Vous n’aurez pas ma haine
Vous n'aurez pas ma haine affiche

2022

Réalisé par : Kilian Riedhof

Avec : Pierre Deladonchamps, Camélia Jordana, Christelle Cornil

Film fourni par Blaq Out

Le 13 novembre 2015, la France est touchée en plein cœur par l’horreur terroriste. Dans une série d’attaques perpétrées par des fanatiques aveuglés de haine, 130 vies sont fauchées, et une multitude de destins sont brisés à jamais. Au Stade de France, au Bataclan, et sur les terrasses des cafés parisiens, les rires se taisent sous le bruit des détonations, le temps se suspend et l’ombre opaque de la mort recouvre un monde meurtri par l’infamie. Dans l’adversité, confrontés à l’injustice absolue, les hommes se relèvent difficilement. Pour tous les endeuillés, les attentats les plus meurtriers qu’ait connu notre pays restent une blessure à jamais ouverte, mais face à l’obscurantisme, des âmes éprises de liberté refusent de céder à la colère. Contre la barbarie funeste, continuer de vivre malgré le chagrin est un outil de révolte. Ce soir tragique de novembre, le journaliste Antoine Leiris n’imagine pas une seule seconde qu’il fait ses adieux à son épouse Hélène, maquilleuse dans la salle de concert touchée par le fanatisme. Sans que nul n’en ait conscience, les baisers emplis d’affection que la jeune femme adresse à son mari et à leur tout jeune fils sont un ultime au revoir. Un avenir radieux s’écrivait à trois, mais le massacre contraint le père de famille à réapprendre à exister, privé de celle qu’il aimait passionement. Pourtant, Antoine Leiris refuse de céder au désespoir. Dans une publication Facebook, il clame courageusement sa volonté de ne pas sombrer dans la détestation de son prochain. “Vous n’aurez pas ma haine” inscrit-il sur son ordinateur, comme un cri d’insoumission face à l’ignominie. Partagé des dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, son message d’espoir devient une revendication reprise par d’innombrables anonymes. La témérité d’un homme galvanise un peuple qui souhaite combattre l’abjection par l’abnégation. Devenu personnage médiatique symbole de résilience, Antoine Leiris écume les plateaux de télévision pour porter ses mots d’espoir en public.

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Cependant, la tristesse règne dans l’intimité de son appartement parisien. La vie privée d’Antoine Leiris et son impossible reconstruction après le drame restent largement méconnus de la plupart des français. À jamais touché au plus profond de sa chair, il doit apprendre à vivre sans Hélène, pour le bien de leur enfant. À travers son ouvrage Vous n’aurez pas ma haine, désormais adapté au cinéma par Kilian Riedhof, le personnage public lève le voile sur son intimité et confie son mal-être. Devenu icône de la liberté, le journaliste offre avec ses confessions le témoignage d’un homme ébranlé, confronté au chagrin. Le colosse aux pieds d’argile vacille et laisse percevoir ses fêlures. Le quotidien d’Antoine Leiris, interprété par Pierre Deladonchamps, se transpose sur les écrans, dans un film parfois imparfait mais toujours bouleversant d’humanité.

Loin de la figure héroïque qui s’est affichée dans les médias durant les jours qui ont suivi les attentats, Antoine Leiris apparaît fragile et impuissant dans le long métrage. L’immaculée témérité que lui prête le grand public est mise à mal par le récit froid de la tragédie qui ouvre Vous n’aurez pas ma haine. Si le protagoniste est un symbole de courage, il n’a pas acquis ce statut par choix, un obscur destin l’a contraint à épouser ce rôle, le laissant seul face à ses convictions. Antoine est esclave des événements du 15 novembre, impuissant face à l’horreur, prisonnier de la tragédie qui le conduit du paradis d’un foyer heureux rapidement esquissé à la confrontation émouvante avec la dépouille de son épouse. En une fraction de seconde, une femme a perdu la vie, fauchée par les balles, pourtant, en épousant uniquement le point de vue de l’époux endeuillé, Vous n’aurez pas ma haine fait de cette mort une longue agonie. Loin de l’être aimé, le personnage principal vit l’instant traumatique par procuration, il court après une réalité qui se dérobe à lui et à son emprise. Il ne comprend pas les messages inquiets de ses proches, n’assimile que difficilement les échos des chaînes d’information télévisées dont il semble étrangement distant, il erre entre les hôpitaux en quête d’une réponse, avant qu’enfin, l’inexorable vérité tragique ne s’impose à lui. Il est démuni face à l’horreur de l’instant présent, incapable d’admettre l’incomprehensible. Pour lui, brisé à jamais le temps s’est arrêté ce soir funeste. Passé, présent et futur inconcevable fusionnent, le quotidien devient une épreuve perpétuelle, tandis que dans chaque recoin de son appartement se niche le souvenir d’Hélène, interprétée par Camélia Jordana, à travers des instantanés évanescents aux contours esthétiques flous et oniriques. L’épouse se fait présence spectrale qui ne survit que dans la mémoire du veuf et dans l’odeur bientôt disparue de vêtements. Elle n’a pas quitté le logis, elle est encore là, presque à portée et pourtant inaccessible, comme si mondes des défunts et des vivants se rejoignaient. Un sourire, une étreinte, un geste tendre sont encore perceptibles dans les souvenirs d’Antoine, mais la joie et l’aspiration au bonheur qui caractérisaient Hélène ont disparu, désormais réduites au rang de chimères de temps révolus. L’âge de l’insouciance et des espoirs est mort, s’ouvre celui des ténèbres, la parenthèse de l’allégresse se referme lentement. Une vie s’interrompt, mais des dizaines d’autres destins se brisent, injustement sacrifiés par des barbares aveuglés par le fanatisme. Vous n’aurez pas ma haine devient le récit de ces autres victimes des attentats, ceux qui ont croisé la route des 130 martyrs du 15 novembre et qui doivent se relever dans un monde devenu hostile. Jadis havre de paix, les rues de Paris que le couple arpentait innocemment se transforment en lieu de péril lorsque dans les allées des parcs pour enfants déambulent des policiers en faction, sur le qui vive face à la crainte d’un danger imminent.

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La fracture charnelle se conjugue au déchirement spirituel. Point d’orgue du film, la séquence au cours de laquelle Antoine reconnaît la dépouille de son épouse dans la salle aseptisée de l’institut médico-légale de Paris impose une distance physique entre le protagoniste et Hélène. Collé à une parois de verre, le mari veut toucher une dernière fois sa femme, mais une frontière ici matérialisée par la vitre les sépare à jamais. Si les terroristes n’ont pas eu la haine d’Antoine Leiris, ils lui ont dérobé une partie de son amour, celui qui s’exprimait auparavant dans des embrassades passionnées. Les corps épris de douceur sont condamnés à voir leurs pulsions inassouvies, tandis qu’un personnage hurle sa détresse face à celle qui a rendu son dernier souffle. Faire ses adieux est une quête impossible, que le protagoniste refuse malgré les doléances des autres proches d’Hélène. Admettre l’inadmissible confine à la torture, affronter la fatalité est un abandon affectif, le deuil d’une femme d’exception mais aussi de l’expression de sentiments qui une fois verbalisés pour la dernière fois sont voués à ne plus jamais pouvoir renaître. Devant la tombe de la défunte, tous adressent un ultime au revoir à la victime, mais Antoine reste impassible. Il refuse la réalité car le confort des illusions du passé est le dernier bastion de son amour. Vous n’aurez pas ma haine désacralise ainsi l’aura médiatique d’Antoine Leiris pour refaire de lui un homme simple, friable et sensible, bien que Pierre Deladonchamps semble parfois avoir du mal à parfaitement assumer ce rôle exigeant. En suggérant une chute dans l’addiction de l’alcool, le long métrage confronte son héros à un poison concret, émanation lointaine de celui allégorique du chagrin qui étreint son âme, malheureusement, le comédien peine à convaincre lors des évocations du calvaire d’un homme face à ses démons. Si les scènes introspectives sont parfois hésitantes, celles qui unissent le père et son fils se révèlent plus intenses et sincères. Par l’intermédiaire de sa publication Facebook, Antoine Leiris a offert une voix à des milliers d’endeuillés, mais face au petit garçon qu’il doit désormais élever presque seul, verbaliser l’atrocité est une épreuve insurmontable. L’enfant est un miroir, le seul interlocuteur face auquel Antoine ne peut pas mentir. Lui avouer la réalité, c’est l’accepter. Longtemps dans le déni, le protagoniste doit également se confronter au récit concret des événements du Bataclan de la bouche de témoins directs, pour trouver une forme de paix timide. Une étrange culpabilité étreint les survivants, mais en entretenant la flamme du souvenir d’Hélène, ils rendent la splendeur de la jeune femme immortelle.

L’importance de la parole publique d’Antoine Leiris est décuplée à l’épreuve de sa détresse affective, désormais dévoilée. Par le verbe, un être qui a presque tout perdu au cours d’une sinistre nuit affronte l’obscurantisme, et fait de ses mots un glaive contre l’injustice. En restituant en intégralité la publication Facebook qui a inspiré tant d’hommes et de femmes, Vous n’aurez pas ma haine prend l’allure d’un hommage à peine voilé envers un courage hors du commun. Le protagoniste est transcendé par sa mission, animé par des idéaux vertueux, et dans les ténèbres mortifères des attentats, il trace une voie vers le salut. Les mots d’Antoine Leiris ne sont pas qu’admirables, ils sont indispensables pour des milliers d’anonymes, qui l’arrêtent parfois dans le métro pour lui adresser un simple remerciement. L’humanité est blessée, presque à genoux, mais elle survit encore à travers l’expression de cette pensée qui refuse de céder à la colère et à l’exigence d’une rétribution aveugle. L’intime est mis entre parenthèses pour que de la voix d’un endeuillé résonne un message d’amour universel sans une pointe de naïveté. Continuer à vivre face à la tempête est une victoire, parfois d’apparence anodine et pourtant d’une importance capitale. Néanmoins, si dans les jours qui ont suivi le 15 novembre 2015, Antoine Leiris a été un héros de la lutte contre la haine, le long métrage offre un aperçu plus nuancé de son quotidien. La lumière des projecteurs a été un refuge pour le veuf, un moyen de fuir sa peine au lendemain du drame. Impassible devant les caméras, l’homme est en larmes dans les coulisses, et les dizaines de cadeaux qu’il reçoit ne sont que de maigres compensations pour le sacrifice qu’il opère, celui de ne pas soigner ses blessures pour tenter de venir au secours d’une nation entière. L’intérêt commun prime sur le déchirement personnel.

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Pourtant, au terme de son périple, Antoine Leiris doit renouer avec sa vie, loin de la frénésie médiatique. Il doit continuer à survivre malgré les sirènes d’un suicide que le film montre ouvertement, dans des séquences de rêveries. Pour son fils, le fruit de son amour avec Hélène, il doit reprendre en main son destin et reconstituer la bulle intime d’un foyer bienveillant avec lequel il s’est brièvement déconnecté. Il doit faire la paix avec le futur incertain qu’incarne son fils, et le passé évanescent partiellement métaphorisé par la mère de son épouse. Le présent est dans cet entre-deux, cet espace étrange où se côtoient fantômes et fantasmes d’avenir. Redevenir père est une épreuve impossible et pourtant incontournable. La témérité de l’homme manieur de mots se confronte à la parole du bambin, qui le foudroie d’un simple “Maman”, comme un coup de poignard en plein cœur. Dans l’intimité de leur appartement, le veuf et le l’enfant souffrent d’une même peine, et ils sont les seuls à pouvoir parfaitement se comprendre, malgré le tout jeune âge du petit garçon. Ils sont les derniers véritables dépositaires de la mémoire d’Hélène, presque les seuls à l’avoir connue dans toute sa complexité. Dans un simple jeu entre eux, ou dans la frénésie d’une fête entre amis, le héros de Vous n’aurez pas ma haine triomphe. Malgré l’adversité, il a vaincu ses démons en recommençant à vivre et en renouant avec une joie qu’il pensait à jamais disparue. Les artifices du souvenir deviennent alors les outils de la construction d’une nouvelle mémoire. Régulièrement saisi pour écouter le dernier message d’Hélène, le téléphone portable d’Antoine sert à filmer la joie de son petit garçon dans la conclusion du film, alors que Vous n’aurez pas ma haine quitte l’espace oppressant de Paris pour offrir les décors paradisiaque naturel de la Corse. À travers un message sur Facebook, puis un livre, et enfin un film, un homme a guéri de ses blessures, et celles de tout un peuple avec lui.

Vous n’aurez pas ma haine est un long métrage inspirant, parfois hésitant mais toujours sincère. Intimité et universalité s’y côtoient pour galvaniser le public.

Vous n’aurez pas ma haine est disponible en DVD, chez Blaq Out.

Nicolas Marquis

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