(Kaidan)
1964
réalisé par: Masaki Kobayashi
avec: Rentaro Mikuni, Michiyo Aratama, Misako Watanabe
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Kwaïdan” de Masaki Kobayashi.
“Kwaïdan” (aka 怪談 pour les initiés) est une expression japonaise que l’on pourrait traduire par “histoire de fantômes ». Logiquement, avec ce nouveau Tastr Time, on va donc évoquer le monde des spectres et des esprits vu à travers le prisme du folklore du pays du soleil-levant. Le long-métrage se présente comme un assemblage de 4 contes nippons ayant pour trait commun le domaine du fantastique et un cadre historique, le Japon féodal et ses mystères.
Pour aller en profondeur dans l’analyse, il faudra donc prendre chacune de ces 4 histoires individuellement pour tenter d’en extraire la substance mais avant de s’y attarder, constatons ce qui fait l’identité commune de ce film aux visages changeants. Ce trait d’union, il va avant tout être visuel: Kobayashi est un maître de la couleur et impose des teintes uniques à son œuvre. Des costumes aux décors, le cinéaste n’hésite pas à interpeller l’œil du spectateur pour asseoir son ambiance unique.
Une atmosphère planante qui va être appuyée par le rythme du film, particulièrement lent. On parle ici d’un long-métrage de plus de 3h qui n’hésite pas à offrir de longs moments de silence où presque tout est immobile. Un processus qui ne pourra pas satisfaire tout le monde: “Kwaïdan” est parfois lourd à digérer et demande un effort d’attention soutenu. Le décor est planté, place à nos réflexions sur les 4 fables qui composent le film.
Les cheveux noirs
Dans ce segment, Kobayashi va nous présenter le parcours d’un samouraï qui choisit de quitter son foyer pour épouser une noble de haut rang. Mais cet homme est rongé par les remords et ne rêve que de retourner auprès de celle qu’il a quitté. En substance, Kobayashi va utiliser cette légende pour nous offrir une morale simple: il faut savoir se contenter des plaisirs simples que la vie nous offre sans se laisser ronger par l’ambition, apprendre à apprécier son existence.
Le cinéaste va utiliser une identité visuelle forte pour dérouler cette portion du film, notamment à travers les maquillages qui parsèment ce conte. Le champ sonore va également nous interpeller avec une récurrence de percussion étrange qui dicte un tempo désordonné au tout. C’est probablement la séquence de l’œuvre la plus proche du cinéma d’horreur tout en étant assez loin des codes habituels du genre.
« En galère de galère de post-it »
La femme des neiges
Nouveau conte, nouvelle identité visuelle. Cette fois, c’est à travers le décor que Kobayashi impressionne et confine au génie. En plus de la neige presque surnaturelle qui balaye l’écran, le réalisateur va utiliser de gigantesques toiles de fond aux couleurs étranges, formant par instant des cercles improbables ressemblant à des yeux divins qui guetteraient le héros de cette triste histoire. Le cinéaste affirme une certaine emprise sur son univers.
On suit ici la trajectoire d’un bûcheron qui aperçoit une nuit, en pleine tempête de neige, une femme aux traits séduisants. L’apparition va se présenter comme un esprit prêt à épargner notre héros si celui-ci tait à jamais leur rencontre. Épanoui dans sa vie durant les années qui ont succédé ce mystérieux événement, notre protagoniste principal va petit à petit négliger sa promesse. On pourrait aisement voir dans “La femme des neiges” une mise en garde: un engagement ne se prend pas à la légère et ne s’estompe pas avec les années. Celui qui prête serment doit l’honorer à jamais ou il en paiera les conséquences.
Hoïchi sans oreilles
Dans un temple bouddhiste vit paisiblement Hoïchi, un joueur de luth particulièrement talentueux mais malheureusement aveugle. Chaque nuit, un fantôme va venir à lui et le conduire vers une cour d’esprits d’anciens nobles afin qu’il joue de son instrument. C’est une approche presque faustienne qu’adopte ici Kobayashi. Le cinéaste tente de délimiter, sans en donner de réponse claire, la part qu’un artiste est prêt à sacrifier pour la perfection. Le héros de cette fable se consume chaque nuit un peu plus mais ne s’épanouit pas dans la journée. Où situer la frontière entre l’imaginaire et le concret?
Ici, ce sont les costumes rutilants et les scènes de foule qui émerveillent. Kobayashi va donner du souffle à ce conte qui est probablement le plus grandiloquent du film. Il nous transporte à une autre époque, n’hésite pas à exacerber sa mise en scène sans retenue pour faire voyager le spectateur.
Dans un bol de thé
Pour conclure son film, le cinéaste finit presque sur un pied de nez, une farce faite aux spectateurs en concoctant une mise en abîme à tiroirs. Il relate ici l’histoire d’un écrivain qui s’intéresse aux contes japonais inachevés, tentant de deviner pourquoi ceux-ci sont restés en suspens. Il va particulièrement réfléchir autour du mythe d’un samouraï qui aperçoit un visage dans les bols de thé qu’il tient et qui se confronte à des apparitions.
Kobayashi choisit ici de finir sur une réflexion plus large autour du concept même de la fable. Les histoires n’appartiennent à personne, pas même à ceux qui les racontent. Ce sont des “bouts de vie” imaginaires qui sont à la portée de tout le monde et que chacun peut s’approprier, comme l’a fait le cinéaste avec “Kwaïdan”.
Un brin éprouvant dans sa forme, “Kwaïdan” est à réserver aux plus téméraires, friands de mythes japonais. Passé la lourdeur inhérente au style voulu par Kobayashi, un univers aussi mystérieux que pertinent apparaît.