Utu

1983

Réalisé par: Geoff Murphy

Avec: Anzac Wallace, Bruno Lawrence, Tim Elliott

Film vu par nos propres moyens

L’histoire d’un film ne s’arrête jamais aux simples événements qui défilent à l’écran. Il y a toujours des faits qui entourent une production à découvrir. La trajectoire de “Utu”, l’œuvre de Geoff Murphy sortie en 1983 en est un brillant exemple. Ce long métrage, on a bien failli ne jamais le voir, malgré un succès critique incontestable, tant les copies disponibles étaient dans un état piteux. Il aura fallu attendre 2013, 30 ans donc, pour qu’une prise de conscience s’opère et qu’on restaure proprement ce grand morceau de cinéma emblématique de son pays, la Nouvelle-Zélande. Un acte de préservation du patrimoine qu’on doit au directeur de la photographie du film, Graeme Cowley, qui s’est aperçu de l’état lamentable des restes de “Utu” à la faveur d’une diffusion sur la télévision nationale. C’est à son initiative que lui-même, Geoff Murphy et le monteur Michael Horton se sont replongés dans ce qui reste une des œuvres les plus importantes de leurs vies. Il leur aura fallu reconstituer l’esprit original du long métrage en s’appuyant sur les quelques rushs encore exploitables pour nous livrer cette nouvelle version impeccable visuellement.

Mais de quoi est-il question au juste avec “Utu”? Dans cette gigantesque fresque, Geoff Murphy développe toute une réflexion autour de la colonisation de la Nouvelle-Zélande à la fin du 19ème siècle. Le réalisateur et coscénariste oppose les anglais fraîchement débarqués et peuple Maori de plus en plus contraints par ce que certains perçoivent, probablement à juste titre, comme une invasion. C’est autour de Te Wheke, interprété par Anzac Wallace, que s’articule l’histoire: alors qu’il travaille pour l’armée britannique, cet autochtone se rebelle le jour où ils découvrent son village et sa famille décimés par les colons. S’ensuit une lutte armée impitoyable sur les terres sauvages de ce pays d’Océanie.

C’est toute la splendeur de la Nouvelle-Zélande qu’on perçoit en premier. Avant de s’attarder sur le message profond de “Utu”, il convient de souligner le décor que met en scène Geoff Murphy et qui est l’enjeu principal de cette guerre civile. Il existe un paradoxe visuel fort entre ces paysages paradisiaques et le sang versé à l’écran. On ressent à un degré très primaire toute la sauvagerie de cette contrée si éloignée de nous, à tel point que les constructions humaines, principalement celles britanniques, semblent complètement irréelles. Un village perdu au milieu du désert, un fort qui tombe en ruines, ou encore un moulin à vent d’un rouge éclatant: les différents édifices apparaissent volontairement anachroniques dans “Utu”.

Le film ne s’en cache pas: la hiérarchie britannique est décrite comme terriblement barbare. Le premier acte de violence dépeint à l’écran sera d’ailleurs le fruit de leurs méfaits. Sans jamais devenir manichéen, “Utu” dénonce sans trembler les promesses non tenues des colons et les trahisons faites aux maoris. Lorsque dans une scène on subit le discours de haine d’un homme d’Église, on comprend que Geoff Murphy pose une critique sans faux-semblants de l’histoire Néo-Zélandaise. Son œuvre est une chronique historique forte.

Le risque de tomber dans la facilité et de décrire les actions des maoris comme totalement justifiés était donc présent, mais “Utu” ne commet pas cette erreur. Si le long métrage condamne la violence britannique, il s’évertue aussi à illustrer un cercle vicieux dans l’escalade sanglante de ces luttes. Les camarades de Te Wheke ne sont pas parfaits, et ne s’attaquent pas uniquement aux institutions, leur colère frappe aussi injustement des civils pourtant amicaux avec les leurs et ce très rapidement dans le récit. Il est impossible d’oublier le visage dément de Anzac Wallace, ivre de haine, la langue tirée comme un diable. Lorsqu’un maori se retrouve le visage couvert de farine, et revêt donc l’apparence des envahisseurs à la peau blanche, le héros du film va immédiatement braquer son arme sur lui. La colère de Te Wheke est déraisonnée.

L’équilibre entre les deux camps opposés s’affirment en vérité à travers les personnages secondaires, plus ambivalents. L’envie de vengeance d’un fermier endeuillé par un assaut maori se comprend, la révolte d’une jeune autochtone malmenée par les colons aussi. Il y a un juste milieu tragique empreint de fatalisme qui se dessine à l’écran, complètement souligné par certains natifs de l’archipel pourtant acquis à la cause britannique. Geoff Murphy propose même un embryon d’histoire d’amour entre un homme blanc et une femme maorie, pour immédiatement nous retirer cette hypothèse: la paix semble impossible à atteindre dans le contexte que “Utu” offre. Les personnages du film semblent plutôt obsédés par une course à l’armement volontairement montrée comme grotesque.

Mais dans ce cas, quel est le message profond de l’œuvre?  On ne le comprend peut-être réellement qu’à la fin, après une préparation scénaristique savante, mais c’est véritablement l’acte même de donner la mort et ses justifications fallacieuses qui est réfléchi. Après deux heures de montée en régime de la violence, on saisit que le propos de Geoff Murphy est clair: rien ne donne raison aux bourreaux, même au moment d’abattre leur justice biaisée sur un personnage sanguinaire. La vérité est dans une paix hypothétique que le scénario ne livre jamais, restant toujours du domaine du fantasme. Le mot maori “Utu” ne signifie d’ailleurs pas “vengeance” comme on pourrait le croire aux vues du déroulé de l’histoire, mais plutôt « réciprocité », comme si nous étions enfermés dans une boucle barbare dont on ne peut se soustraire.

« Utu » est disponible à l’achat chez « La Rabbia » et donc sur le site de « The Jokers »: ici

La restauration de “Utu” est une occasion unique de savourer pleinement cette œuvre iconique de son pays, la Nouvelle-Zélande, sans prendre d’autres partis que celui de dénoncer la violence des hommes.

Nicolas Marquis

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