les saga “Y-a-t-il un flic…?” et “Y-a-t-il un pilote dans l’avion?”. Il ne fait absolument aucun doute qu’Edgar Wright s’inspire de leurs travaux, tente d’en capter la splendeur avec plus ou moins de succès. Dans cette pure potacherie au débit de gag soutenu, on retrouve des traits communs indéniables, notamment dans la façon de jouer autour des attentes du spectateur. Pour illustrer cette idée, on peut penser à cette scène ou Squint lance une peau de banane au sol pour perturber son poursuivant: on s’attend tous à voir le protagoniste principal glisser lamentablement mais c’est en fait un saut au dessus de l’obstacle, et donc sans aucune ampleur, mais filmé dans un ralenti héroïsant que propose Edgar Wright.

Mais “A Fistfull of Fingers” reste un premier film et porte en lui le poids des tâtonnements de son géniteur, voire se transforme en laboratoire d’expériences cinématographiques. Les timings, élément essentiel de l’humour au cinéma, ne sont pas toujours idéaux et le débit est parfois beaucoup trop oppressant, laissant le spectateur sur la touche dans certaines scènes. D’autre fois, c’est une séquence, certes pleine de gags mais qui traine beaucoup trop en longueur qui déçoit. Si on ne souscrit jamais totalement à tous les élans de ce genre de comédie, la manière n’est elle pas non plus parfaite, c’est indéniable. Pourtant Edgar Wright varie parfois sa grammaire, comme lorsqu’il convoque une séquence d’animation, fruit du travail de son frère. “A Fistfull of Fingers” est généreux comme l’essentiel de la filmographie du cinéaste, mais peut être parfois trop.

Si on prend un pas de recul et qu’on tente de cerner un peu mieux les problèmes d’un film indéniablement imparfait, les acteurs et leurs performances en demi-teinte sont à souligner. N’est pas Leslie Nielsen qui veut, et même s’ils ne déméritent pas totalement, Graham Lowe et surtout Oli van der Vijver semblent tirer un peu le film vers le bas, le condamnant à rester anecdotique, comme une simple farce entre potes. On dégage sans doute un peu plus Martin Curtis de ce casting, mais aussi parce que son rôle est le plus réfléchi. Faire de l’indien un Sidekick plus performant dans l’absolu que le héros souligne un regard très ironique sur le septième art.

Mais au-delà de ces gros défauts qui font de “A Fistfull of Finger” une broutille à l’échelle du flot incessant de comédies qui bombardent nos écrans, on a envie de retenir une chose du film: sa grande générosité. On rigole de bon cœur quand les dialectes amérindiens ne sont en fait qu’un assemblage de noms de personnages de Star Wars, on piaf lorsqu’un trucage se fait indéniablement grotesque, on se bidonne devant un combat de doigt d’honneur. Oui, Edgar Wright ne signe pas un chef d’œuvre dès son premier long métrage, on en est même très loin étant donné sa relative lourdeur, mais il est dans le même temps impossible de ne pas y voir une forme de promesse pour l’avenir, celle de voir éclore un jeune réalisateur amoureux et connaisseur de son art.

« A Fisful of Fingers » n’est plus commercialisé depuis l’époque des VHS, il faudra donc vous pencher vers le marché de l’occasion pour trouver cette rareté.

A Fistfull of Fingers” est parfois lourd, mal amené, ou encore pas très finement joué, mais il en transpire un amour profond pour le septième art et les premiers contours d’un humour prometteur.

Nicolas Marquis

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