Réalisé par: Peter Bogdanovich
Avec: Peter Bogdanovich, Buster Keaton, James Karen
Film fourni par Carlotta
Peu de souvenirs tendent à demeurer de ces temps anciens où le cinéma demeurait encore plongé dans un silence paraissant primitif aux yeux du spectateur moderne. Il y a bien ce petit bonhomme moustachu avec son chapeau et sa canne que l’on appelle « Charlot » par ici, ou peut-être cet étrange robot se transformant en femme devant nos yeux, mais tout cela est devenu bien flou et lointain. Qu’en est-il de ces génies des temps anciens, ayant quitté notre monde depuis longtemps déjà, mais toujours bien présents, d’une façon ou d’une autre, dans des œuvres contemporaines ? C’est, sans le moindre doute, le cas de Buster Keaton, le comique au visage statique, celui qui ne riait jamais mais qui faisait rire le monde entier. Un homme à la tête d’un héritage inestimable qu’il convient de préserver aujourd’hui, comme le fit Peter Bogdanovich en 2018 avec The Great Buster : Une célébration, sortant aujourd’hui dans une nouvelle édition proposée par Carlotta.
Auteur de plusieurs documentaires et ouvrages dédiés à de grands cinéastes (tels que John Ford ou Howard Hawks), Peter Bogdanovich se lance dans un hommage au « Great Buster », ravivant sa mémoire grâce à de nombreuses images et témoignages précieux qu’il a pu récolter. Naturellement, la narration suivie par le documentaire va suivre la vie de Buster. Celui qui, dès les toutes premières années de sa vie, faisait déjà sensation sur scène dans un spectacle familial dont il était déjà l’attraction, faisant fi de tous les risques pour obtenir le sobriquet lui servant de prénom pour l’éternité. Le film nous raconte ainsi la façon dont il a pu se rapprocher du cinéma, notamment grâce à son mentor Roscoe « Fatty » Arbuckle, puis l’éclosion du talent de Buster, qui brilla de mille feux dans les années 1920, avant de sombrer à l’arrivée du cinéma parlant, jusqu’à une ultime renaissance lors des dernières années de sa vie. On découvre ou redécouvre ici l’histoire de celui qui vit pour son art, qui ne semblait être fait pour autre chose, esprit génial avec un sens de la mise en scène incomparable, trouvant sans cesse de nouvelles idées continuant de faire mouche près d’un siècle après son âge d’or. C’est aussi une histoire avec ses tragédies et ses rebondissements inattendus.
Dans un souci de finir sur une bonne note, le cinéaste ne choisit pas de conclure son film sur la disparition de son héros. A l’image de ce que fut la vie de Buster, Peter Bogdanovich va parcourir l’existence du grand comique avant de revenir à ses plus belles heures, pour mettre en valeur les plus beaux moments de sa vie, célébrés une ultime fois à Venise alors que le public lui offrait une standing ovation d’une dizaine de minutes, émouvant celui qui pensait avoir sombré dans le passé. Car The Great Buster : Une célébration n’est pas un simple exercice d’ordre biographique, visant à énumérer les grands succès du génie, son erreur stratégique lors de sa signature chez MGM, ou à comparer son cinéma avec celui de Chaplin. C’est avant tout un témoignage.
Les images des films ou de la vie de Buster Keaton sont entrecoupées d’interventions de personnalités d’horizons et d’époques diverses, allant de Johnny Knoxville à Mel Brooks, en passant par Dick Van Dyke, Quentin Tarantino, Cybill Shepherd ou encore Werner Herzog. Tous expriment ce que représente Buster Keaton pour eux, racontant une anecdote, ou expliquant l’impact que son œuvre a pu avoir sur la leur. C’est ainsi que Peter Bogdanovich parvient à montrer à quel point le cinéma de Buster Keaton rayonne toujours aujourd’hui, y compris là où on ne l’attendait pas forcément, comme l’exprime Quentin Tarantino dans le documentaire, ce dernier disant que Le Mécano de la General est une grande comédie mais aussi un grand film d’action, Orson Welles ajoutant dans une autre intervention d’époque qu’il y avait certainement plus de beauté dans ce film que dans Autant en emporte le vent.
Plus qu’un documentaire passionné et passionnant sur l’un des plus grands génies du septième art, The Great Buster : Une célébration est d’ailleurs également le témoignage de la vision d’un homme sur une œuvre inestimable, avec la volonté de perpétuer son héritage. Bogdanovich qui disait que lui-même, âgé de quatre ou cinq ans, allait voir des films de Buster Keaton avec son père, le marquant pour toute une existence, comme ce fut le cas pour tant d’autres personnes. C’est l’héritage que nous laisse aujourd’hui Peter Bogdanovich, hélas disparu plus tôt dans l’année. Un passage de témoin destiné à continuer à être transmis pour célébrer le génie d’un homme envers qui le monde fut souvent bien ingrat, mais dont l’âme continue de marquer le cinéma, tout en discrétion, à l’image de la modestie qui caractérisait Buster Keaton.
The Great Buster: Une célébration est disponible chez Carlotta, dans une édition comprenant également:
- Une rencontre au Quad avec Peter Bogdanovich
- Une bande annonce